Françoise Tomeno
4 novembre 2012
Jour de Toussaint, jour férié,
jour de vacances des enfants, mais aussi jour de neige : il y a du monde
dans le bistrot de cette petite station du massif de la Chartreuse.
La neige s’est invitée plus tôt
que d’habitude. Elle est un peu comme un ami de la famille qui, alors qu’on
l’attend régulièrement à une certaine date, surprend tout le monde en arrivant
en avance. Un ami que toute la famille aime, qui fait rire les enfants, et
redonne de la fantaisie et de l’amusement d’enfance aux grandes personnes, qui
n’attendent que ça. À son arrivée, toutes et tous, grands et petits, jubilent,
veulent le voir, le toucher, rire avec lui, comme s’il faisait cadeau à chacun
en particulier de son précieux don.
La neige a fait comme ça ;
elle est tombée en abondance il y a quelques jours, prenant de court
chasse-neiges et autres dameuses, transformant les routes en pistes de skis, de
luge, de raquettes, ou tout simplement de ballades à pied.
Et c’est en famille que beaucoup
sont allés à sa rencontre. Au retour, on va se réchauffer au bistrot, et les
chocolats vont bon train.
C’est également en famille que je
suis allée à la rencontre de cette jolie dame. Ma belle sœur offrait un petit
plaisir à ses tout nouveaux skis de randonnée nordique, qui le lui ont bien
rendu. Quant à moi, ce fut raquettes, et circuit court. Mon frère et ma
belle-sœur ont toujours des égards pour ce que nous appellerons pudiquement mon
manque d’entraînement…. Au retour, en attendant notre sportive qui a continué à
gravir la « piste » du Charmant Som (prononcer « son »,
même si « som » veut dire sommet, il y a également le Petit Som, le
Grand Som)), nous nous installons dans le bistrot. Il n’est pas très beau, les
chocolats sont lyophilisés, mais on est bien là, au chaud, après ce premier
contact avec l’hiver.
Un monsieur arrive, tenant contre
lui une petite couverture polaire blanche et bleue. Il s’assied et attend,
tenant toujours la petite couverture contre lui. Il semble n’y avoir personne
dans la couverture. Quelques minutes plus tard arrive une dame, un petit garçon
de 5 ou 6 ans, un autre monsieur, plus âgé, le grand-père, relié par une laisse
à un magnifique Husky, aux yeux d’un bleu à faire fondre l’âme.
On passe commande, on s’installe.
Le monsieur fouille un sac à dos qu’il a posé devant lui sur la table du
bistrot. Il fouille, refouille, farfouille, s’attaque à un deuxième sac à dos
que sa femme a également posé sur la table. Là, à nouveau fouille et
farfouille, le monsieur commence à avoir l’air embarrassé. La maman remarque
qu’il y a quelque chose qui cloche, son visage se décompose. « Je l’ai
oublié », dit papa. Mais qu’a-t-il donc oublié ? Le patron du bistrot
passe à proximité. « Vous n’auriez pas du lait maternisé ? » dit
papa. Et bien oui, malgré les apparences, il y a quelqu’un dans la petite
couverture blanche et bleue, un tout petit bout de bonne femme, dormant
profondément, que l’on découvre au milieu de ce petit drame domestique et
familial. « Non, répond le patron, pour nous, ça n’est plus la « période »,
les enfants sont grands ». Il explique alors que la première pharmacie
ouverte (on est jour férié, je le rappelle) est loin, nous sommes en pleine
montagne. « Il faut aller à X, et il faut au moins une heure aller-retour »..
« C’est là que nous habitons ! » répond papa….
La petiote, elle, ne semble
absolument pas affectée par ce qui se passe. Pourtant maman, sur un ton de
reproche, a dit à papa : « Elle n’a pas bu depuis 10 heures ce matin !», et il est environ
quatorze heures trente…. Palabres à mi-voix, « J’aurais dû m’en occuper
moi-même » dit maman; silences, hésitations.
Alors le grand-père propose de
faire l’aller-retour, d’aller chercher la précieuse boîte de lait en poudre,
et, ainsi, de ne pas empêcher la poursuite de la journée familiale. Ce qui fut
fait. Une bonne demi-heure après le départ de grand père, papa, maman, la
petiote, cette fois-ci harnachée sur la poitrine de maman, le petit gars, se
lèvent et sortent, apparemment pour se balader malgré tout ; mais sans
laisser de message à personne, pas même aux patrons. Mazette ! Et voici
qu’une nouvelle demi-heure plus tard environ, le grand père arrive, tenant la
précieuse boîte de lait telle le saint Graal. Il est tout heureux de sa bonne
action, alerte. C’est alors qu’il découvre le désastre : PERSONNE ! Il cherche du regard, perdu, n'en croyant pas ses yeux. Déçu peut-être? Nous ne le laisserons pas dans le doute plus longtemps. « Ils sont sortis,
sans doute se promener ». Le grand père sort aussi. Ils ne devaient pas
être très loin, nous les voyons revenir peu après. Nouvelle installation,
nouvelle commande, le biberon sort du sac, le lait maternisé va rejoindre son
biberon préféré. Ouf !
Quoi que…. Ça semble une manie,
papa fouille à nouveau un sac, puis l’autre, de plus en plus fébrile. Maman a
un air abattu. « Je l’ai oublié », dit papa. Mais qu’a-t-il encore
oublié, papa ?
Le bavoir !….
Bon, maman trouve une très grande
serviette en papier qu’elle plie en deux, et c’est papa qui donne le biberon.
Notre petiote tête goulûment, l’âme en paix.
Peut-être que papa a l’âme un peu
moins en paix ? En tout cas, ça ne se voit pas.