Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

12 septembre 2011

MADAME, MONSIEUR, LE RETOUR


Entendons-nous bien, le retour, c’est le mien. C’étaient les vacances, je suis venue moins souvent au bistrot, et pas forcément aux mêmes horaires que d’habitude. Mais quand je les vois arriver aujourd’hui, j’ai le sentiment que ce sont eux qui rentrent de vacances. D’autant plus que tout a changé. C’est Monsieur qui, bien que boitillant, arrive le premier, guilleret. Il est entreprenant, et particulièrement avec les deux serveuses qui travaillent l’après-midi. Il papote avec elles au comptoir, les taquine, plaisante, avant d’aller s’installer à sa table habituelle. Madame arrive et se joint à la conversation.

Ils sont transformés : Monsieur est en pantalon et chemisette clairs, Madame porte par dessus un chemisier blanc une chemise pleine de fleurs colorées sur fond bleu foncé, le foulard Hermès a été relégué dans l’armoire et a été remplacé par un foulard beige en mousseline de soie (comment je sais que c’est de la mousseline de soie ? Excusez-moi, mais je suis fille de couturière, et rien qu’à le voir, je reconnais un tissus presque à tous les coups…).

Ils ne chuchotent plus, ils se sont mis à voir le voisinage, et je suis gratifiée d’un bonjour et d’un au revoir. Je suis sidérée. Suffit-il que des jeunes filles soient là, aimables, gaies, quasi affectueuses, pour qu’un vieux Monsieur retrouve de la vigueur et de la fantaisie, pour qu’un vieux couple se réveille et retrouve le goût des autres  ?

On dirait bien que oui !


[1] Voir « Madame, Monsieur »

MAIS QU'EST-CE QU'UN BISTROT?

Françoise Tomeno
12 septembre 2011

C’est le matin, il doit être dans les 9h.30. Un inconnu entre dans le bistrot, plutôt bien sapé, sans être trop chic. Son ton est précis, décidé, presque tranchant : il connaît la vie, lui.

Le Monsieur : « Bonjour. Le chapelier d’en face m’a dit que vous faisiez bistrot. Qu’est-ce que vous avez au menu ce soir ? ».

La jeune serveuse remplaçante, un peu surprise : « …. Euh…non, on ne fait pas à manger ».

Le Monsieur : «  Ah bon ! Alors, qu’est-ce qu’il y a comme bistrot dans le coin ? »

La jeune serveuse, décontenancée, hésite, un peu perdue dans ces évidences qui soudain s’effondrent : «Euh….. Il y a plusieurs restaurants là, sur la place ».

Le Monsieur, brusque, avec un ton quasi méprisant : « Ah non !!! Pas un restaurant ! Un bistrot, enfin ! Autrefois, il y avait la Brasserie X…. »

Perplexité sans fin dans le bistrot. Ça trotte dans les cervelles : mais qu’est-ce alors qu’un bistrot, si ce n’est pas notre café ?

Rentrée chez moi, je pose la question à Robert, au grand Robert. Voici ce qu’il me répond : « Un bistrot, c’est un marchand de vin tenant café, et par extension, c‘est un café. Le mot bistrot est d’origine incertaine ».

« Ah bon ? » dis-je au grand Robert. « Donc, ce n’est pas un restaurant, on ne mange pas, dans un bistrot ».

Le grand Robert, toujours pointilleux, décide d’en référer à Georges, Georges Duhamel, spécialiste des petites scènes de vie. Réponse de Duhamel à Robert: « Petits bistrots de chez nous, petites salles basses, chaudes, enfumées, où trois bougres, épaule contre épaule, autour d’un infâme guéridon de fer bâfrent le boeuf bourguignon, se racontent des histoires, et rigolent, tonnerre ! rigolent en sifflant du piccolo ». Est-ce ce bistrot-là que cherchait notre homme ?

Pas complètement  satisfaits de la réponse de Georges, le grand Robert et moi-même prenons l’avis d’Albert Dauzat, qui publia un Dictionnaire étymologique de la langue française en  1938. Celui-ci nous répond qu’il pense que le mot bistrot peut venir de bistouille ou bistre, mais Dauzat ne veut pas trancher entre les deux possibilités. « Bistouille » nous dit-il, est un « mot du Nord, sans doute de bis, deux fois, et touiller, remuer ».
« Ah oui », lui réponds-je…, mais « bistouille », ça veut dire aussi mauvais alcool, mauvaise boisson, c’est Robert qui me l’a dit… ».

Dauzat reste sans voix, et c’est Robert qui poursuit : « Bistre » signifie « suie détrempée et mêlée d’un peu de gomme, d’où l’adjectif « bistre » , de couleur brun, jaunâtre ».

 Dauzat, en verve, nous raconte également qu’ "il y a une légende espagnole… On sait que dans le Nord et en Belgique les étymologistes amateurs donnent volontiers dans l’hispanisme. Donc sous l’occupation espagnole des soldats avaient apprécié une servante d’auberge qu’ils auraient appelée Mineta, et ils demandaient en arrivant : "Donde esta Mineta ? (où est Mineta ?) ". Les consommateurs n’auraient retenu que les deux derniers mots, dont ils auraient fait estaminet".

Alors là, moi, je biche, parce que ma grand-mère, c’est un estaminet qu’elle tenait. Elle ne s’appelait pas Mineta, mais Marie Tomeno, née Mercier. Si ç’avait été de son temps, on irait maintenant à l’estamarie.

Monsieur exigeant de ce matin, vouliez-vous aller au bistrot, pour la bistouille, au café restaurant, dans un estaminet bistre? J’espère que vous avez trouvé de quoi dîner (ou souper, selon les régions), même si ce n’était pas dans le bistrot de vos souvenirs ou de vos rêves…...