Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

27 juillet 2013

Beau Séjour

Françoise Tomeno
27 juillet 2013

Oui, c'était un beau séjour. Je ne sais plus lequel d'entre nous nous y avait emmenés. C'était sur les hauts, sur le coteau, juste avant les vignes.

Elle nous accueillait là, avec ses cheveux mauves comme les vieilles dames les portaient à l'époque. Toute en rondeur, elle cuisinait comme pas une. La bonne cuisine au beurre, les petits pois maison tout fripés, le rôti cuit à point, qu'elle apportait de sa démarche un peu déhanchée. Elle était tout sourire.

Nous aimions y porter notre jeunesse, peut-être était-elle un peu notre grand-mère. Notre dimanche avait cette saveur du bon vivre.

Et puis la vie nous a emmenés chacun de notre côté, nous avons été plus citadins, et lorsque j'ai voulu y retourner, elle n'était plus là, le Beau Séjour avait fermé.

Ce jour de juin, j'y suis montée à pied. La bâtisse est toujours là, avec son enseigne. Le souvenir de la dame aux cheveux mauves m'a saisie une fois encore, celui de nos jeunesses m'a souri.

J'ai poursuivi mon chemin, croisé le sentier des écoliers. Si vous passez par là, prenez le. Une trouée dans le feuillage, une lumière au bout du sentier. Tout en bas sur votre droite, un potager. Le potager de l'épicerie restaurant cachée là, à deux pas de la belle église romane. Rien que des bons produits: de belles conserves, de beaux produits frais. Il n'est pas rare de voir l'un ou l'autre des cuisinières ou cuisiniers descendre cueillir au potager les herbes dont il va avoir besoin dans les minutes qui suivent. Vous y boirez un verre de Vouvray bien frais, vous goûterez avec gourmandise les pêches en gelée à la verveine. S'il fait beau, vous vous installerez sur la terrasse en bois, sous les feuillages d'une tonnelle, ou sous un parasol. Vous ne manquerez pas de craquer devant les trésors de l'épicerie. Vous pourrez également y passer boire un thé l'après-midi.

Oui, décidément, c'était un beau séjour.





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16 juillet 2013



L'enfant au boudoir

Françoise Tomeno
16 juillet 2013

Elles sont trois autour d'une table, à l'intérieur. Il ne fait pas encore assez chaud pour s'installer en terrasse. L'une d'elle a auprès d'elle une poussette où siège un bambin d'environ une année et demie.
Elles papotent, et ne font guère attention à cet enfant, qui ne semble pas s'en porter plus mal. De façon distraite, celle qui semble être "l'assistante familiale" comme on dit maintenant (il n'y a pas si longtemps on disait "assistante maternelle", et encore avant, "nourrice". Ah, les mots!), tend un boudoir à l'enfant. Celui-ci s'en saisit... et ne le mange pas. Les enfant ont parfois d'autres préoccupations. Il se met à jouer avec le boudoir, et essaie de le faire tenir dans un tout petit espace entre la poussette et la table. Il finit par y arriver. Personne n'a rien remarqué. Après un petit moment, la femme qui accompagne l'enfant (à moins que ce ne soit l'enfant qui l'accompagne quand elle va boire un café avec ses copines?), tourne son regard vers lui, voit le boudoir à cette drôle de place sans pour autant marquer aucun étonnement, le lui redonne tout aussi tranquillement et distraitement, tout en continuant de papoter avec ses copines. L'enfant cette fois prend le boudoir et le mange avec plaisir.

Les enfants sont des chercheurs expérimentateurs infatigables, quand on leur laisse de l'espace pour ce possible. Un espace où la tranquillité de l'une assure la tranquillité de l'autre, où chacun peut vaquer à ses occupations, l'une à son bavardage, l'autre à ses expériences.

Cet espace peut même être celui d'un bistrot.

15 juillet 2013

Bonjour P'tit Jojo

Françoise Tomeno
15 juillet 2013

Le voici à nouveau tout gai. Ca a bien l'air d'aller mieux, la vie, pour lui. Bon, il est encore un peu dépenaillé, mais le sourire est revenu; il n'a plus l'air abattu.

Il vient me saluer comme il fait toujours, mais ne s'attarde pas. Il va droit au comptoir et j'entends "Bonjour p'tit Jojo". Savez-vous qui il salue ainsi? Le poisson rouge de la maison, qui nage, ou plutôt surnage au milieu d'une forêt aquatique installée dans un très grand verre à pied, bistrot oblige, qui sert d'aquarium à P'tit Jojo.

P'tit Jojo: ma foi, en voici un avec qui je n'oserai pas tenir une conversation de bistrot. Mais P'tit Jojo a un ami, alors....

Défait

Françoise Tomeno
15 juillet 2013

J'arrive et je le vois assis à une place où je m'installe souvent, d'où je vois tout le bistrot. "J'ai pris votre place" me dit-il. Je le rassure (si toutefois il en avait besoin). Son apparence m'inquiète: lui qui est d'habitude bien mis, très propre, est aujourd'hui tout dépenaillé. Ses vêtements sont sales, ses cheveux sont gras, il ne s'est pas rasé. 

C'est lui qui fait la manche dans le coin et dont je vous parle parfois. 

Surprise de le voir dans cet état, je lui demande comment il va. J'apprends qu'il a des soucis de santé, qu'il va chez le médecin dans les heures qui suivent, qu'il attend des résultats d'examen.

Je lui adresse quelques mots pour lui signifier de prendre bien soin de lui. 

Après avoir quitté le bistrot, je souris: et si "ma place" lui avait donné un peu de coeur à l'ouvrage de la vie? Allez savoir....

Je vous reçois 5 sur 5

Françoise Tomeno
15 juillet 2013

Je suis en train de lire lorsqu'il arrive. Un gros livre, très sérieux. Comme à l'accoutumée, il s'approche et nous nous serrons la main avec les bonjours d'usage. Pas comme à l'accoutumée, et tout en se dirigeant vers le comptoir, il enchaîne: "Qu'est-ce que vous lisez?" Je suis surprise. Je le connais comme faisant la manche dans le quartier, fréquentant le bistrot régulièrement le matin et ne buvant que de la bière. Le cliché fait que je ne m'attendais pas à ce qu'il s'intéresse à mes lectures. Je me lance alors dans des explications alambiquées: je lis un gros ouvrage sur l'évolution des biotechnologies et les dérives qu'elles peuvent susciter. Toute à mon affaire, j'essaye non seulement de rendre compte de ce que je lis, mais également de l'intérêt que j'y trouve, je bafouille un peu face à cet interlocuteur inattendu. Lorsque je m'interromps, j'entends: "Je vous reçois 5 sur 5". Et notre homme de me donner son avis sur cette évolution, avis que je trouve tout à fait pertinent. Notre conversation sur le sujet prend fin, et il va rejoindre des connaissances qui se sont entre temps assises à une table.

Lorsque je m'en vais, je passe devant la table où il est installé, et il prend le temps, en une minute à peine, de me faire part d'une lecture qu'il a faite, un policier qu'il a jugé remarquable, dont il me donne les références. Toujours à sa façon, gaie et engageante.

Échange 5 sur 5.