Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

03 décembre 2018

RAPIDO


Ce lundi 3 décembre 2018, dans le bistrot d'un quartier excentré d'une grande ville de province. 

Les patrons ont remisé BFM TV et nous avons droit à des clips. Histoire sans doute de n'en pas faire, d'histoires, tout le monde n'est pas forcément du même avis, dans le bistrot, dans le quartier, sur ce qui se passe dans le pays en ce moment.

Deux ouvriers se sont installés au comptoir, avec leurs gilets de sécurité. Un client, l'air de rien: "ils sont là, les gilets jaunes".

Quelques minutes plus tard, on entend, entonné par une jeune homme: "Aux Champs Élysées, aux champs Élysées..."

À l'autre bout de la salle, sans lever les yeux de son Rapido, un homme plus âgé: "à midi ou à minuit..."

L'atmosphère reste en suspension... 

Comme nous tous en ce moment.

Rapido, monsieur Macron, rapido, on ne va pas rester longtemps suspendus 
comme ça.

23 janvier 2018

Chu, déchu! Déçue?

23 janvier 2018

L'ange avait donc décidé de s'installer sur terre*.
Histoire de m'ouvrir la porte de l'ascenseur et de boire des bières au bistrot.

Il est à nouveau là, au comptoir. Il boit un café, ma foi.

Cette fois, je vais le saluer, "voisin", lui dis-je.
Nous papotons. Il vient souvent boire son café ici avant d'aller travailler.

"Et qu'est-ce que vous faites comme travail?",
Il me raconte, des petits boulots, en attendant la réalisation d'un projet sympathique.
Moi: "J'aime bien aussi venir ici. J'aime bien ce quartier".
L'ange: "Oui, enfin!... Il y a de drôles de gens aussi...."

Oh la la! raciste, l'ange?

"Avec ce qu'on leur apprend à l'école..."
"???..."
" Cette nouvelle éducation sexuelle, on ne sait plus qui est qui".

Aïe aïe aïe! C'était donc ça. 
L'ange a chu, il est tombé bien bas. 


* Voir la chronique du 6 janvier dernier.

Quand je vous vois, ça me met de bonne humeur!

Françoise Tomeno
23 janvier 2018

"Quand je vous vois, ça me met de bonne humeur!".

Certes, cher camarade de bistrot.

Mais ce matin, vous êtes arrivé vous-même dans un bel élan, souriant. 
Toujours muni sur le haut de votre personne de cette casquette dont vous n'avez cependant pas le monopole en ces lieux. 
Vous avez alors adressé à la patronne un "bonjour madame" qui ressemblait à un bonjour adressé à la cantonade dont je faisais partie.

Vous me vîtes alors, sur votre trajet en direction du comptoir où vous attendait la patronne.
Vous avez légèrement infléchi votre trajectoire vers votre droite et m'avez tendu une main elle-même déjà très souriante.

Alors, je veux bien que mon sourire vous mette de bonne humeur, mais je vous retourne le compliment.
Si vous le permettez.

06 janvier 2018

Un ange est passé

Françoise Tomeno
6 janvier 2018

Ce jour-là, je l'ai vu accoudé au comptoir du bistrot du quartier. 
C'était inattendu. 
C'était inattendu parce que je croyais que c'était un ange.

La première fois, je l'avais rencontré dans l'ascenseur. Je rentrais chez moi. Il m'avait galamment ouvert la porte. Il avait programmé le deuxième étage, moi le troisième.

Il avait regardé sa montre, il avait dit: "Il est midi".
Je l'avais regardé, il était immensément grand. En le regardant, je me sentais comme une toute petite fille.
Après quelques secondes, il avait ajouté: "Le temps! Il est maître de tout".
Je m'étais entendue lui répondre: "Jusqu'à la dernière minute".
Je pensais à ma soeur qui venait de mourir.

Quelques secondes s'étaient écoulées de nouveau. 

Il avait repris: "De la première minute à la dernière minute...

j'étais suspendue à ce qu'il allait dire

...il n'y a qu'un battement de cils".

Nous arrivions au deuxième étage, nous nous sommes souhaité bon appétit.

Nous étions le dimanche de Pâques. 
J'ai pensé à ma soeur qui venait de fermer les yeux. Je me suis dit que c'était l'ange de Pâques qui me faisait cadeau de cette phrase magnifique.

Quelques temps plus tard, j'entrais cette fois dans le parking, je l'ai vu qui s'en allait vers sa voiture. Ou bien sa moto. 
J'ai cru tomber à la renverse. Sur le dos de son blouson, son blouson de motard, il y avait deux grandes ailes qui se déployaient.

Un ange passait de  nouveau.

Alors vous imaginez bien que ce jour-là, c'est-à dire quelques mois plus tard, lorsque je l'ai vu en train de boire une bière au bistrot, j'ai été drôlement surprise!

À moins que...

Mais oui, c'est ça. Vous vous souvenez de Damiel, un des deux anges du si beau film de Wim Wenders, "Les ailes du désir"? Damiel, joué magnifiquement par Bruno Ganz, l'ange qui par amour décide de devenir humain, et donc mortel?

C'était donc ça. L'ange de mon ascenseur était en fait un ange qui avait chu dans notre monde et qui buvait des bières. Et qui savait bien ce que voulait dire "Jusqu'à la dernière minute".

Un battement d'ailes, un battement de cils.
Merci.








02 novembre 2017

Bleu blanc rouge

Françoise Tomeno
2 novembre 2017

Nous commencerons par les pieds.
Bleus les pieds. Enfin, bleues, les chaussures, genre baskets. Bleu marine, excusez du peu.
Des baskets dont les lacets ne se lacent pas, cette mode me laisse toujours rêveuse.
Rouge les lacets, rouge plutôt bordeaux. Tant qu'à faire, dans un bistrot, du bordeaux. 
Et des petites socquettes mettant le bout de leur nez juste au dessus du bord de la chaussure, bleu marine également les petites socquettes.

Au dessus de ce premier étage, enfin de ce quasi sous-sol, un pantalon rouge vif, dessinant deux jambes très fines, presque maigres. Croisées les jambes, croisées direction la droite. 

Troisième étage, une chemise bleu, rouge, blanc. Bleu marine, le rouge du bordeaux, et le blanc de blanc. À peine visible, la chemise, recouverte en grande partie d'un K Way. Bleu azur le K Way. Cet étage là se dirige à gauche, imprimant une torsion au corps.

Au dessus de tout ça, un incroyable visage plissé, ridé, si vous voulez, qui émerge d'une casquette bleu majorelle (oui, ça existe. Et le nom est joli, ne trouvez-vous pas?). Le visage émerge d'un côté de la casquette, et de l'autre côté, une queue de cheval.

Cette dame du quartier, que l'on rencontre ici, au bistrot, ou là, c'est-à dire dans la galerie commerciale, semble à la fois se montrer et se moquer du fait d'être vue. C'est bizarre...

Elle a la métaphore cocardienne. Les jours de grand matchs de foot, genre coupe du Monde (mais il faut que la France soit en jeu), elle arbore des coiffures, enfin des chapeaux, eux aussi incroyables. Une débauche de plumes ou de poils, tout en hauteur, ou un coq, et bien sûr, du bleu, du blanc du rouge. Et fi du majorelle et de l'azur, seule la marine vogue là au-dessus. Ces jours-là, on peut aussi la croiser en ville. 

Et que boit-elle?
Figurez-vous qu'absorbée dans la contemplation de ce tableau haut en couleurs, j'en ai oublié de regarder ce qu'Alex lui avait servi.

À la prochaine.... 




09 septembre 2017

L'orient est rouge?

Françoise Tomeno
9 septembre 2017

Ils arrivent.
Les Chinois arrivent...

"C'est bien aussi, les Chinois", avais-je dit à la dame rencontrée fortuitement sur le trottoir du bistrot, fermé. Elle faisait part de la rumeur. Oui, ça va rouvrir. Il paraît que c'est des chinois, chuchotait-elle, craintive et curieuse à la fois.

Ils sont donc arrivés, dans ce quartier plutôt brun, marron, chocolat, blanc aussi, rose rosé parfois. 
Arrivée du jaune.

Cocasserie des premiers jours.

"Comment on dit "Kafè" en chinois? " demande 
au nouveau jeune patron (qui contre toute attente se fait appeler "Alex"), l'homme blanc, qui a déjà opté pour une prononciation.
Sourires et rires un peu gênés des uns, des autres. 


"Et comment on dit "bonjour" en chinois?" demande un des voisins de l'homme blanc, blanc lui aussi.
"Ni hao" répond un autre.
Ça alors, il connaît le chinois? Il explique, le travail, il y a longtemps.


Arrivée du jeune homme brun, capuche de rigueur. Un habitué. Du temps des anciens patrons.
Et voilà qu'il se balance légèrement d'un pied sur l'autre en avançant. Une démarche bizarre, hésitante en quelque sorte. 

Ça chamboule tout, cette arrivée des Chinois. On ne sait plus comment marcher, comment arriver, comment aborder, comment parler. 

Un homme blanc, habitué d'antan lui aussi, arrive à fière allure. Il a dû déjà faire son entrée sur cette nouvelle scène. Confirmation, il salue le patron "Bonjour Alex, ça va?". Ça alors, déjà familier. Faut ce qui faut, pour l'adoption, on ne lésine pas.
Sur le comptoir trône un de ces chats asiatiques porte bonheur. Vous savez, ces chats dorés qui lèvent la patte gauche. On les voit au moment du Nouvel An asiatique. Là c'est plutôt notre Nouvel An à nous, cadeau des patrons...
L'homme blanc s'est approché du comptoir et fait bouger la patte du chat. Familier, décidément....

Quant à moi, voulant faire mon intéressante, je me situerai résolument du côté des embarrassés.
Je vois sur l'étagère derrière le comptoir, deux objets faits par pliage de tickets de jeu. La patronne d'un autre bistrot, cambodgienne, m'avait fait cadeau d'une corbeille faite selon cette technique extraordinaire, et m'avait expliqué que c'était sa belle soeur qui les faisait.
Je me dis alors que tout le monde se trompe  en pensant que les  nouveaux patrons sont des chinois. En fait, ils doivent être cambodgiens. 
Quand Alex m'apporte le crème que je viens de commander, je lui dis: "Ah c'est chouette ces objets. C'est cambodgien?"
Air interloqué d'Alex. " Euh... Ils étaient là avant, du temps des autres patrons...".
"Blurpss", fais-je dans mon For Intérieur (FI selon Fred Vargas), j'ai perdu une occasion de me taire...

Voilà ce que ça fait, quand  on rajoute une couleur dont on n'a pas l'habitude. On ne sait plus déambuler, on ne sait plus parler, on se met à voir des choses qui sont sous votre nez depuis toujours.

Bon, allez, avec tous ces ratés, ils sont adoptés, nos camarades chinois. Alex et sa jeune femme, le chien, leur tout jeune fils, et le père et la mère de l'un des deux.

Ni hao, bienvenue.




On r'ouvre.....!

Bonjour, 

oui, cela fait longtemps.
Le temps de dire au revoir à quelqu'un qui m'est très chère.
Partie, vite, sans laisser d'adresse fiable.
Le ciel peut-être, il faudra voir.
Déchirures.
Le bistrot, dans tout ça?
Vacant, comme tout le reste pendant tous ces mois.
Vacant de ma présence. 

Parce que lui, le bistrot, il continuait sa vie, ou plutôt, il avait repris sa vie.
Je vous avais dit "Fermé". La Guinguette avait fermé ses volets, comme le dit la chanson.
Ma soeur a fermé les persiennes de ses yeux.

Mais pendant que l'absence se faisait omniprésence, que pour y répondre je m'absentais du monde, de mon petit monde des bistrots que j'aime tant, le bistrot, lui, rouvrait.
Et avec pour patrons les Chinois annoncés par une habitante du quartier.

Aujourd'hui, pourquoi aujourd'hui? Aujourd'hui c'est la rentrée. Je reprends le fil. 

Bien à vous,
Françoise Tomeno
9 septembre 2017 



22 janvier 2017

Fermé!

Françoise Tomeno
22 janvier 2017

Fermé! C'est fermé!

Ils n'ont pas dit qu'ils allaient fermer.
Ils ne m'ont pas dit qu'ils allaient fermer.

Je ne leur ai pas dit au-revoir.
Ils ne m'ont pas dit au-revoir.


Voilà: d'habitude, le bistrot du quartier ferme entre Noël et Nouvel An. Je m'étais donc préparée à ce que ça manque à ce moment-là.
Et puis en passant en voiture, j'ai vu que non, que ce n'était pas fermé, et pourtant nous étions entre Noël et Nouvel An.

"Ah bon", me dis-je. "Ah bon". 
Mais comme j'avais anticipé cette vacance de bistrot, qui arrivait en même temps que mes vacances, je n'y suis pas allée cette semaine-là, fréquentant un autre bistrot.

Reprise après le 1er janvier, me voilà partie pour faire halte dans ce lieu que j'ai appris à apprécier.

Flûte, ce n'est pas ouvert. Ils auront pris leurs vacances en décalé. Je ne me soucie pas plus que ça de l'affaire.

Semaine suivante, ce n'est toujours pas ouvert.

Voilà qu'en allant faire mes emplettes à la supérette, je croise deux dames en conversation, dont l'une fréquente le bistrot. Je prête l'oreille, et j'entends qu'elles parlent du changement de propriétaire du bistrot. Je me joins à elles sans plus de façons. 

"Il paraît que c'est des Chinois qui reprennent" dit la dame que je connais, avec une de ces moues... 
Des chinois, des étrangers, quoi.

Je dis que  les Chinois, c'est bien aussi, faudra voir. Elle n'ose pas ne pas en convenir....

Nous sommes quinze jours plus tard, et les Chinois n'ont toujours pas ouvert. 
Aurons-nous un restaurant chinois en face de la pizzeria qui fait des pizzas halal?

Affaire à suivre, je vous tiens au courant.


23 décembre 2016

Bon courage!

Françoise Tomeno
23 décembre 2016

Savez-vous pourquoi, dans ce bistrot, tous ceux qui se mettent à m'adresser la parole me disent à un moment  donné: "bon courage"?

Vous ne savez pas?

Moi non plus.

Peut-être, ma foi, parce que parfois, j'ai un gros cartable, et que je n'ai plus l'âge d'aller à l'école?

Un individu! Noir!

Françoise Tomeno
23 décembre 2016

Atmosphère habituelle ce matin. 
On s'est salués, chacun vaque à ses occupations de bistrot, lecture du journal, conversations, ou ma foi rien...

BFMTV sévit, comme dans beaucoup de bistrots. Ici, lorsque le commentateur évoque le Moyen Orient et les conflits, on écoute un peu, puis le patron change de chaîne. "Pas de conflit dans mon bistrot" semble-t-il dire.

BFMTV en est aux faits que l'on dit "divers".

Je n'écoute pas. Parfois,  alors que je n'écoute pas, je me mets pourtant à entendre. Lorsque la Syrie, l'Irak, Poutine pointent leur nez dans l'ambiance matinale.

Aujourd'hui, sans écouter, les mots "un individu noir" sont arrivés jusqu'à ma conscience. Cela me rappelle qu'alors que j'effectuais des recherches dans des quotidiens de la presse du Nord-Pas de Calais de l'année 1936, j'avais lu: "un homme d'origine portugaise". Je m'étais dit: si ça avait été un homme bien de chez nous, on aurait écrit "un homme", tout simplement. Mais là, d'origine portugaise, ça voulait dire l'immigré. De même qu'aujourd'hui, on dit "d'origine maghrébine".

"Un individu noir", donc. 
Les mots sont parvenus jusqu'à une autre conscience. Un homme, jeune, au teint mat, qui est en train d'arriver dans une dynamique énergique, s'exclame: "Un individu! Noir!".

Ce sera tout  ce qu'il dira. 
Et ce n'est pas la peine d'en dire plus, d'ailleurs.



18 octobre 2016

Dylan is Dylan

Françoise Tomeno
18 octobre 2016

Un jour qui ressemble aux autres.
Maintenant on se salue, on se serre la main, quelques mots autour du "ça va?". Aujourd'hui, ça va avec des hauts et des bas, ça fait le yoyo, la santé peut-être, je n'en saurai pas plus.

Pause au bistrot avant d'aller prendre le boulot.

J'ai déjà oublié les infos entendues tout à l'heure sur France Culture. Il y en a pourtant une de taille, le Nobel de littérature pour Bob Dylan. Guillaume Erner a cuisiné un lettré, le harcelant pour savoir si selon lui Dylan était un littérateur. Un poète. Quand même, ça n'est que des chansons.

Le littérateur tournait autour du pot: si si, c'est justifié... enfin, il aurait préféré que ce soit Gainsbourg (tant qu'à faire), le Gainsbourg d'après la Javanaise. Mais normalement, le Nobel, c'est pour des écrivains qui écrivent des fictions, ils sont bien d'accord.

Et puis dans le fond, tout ça c'est politique. Ça fait un moment qu'il vote à gauche, le jury du Nobel. Pour corriger la tendance générale à droite, extrême, la droite. Alors si c'est Bob, c'est pour dire que l'Amérique, c'est pas celle de Donald, mais bien celle de Dylan. Non mais!

J'ai déjà oublié ce que j'ai entendu sur France Culture.

Un homme est accoudé au bar, il converse avec ceux qui désormais me saluent et avec qui j'échange chaque fois quelques mots de courtoisie. Un homme dans nos âges, le cheveu filasse et plutôt long, quelque chose de nonchalant.

"Vous avez vu? Le prix Nobel, c'est Dylan qui l'a eu... ah! Dylan, c'est chouette, il le mérite bien.
Bon, c'est vieux tout ça..."

Vieux comme nous, à vrai dire, vieux comme notre jeunesse qui surgit à ses mots. Qui surgit et nous réunit d'un coup, au delà de nos différences, de nos inconnus. 

L'homme reprend et se met à  chanter :"Dylan is Dylan....". 

Je n'avais jamais entendu chanter dans ce bistrot.

J'ai bien sûr levé le nez, je ris, ravie, on se voit en train de partager ces bouts de nos jeunesses qui finalement ne foutent pas le camp, même que sans le savoir on en avait un en commun, de bout de jeunesse. 
On s'aperçoit souriants, quelque chose d'une bonne humeur est là, tranquillement installée dans  notre bistrot du matin.

C'est l'heure pour moi d'aller attraper mon bus. Je dois quitter les regards réjouis. Le "au revoir" vient de tous, il ne ressemble à aucun de ceux échangés jusqu'à maintenant dans ce bistrot de mon quartier. Il a quelque chose de sautillant, quelque chose de proche des rires de l'enfance.

Ça c'est bien vrai, Dylan is Dylan.

Tu sais quoi, mon vieux Bob, tu l'as bien mérité, ton prix Nobel, rien que pour ça. Tu n'en sauras jamais rien, mais nous, on le sait.

Allez, ciao, Bob. 


29 juillet 2016

Des vertus de l'eau de javel

Françoise Tomeno
29 juillet 2016

Ça parle chats à la table d'à côté. Je ne peux pas m'empêcher de tendre l'oreille (euh, je la tends, ou je la prête? Je ne sais pas trop).

Je repars vers mes lectures. Quelques minutes plus tard, ça parle d'eau de javel. Je me dis qu'ils doivent être en train de parler de cette irrépressible affection des chats pour l'odeur d'eau de javel. Mais je ne fais pas très attention. 

Jusqu'à ce que je remarque que Mahmoud est là,  Mahmoud, le crieur de vérité du bistrot. Il est là, debout, à leur table, et participe à la conversation. Je re-tends l'oreille, ou je la re-prête, comme vous voulez. Vu la suite, je la prête, je crois. Un regard m'échappe. Il croise un geste de Mahmoud qui pointe son doigt vers son tee shirt. 
Mahmoud ne crie pas et ne parle pas pour autant. Il faut dire que le pointage m'est adressé et comme nous n'avons encore jamais tenu conversation... 
Je regarde mieux, vers le point pointé. Je ne vois rien. Nous restons quelques secondes dans cet échange mystérieux et silencieux.

La dame attablée vient à mon secours et m'explique. Elle était en train de conseiller Mahmoud, chagriné par une tâche sur son tee shirt (ah, c'était donc ça!). Elle lui disait de tremper son tee-shirt dans l'eau de javel, et ça ferait plein de dessins décolorés, ce serait marrant. 

C'est parti. Je raconte avoir fait ça autrefois avec une jupe (d'un joli violet, la jupe), sur laquelle j'avais renversé une bonne partie du contenu d'une bouteille d'huile. Ma foi, oui, je suis d'accord avec la dame, c'était du plus bel effet.

Et nous voilà toutes deux racontant nos trucs pour nous débrouiller des tâches, des trous dans les vêtements. "Et moi, je mets, vous savez, ces petites pièces qu'on colle en repassant, il y en a des sympas" - "J'en fais autant....".

Les deux hommes semblent hors jeu!

C'est bien, un sourire

Françoise Tomeno
29 juillet 2016

-  " C'est bien un sourire..."

-  "Ben, c'est normal?"

- " C'est pas tout le monde!..."

- "......................."

01 mars 2016

Un café pour le philosophe

Françoise Tomeno
1er mars 2016

C'est Mahmoud. Mahmoud qui a retrouvé son survêtement mal ajusté et la courbure qui  le fait foncer droit dans sa vie, et droit dans celle des autres par la même occasion. Mahmoud qui, mystérieusement, en tout cas pour moi, s'était redressé pendant toute une période, avait la posture et le regard qui affrontaient le monde.

Il rentre dans le bistrot et fonce vers le présentoir des jeux sans regarder rien d'autre. 

Un jeune homme que j'ai déjà vu ici, et qui porte dans ses yeux le même arrière-pays que Mahmoud, entre et va vers le comptoir où officient Marlène et Georges.

Mahmoud, lui, s'avance vers l'autre comptoir. C'est le comptoir des jeux, c'est le comptoir  derrière lequel se tient le patron.  Et il tient bien ça, le patron (je ne sais même pas comment il s'appelle, le patron. On ne l'appelle pas de loin, on vient le voir directement à son comptoir).

Mahmoud, semblant ne s'adresser à personne en particulier, toujours la tête droit devant lui, annonce: "Un café pour le philosophe".

Le philosophe, c'est le jeune homme qui vient d'entrer. J'avais déjà entendu Mahmoud le qualifier ainsi. 

Mahmoud, avec cette espèce de fausse innocence qu'il semble parfois afficher, est celui qui dit certaines vérités dans ce bistrot. Tout comme il qualifie ce jeune homme de philosophe, il lui arrive, et c'est bien le seul, de donner des nouvelles du monde, des conflits du monde, des paysages du monde qu'il et qu'ils connaissent bien. Et il n'épargne ni les tyrans ni les  fous de dieux.

Mahmoud, le crieur de vérité.


Restez avec nous, Madame

Françoise Tomeno
1er mars 2016

Il fait partie des hommes à casquette. 

En somme, les hommes qui fréquentent ce bistrot pourraient se ranger en deux grandes catégories: les hommes au teint clair, qui, pour beaucoup, portent casquette, les hommes au teint mat qui, s'ils sont jeunes, portent bonnet ou capuche, s'ils sont plus âgés, vont la tête découverte.

Les hommes au teint clair ont tous un certain âge, les hommes au teint mat ont tous les âges.

J'avais eu l'occasion de saluer cet homme-là alors qu'il était attablé avec des compagnons.

Après un bref passage au bistrot, je prends le bus pour me rendre à mon travail. J'aperçois notre homme à casquette déjà installé, il a dû monter à l'arrêt précédent. Ensemble, nous nous saluons, nous nous sommes reconnus.

Voulant m'installer à une place libre peu éloignée de celle de notre homme, je perds l'équilibre au moment où le bus redémarre. "Restez avec nous, Madame!", et il se marre. Moi aussi.... 
Ma foi oui, cher Monsieur, je vais rester avec vous, avec vous tous qui fréquentez le bistrot devenu "mon" bistrot.

Lorsque je quitte le bus, avant lui, il est évident pour nous deux que nous nous disions au revoir et que nous nous souhaitions une bonne journée.



C'est Byzance

Françoise Tomeno
1er mars 2016

Je rentre par l'autre porte, celle qui donne sur l'avenue. 


Je n'ai pas encore eu le temps de m'installer qu'un habitué, portant casquette comme beaucoup, me salue. C'est bien la première fois qu'un client me salue le premier. J'en suis toute chose. Il est attablé avec trois autre hommes, dont un porte une casquette lui aussi. Je salue la compagnie.


Mahmoud est avec eux. Mahmoud, qui depuis quelques temps délaissait le survêtement mal emmanché pour des vêtements un peu plus chics, et avait profité de ce changement pour se redresser, Mahmoud qui ne fonçait plus la tête la première dans... dans quoi, au fait? Dans la vie peut-être, en tout cas dans la sienne?  Bref, Mahmoud est installé avec eux, et je dois presque le déranger pour m'installer à une table qui, l'air de rien, est en train de devenir "la mienne"... Mahmoud dont j'ai toujours eu l'impression qu'il ne me voyait pas, que je ne faisais pas partie de ses paysages.


Et bien le même Mahmoud ayant entendu un compagnon de tablée me saluer, se tourne légèrement vers moi, et, d'une voix tout juste audible de moi et de sa tablée, m'adresse un vrai bon bonjour.

J'ai bien commencé ma journée. 



La pudeur à Bébert

Ma chère Hélène,

j'ai donc repris mon "travail". 

Lorsque je suis arrivée, Bébert était assis au fond du bistrot. Un homme portant lui aussi casquette s'approchait de lui.

"Dis-donc, t'es triste, Bébert!".

Bébert ne laisse pas respirer son interlocuteur et lui renvoie: "C'est toi qu'es triste". Je n'entends pas la suite. 

Peut-être que Bébert il est triste parce que Riri, son frère, il est encore à l'hôpital? Allez savoir. 

De toute façon, Bébert, il a de la pudeur, et faut pas qu'on lui lève le voile, à la pudeur à Bébert. Faut juste qu'on lui foute la paix.

Tu avais souri, Hélène, lorsque j'avais dit que j'avais pris un peu de "vacances" en n'allant pas dans le bistrot de mon quartier pendant une semaine. J'avais ajouté: "Je reprends mon travail cette semaine". Tu avais souri, ri, que j'appelle ça du travail.

Je pense à ton travail à toi, avec ces autres personnes humaines que tu accompagnes, chez les fous. À ces petites rencontres parfois si fugaces que l'on peut les louper si on n'y prend pas garde, si l'on ne reste pas en éveil. 

Françoise Tomeno
1er mars 2016



La France Profonde

Françoise Tomeno
1er mars 2016

Il est grand, beau comme un dieu. Les yeux et la barbe très noirs, il a quelque chose du Commandant Massoud. Son chapeau à lui est un simple bonnet. Il a entre vingt et vingt cinq ans.

Il apparaît à la porte d'entrée du bistrot, avec un petit sourire, une certaine nonchalance.

" Bonjour la France profonde".

C'est vrai, ici, dans ce bistrot, c'est la France profonde. Ce matin comme beaucoup d'autres, elle est mélangée, métissée.

Quelques minutes plus tard, il est assis à côté d'un homme tout jeune lui aussi, occupé à un de ces nombreux jeux qui se pratiquent quotidiennement dans ce bistrot. Un jeune homme qu'une femme plus âgée, au teint plus clair, assise à la table voisine, taquine en le tutoyant. Je parierais que les enfants de cette femme sont allés à l'école du quartier avec ce jeune homme.

Notre nonchalant, lui, s'est retourné et s'est adressé à une autre dame du même genre que la précédente: "Bonjour madame. Ça va?".
Un ton d'enfant qui tranche avec la barbe fournie et noire. La dame se demande à qui il parle, elle s'assure que c'est bien à elle.

La vie ordinaire d'un quartier ordinaire.

28 janvier 2016

C'est magnifique!

Françoise Tomeno
28 janvier 2016

" Bonjour Messieurs Dames".

La voix est joyeuse, forte, engageante, souriante.

Celui qui vient d'entrer dans le bistrot est assez jeune, de taille moyenne, il porte un manteau de drap de laine de couleur foncée, il a une allure décidée. Ça me plaît, je lui adresse un bonjour discret, nous ne nous connaissons pas, et je pense qu'il salue plus particulièrement les autres personnes un peu plus habituées des lieux que moi.

"C'est magnifique! Vous êtes magnifiques... les anciens! Vous êtes tous là" ajoute-t-il.

Je m'attends à un accueil chaleureux.
Seuls quelques bonjours peu convaincus lui répondent. Il ne semble pas s'apercevoir de cet accueil sans enthousiasme et se met à discuter avec un client qu'il semble bien connaître, un jeune prenant peu soin de sa personne, à l'air paumé. Il l'engage à aller se changer, il peut lui prêter des vêtements, etc. Tout ça toujours de sa voix forte. 

Puis il interpelle la patronne, toujours avec ce même ton enjoué, je ne comprends pas de quoi il retourne, mais elle lui répond sèchement. Je perçois des coups d'oeil dans l'assistance. Visiblement, il agace.

Quel passé ici? Quel passé dans le quartier?

La conversation avec la patronne continue, cela  paraît s'arranger, ça sourit, ça rit un peu. On dirait que la patronne l'a remis à sa place et qu'ils ont pu renouer un petit bout de lien. 

Il repartira assez vite, sans s'être assis, sans avoir consommé.

Je ne l'avais jamais vu avant, je ne le reverrai plus jamais après.

Mystère.....


22 janvier 2016

La semaine dernière

" La semaine dernière,  j'avais plus d'argent pour faire à manger. J'ai fait comme mon grand-père: j'ai fait chauffer du lait avec du sucre " .

Ce vendredi 22 janvier  2016, 9h10, dans le bistrot d'un quartier populaire d'une grande ville, en France. 

Françoise Tomeno

28 décembre 2015

On est fermés jusqu'à lundi

Françoise Tomeno
28 décembre 2015

Venir régulièrement, venir souvent. 
Saluer, toujours, même si personne ne répond. 
Veiller... veiller à quoi, au fait?
À tout, à rien, à l'ambiance, aux passages, aux mouvements, aux regards, francs, furtifs.
Être là.

Et puis un jour, un "Au revoir Messieurs Dames" reçoit sa réponse, c'est Marlène, la patronne. 

Et puis un jour, le crème habituel arrive sans avoir eu besoin de le commander, par la grâce de Marlène, à peine eu le temps de m'asseoir.

Et puis un autre jour encore, c'est un sourire de Georges, le serveur, un sourire qui frise la pudeur. 
Geroges se met à dire "Un crème?", et je réponds "Comme d'hab.".

Plus tard, c'est le patron qui, au "Au revoir Messieurs Dames, bonne journée" lancé à la cantonade, répond "Au revoir Madame, bonne journée". Le patron au sourire aussi pudique que celui de Georges. La pudeur des hommes, c'est peut-être un caractère sexuel secondaire de ce côté-ci du monde.

Par la suite, Marlène viendra me demander si ça va, j'en ferai autant, je ne sais même plus laquelle de nous deux a commencé.

La permanence de la présence engage une femme, puis une autre, à m'entretenir, certes très brièvement, de ses maux de dos, du temps qu'il fait, des vêtements choisis
Les messieurs sont plus discrets. Un regard, un salut, c'est déjà ça, peut-être est-ce même beaucoup, dans ce quartier coupé en deux par une avenue qui marque la frontière entre les classes sociales. 

Le bistrot est essentiellement fréquenté par les habitants des grandes barres, parmi lesquels les plus pauvres doivent, à partir du 15 du mois, aller chercher à manger à la banque alimentaire du comité de quartier. Ici, toutes les couleurs sont permises, du blanc au noir. Ça cohabite au comptoir, à certaines tables. Souvent, on me dit "il ne doit pas y avoir de femmes", venant ainsi au secours de mon discours qui explique que je fais tâche dans le bistrot. Mais si, il y a des femmes, il y en a toujours, et encore plus le samedi. Ce jour-là, des femmes d'un certain âge se retrouvent au son de tonitruants "Bonjour les filles". Retrouvailles pas gênées du tout dans ce bar de prolos. Je devrais plutôt dire "de chômeurs". Parce que ce qui fait la différence dans la fréquentation du bistrot, ce n'est pas la couleur de la peau, c'est le contenu du porte-monnaie.


Je me suis donc obstinée, et toute petite différence ensoleillait ma journée.

Est arrivé ce jeudi 24 décembre 2015. Petit crème du matin, comme d'hab. Je sors avec mon  "Au revoir Messieurs Dames", comme d'hab. J'avais déjà franchi à moitié le seuil de la porte quand je vois plus que je n'entends Marlène me faire signe: "Vous savez, on est fermés jusqu'à lundi".

Par la grâce des dieux, celui des chrétiens fait homme, autrement appelé Jésus, dont on célèbrera la naissance demain, et Allah lui-même, dont on célèbrera ce même 25 décembre la naissance du prophète Mahomet, j'avais été suffisamment adoptée pour recevoir cet égard de la patronne.

Inch Allah, à la grâce de Dieu.





08 novembre 2015

Bébert and Bébert

Françoise Tomeno
8 novembre 2015

Vous vous souvenez? La patronne veille sur Bébert. Faut pas qu'il boive un godet de plus, Bébert. J'ai appris depuis que ce sont des godets de bière qu'il boit, Bébert. Faut pas que ses potes lui paient un verre de plus. Un seul verre, a dit la patronne.

Vous vous souvenez? Il était parti fâché, Bébert: "Puisque c'est comme ça, je r'viendra pas!", qu'il avait dit, Bébert. Et quelques minutes plus tard, je l'avais revu dans un coin du bistrot, en compagnie, regardant vers le comptoir.

Aujourd'hui, je suis absorbée dans la lecture de mes messages. J'entends juste "Ben alors, les frères...". Je lève le nez vers le comptoir, et je crois tomber à la renverse. Je vois deux Bébert. Bébert 1 et Bébert 2. Si, je vous jure.

Même stature, même allure trapue, même vêtements, à quelque chose près: Bébert porte des vêtements d'une couleur un peu plus foncée que Bébert 2. Même casquette sur le crâne.

À y bien regarder, j'aperçois des différences. Le cheveu de Bébert 1 est un peu plus long, et surtout plus gras que celui de Bébert 2, et Bébert 1 porte moustache. 

Ça change tout!

Le Bébert à surveiller, c'est Bébert 1, au cheveu gras qui pendouille sur la nuque.

Et celui que j'avais vu revenu dans un coin du bistrot, si ce n'était lui, c'était donc son frère?

06 août 2015

Elle a tenu bon pour Bébert, la patronne (pour, ou contre?).

Françoise Tomeno
6 août 2015

Je les avais entendu en parler au comptoir, la patronne et quelques habitués. On parlait de Bébert, de son état de santé, même que ça se voit qu'il n'a pas bonne mine. La patronne disait fermement à ceux qui étaient accoudés là qu'ils devraient faire attention, ne pas proposer à Bébert une nouvelle tournée, ça lui fait du mal.

Ce matin, Bébert était au comptoir, en compagnie. Rien que des hommes (il y a toujours peu de femmes à cette heure au bistrot).

- La patronne: "Non, Bébert, je ne ten donnerai pas un autre. Tu as vu ta tête? Tu ne vas pas bien, tu es en mauvais santé. Ça va te faire du mal".
- Bébert: "Je vais très bien, sers-moi!"
- "Non, Bébert, ça n'est pas bon pour ta santé".

Alors Bébert pique une colère,: "Et bien je m'en vais!".

Il va jusqu'à la porte dont les battants sont grand ouverts, il va faire chaud encore aujourd'hui. Il se retourne: " Puisque c'est comme ça, je r'viendra plus!!!". Et il s'en va, Bébert, privé de compagnie pour raison de santé.

La conversation s'engage au comptoir. Tous cette fois sont unanimes. Bébert, il veut pas le reconnaître qu'il est malade. Pourtant, il est fatigué, il est tout pâle, il n'arrive même plus à parler des fois. Etc... La patronne précise qu'elle lui en sert un, "comme ça" dit-elle comme pour s'excuser. Mais pas plus. 

Je reprends mes rêveries du matin. Au moment où je m'apprête à partir, qui je vois installé à une table, loin du comptoir, mais en compagnie? Oui, Bébert, lui-même, personnellement. Il ne converse pas avec la compagnie. Il regarde fixement, presqu'avec ferveur, vers le comptoir. Comme s'il cherchait le regard qui va s'apercevoir qu'il est revenu, malgré tout, malgré la fermeté de la patronne. Malgré, ou grâce à la fermeté de la patronne? Parce qu'elle prend soin de lui, la patronne. 

Ça vaut peut-être la peine de trouver autre chose à boire que... 

Que quoi, au fait? Je ne sais pas ce qui lui fait tant de mal, à Bébert. Un petit blanc? Un café?

En tout cas, ce que je sais, c'est qu'il a, dans la place, une vraie amie pour qui sa santé à lui vaut plus que l'argent qu'elle gagnerait en lui servant sa consommation.

Bébert, quelle chance vous avez, savez-vous? 

01 août 2015

L'Ancien

Françoise Tomeno
1er août 2015

Il est souvent là. Il n'a pas de place attitrée. Il s'installe dehors, sur l'une des deux terrasses du bistrot, en été, l'hiver, à l'intérieur, ici ou là.

Il reste toujours un long moment, on vient le voir. On vient s'installer en face de lui. Si la place est occupée, on prend l'une ou l'autre des places restées libres. On lui parle. Il écoute, il parle parfois, toujours calmement, le ton discret, "jamais un mot plus haut que l'autre", comme on dit.

La conversation peut circuler entre tous, il semble toujours en être le destinataire principal. Il a des vertus naturellement apaisantes, en particulier pour Mahmoud, qui compte sur sa présence pour s'installer auprès de lui et arrêter ce mouvement d'inquiétude qui le porte toujours ailleurs. On dirait qu'il vient se ressourcer auprès de lui, auprès de l'Ancien. 

Qui occupera cette place lorsqu'il ne sera plus là? Y aura-t-il même quelqu'un pour l'occuper?