Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

29 décembre 2012

La dame aux p'tits légumes

C'est moi. C'est moi, la dame aux p'tits légumes.
J'ai d'abord été "la dame". C'est Sabrina qui m'appelait comme ça quand elle allait passer la commande en cuisine, auprès de Roger, le patron, et néanmoins son mari.

Et puis un jour, Roger, il a proposé "Huîtres à toute heure avec un verre de Chardonnay". Là, c'en était trop, j'ai changé mes habitudes. C'est à dire que j'en ai pris d'autres, parce que les huîtres, elles sont passées direct dans mes habitudes. Le verre de Chardonnay aussi, dans mes habitudes et dans mon gosier.

Du coup, je ne prenais plus de plat principal, comme on dit, et je me suis permis de demander si je pouvais avoir juste des légumes. Roger, ça lui a plu, et il s'est mis à composer des assiettes de légumes de plus en plus garnies, et belles à souhait. Il soignait l'art et la manière, Roger.

Peu à peu, on est devenus plus familiers les uns avec les autres. Je disais juste "Comme d'hab'", et avec Sabrina on riait. Elle s'est mise à changer sa formule en cuisine: "Et pour la dame aux p'tits légumes, comme d'habitude, des huîtres et une assiette de p'tits légumes" (pour le dessert, on voyait ça à la fin, je peux vous dire que l'île flottante de Roger, c'en est une vraie, presque aussi bonne que celle que faisait ma maman, c'est vous dire...).

Un jour, Sabrina me fait la confidence suivante: "L'autre jour, on ne vous voyait pas arriver, Roger se demandait, et moi aussi. Mais vous êtes venue....".
Touchée, que je suis. Roger avait  déjà du composer dans sa tête l'assiette de p'tits légumes.

Sabrina s'éloigne vers son territoire, le comptoir, se retourne, et me dit avec un immense sourire, et d'une voix que j'étais seule à pouvoir entendre: "C'est qu'on prend aussi nos habitudes....".

Désormais, je préviens lorsque je ne peux pas venir comme d'habitude....





28 décembre 2012

L'anniversaire à Delphine

Ce jour-là, je me suis à peine installée chez Delphine qu'elle arrive avec un verre rempli d'une boisson de très belle couleur, chaude, abricot. "C'est mon anniversaire" dit-elle; je m'apprête à me lever et à lui faire la bise, elle voit mon mouvement; "J'ai un an...". Ca m'arrête net. Elle rit. Ce sont les un an de l'ouverture du bistrot nouvelle formule et Delphine offre à tous les clients un coktail de son invention, délicieux.

Peu après arrive un jeune couple avec une toute petite fille dans les bras, la petite Nina, qui doit avoir à quelque chose près l'âge du bistrot de Delphine. Ils s'installent à la table juste à côté de la mienne. Le bistrot est plein. Arrive JB, un familier et ami de Delphine. Mince, plus de place. Qu'à cela ne tienne, la table de la petite famille est grande (la mienne toute petite..), Delphine les invite à partager leur petit bout de territoire avec JB. Affaire conclue.

Je n'écoute pas vraiment, je saisis tout juste des bribes de conversation. JB parle de ses petits enfants, ça cause des petits soucis du sommeil, de celui des enfants, des parents. Je quitte un peu leurs échanges. Et puis j'ai l'oreille attirée, musique oblige, lorsque j'entends prononcer le nom d'Erik Satie. Ca, je le connais, celui-là, j'ai eu plaisir à le chanter, et lors de fêtes ici ou là, il m'arrive de chanter "Le Petit René", "Madame Eustache" et toutes ses petites filles, "Le petit garçon trop bien portant", ou bien "L'Omnibus automobile". Les parents de Nina racontent la naissance de celle-ci, en musique. C'est la maman qui avait choisi les Gymnopédies de Satie. L'occasion pour moi d'échanger quelques mots avec la tablée d'à côté.

Belle petite Nina, vous avez eu une belle entrée dans la vie. Aujourd'hui, jour des un an du bistrot de Delphine, c'est un peu comme si nous célébrions aussi votre naissance.

Sur un air de Jacques Brel

Nous sommes peu de temps avant la Noëlle. Je suis déjà passée au bistrot ce matin, avant ma ballade, j'ai vu Lulu. Échange de quelques mots au-delà des salutations désormais d'usage. On parle de la fête prochaine. Je lui dis que, pour moi, ce sera tranquille, un petit échantillon de la famille autour de ma très vieille maman, qui fatigue si nous sommes trop nombreux. Et je m'enquiers de ce que sera cette soirée-là pour elle, en ayant bien l'idée qu'elle sera probablement seule. C'est ce qu'elle me confirme, à la nuance près qu'elle sera avec Justine, sa petite chienne à la couverture rouge. "Ca doit être un peu dur...", que je lui dis, à Lulu. Oui, ça le sera, un peu. 
Elle repart avant moi. "Je vais chercher ma Justine" dit-elle à voix très basse, sans s'adresser à quelqu'un de particulier.

Lorsque je reviens, il y a une assemblée d'hommes au comptoir, comme souvent. Lulu n'est pas encore revenue. L'un des hommes, Paul, demande: "Vous avez vu Lulu? Vous savez si elle vient manger?". Il semble inquiet pour elle, se préoccuper de la solitude de Lulu en cette période de l'année. Les autres participent à cette préoccupation, on s'interroge: "Va-t-elle venir?".

Mais oui, aujourd'hui, elle vient déjeuner, comme souvent. Je le sais, je lui ai dit "À tout à l'heure", elle a souri d'un sourire entendu, et a esquissé un "oui" balbutié. Sottement, je n'ose pas le dire, qu'elle va être là tout à l'heure.

Enfin la voilà. Elle rentre discrètement par la porte de côté de chez Roger et Sabrina. Elle ne croise pas les galants hommes. Elle installe d'abord "ma pupuce", puis s'assied. L'un des hommes: "Lulu, y a Paul qui s'inquiétait et se demandait si vous veniez aujourd'hui". Je ne me souviens pas de ce qu'elle a répondu, mais je me souviens qu'elle était touchée, et toujours discrète dans la manifestation de cette émotion. On a ses élégances.

Je pense à la chanson de Jacques Brel "Non, Jeff, t'es pas tout seul". Et vous, Lulu, vous n'êtes pas non plus tout à fait toute seule, on se préoccupe de vous.

Et autrement....

Un jour, au moment où je quitte le bistrot et le salue:
" Bonne petite ballade".

Ca alors! Il a repéré que lorsque je venais au bistrot, c'est que je faisais ma petite ballade le long du fleuve. 

Un autre jour, il arrive alors que je suis déjà installée. Il s'approche:
"Et autrement, ça va?".

Je resterai longtemps à méditer cette jolie formule. "Et autrement...". Cela suppose que cette petite phrase ait été précédée d'une conversation sur un sujet qui ne comportait pas la fameuse question: "Ca va?", et qui signale qu'on y passe. Je serai tellement absorbée dans mes pensées que je ne repérerai même pas si, ce jour-là, il a bu son verre de rosé ou un verre de blanc.

Sacré Léon. C'est chaque jour "autrement", avec vous. 

16 décembre 2012

Ca y est, j'ai retrouvé

Ca y est, j'ai retrouvé.

C'est: 

"Avec Maurice, avec Maurice, 
C'est un plaisir de danser la java
Avec Maurice, avec Maurice, 
Pour l'accordéon il est un peu là..."

Vous voyez qu'il y avait un accordéon.

Vous ne comprenez rien? 
C'est que vous n'avez pas encore lu la chronique précédente. Vous avez des excuses, je l'ai mise en ligne il y a moins d'une heure.

Vous verrez, j'avais un trou de mémoire. Comme d'habitude, ça revient d'un coup, comme une évidence. Là, c'est en faisant cuire les endives que c'est revenu. On ne décide pas ces choses là...

Ben mon Léon...

Françoise Tomeno
16 décembre 2012

Bon, ça fait un moment que je ne vous ai pas parlé de Léon.

Nous en étions à ce salut discret, mais bien présent.

Une ou deux semaines plus tard, damned, Lulu est de mauvais poil, susceptible, et prend très mal qu'une dame lui demande comment elle va. Par bonheur, je lui ai juste dit "Bonjour Madame", je l'ai échappé belle. Quant à Léon, il ne m'a pas vue entrer, pas levé le nez de son verre de rosé autour duquel il est toujours aussi enroulé. Mauvaise journée....

Re une ou deux semaines plus tard, il y a un monde fou dans ce bistrot. Je ne peux pas m'installer dans mon secteur habituel et je dois me replier, avec délices cependant, près de la baie vitrée, là où il y a la lumière et les bouquins. Oui, le frigo du Livr'échange n'est plus là, il a pris la poudre d'escampette. J'ai ma petite idée là-dessus, il va falloir qu'un jour je vous en parle. Et puis ça permettra à celles et ceux qui ne suivent pas, qui ont raté les épisodes précédents, de se remettre à niveau.

Mais pour le moment, c'est mon Léon qui est au centre de mon récit. Il est déjà là lorsque j'arrive, notre petit salut discret, tout est en ordre.

Sur l'étagère aux bouquins, je vise un très grand et gros livre, à la belle couverture cartonnée, avec une illustration en son milieu. Des personnages façon années trente/quarante. Je feuillette, il y est question de scoutisme. Les jeunes gens portent des pantalons à la Tintin, culotte de golf, les jeunes femmes ont la coupe à la garçonne. Rien que du beau monde bien convenable, assis sur des canapés bien à distance. Ca sent la proche demande en mariage de la demoiselle à son cher papa, et les fiançailles.

Je ris toute seule, avec discrétion bien sûr. Quand, soudain, je vois approcher une ombre courbée et décidée: mon Léon! Ca alors! Qui vient s'intéresser au livre. "Un beau livre!". Il tâte, feuillette. Je commente en disant que je n'ai pas trouvé la date de l'édition, Léon se met à chercher, trouve pas non plus. Encore quelques mots, puis il s'en va.

Mais ça n'est pas fini. Encore un peu de temps plus tard, j'arrive au bistrot après Léon, il est sur le chemin qui mène à ma place. Il lève le nez, me tend la main, et me dit "Ca va?". Eh! J'en fais autant, ma foi! Ca va, pour Léon, avec le temps, vous savez, le temps qu'il fait, des fois grisailles, mais aujourd'hui c'est soleil, il dit que c'est bien, Léon. Et puis aujourd'hui il boit du blanc. C'est peut-être à cause du soleil et du  p'tit blanc qu'il est plus engageant?

Lors de ma ballade au bord du fleuve, me viendra tout naturellement une chanson que je chantais autrefois sur les marchés (Il y en a qui ne suivent pas? Encore? Ca n'est pas les mêmes que tout à l'heure. Va aussi falloir que je fasse une leçon de rattrapage?), mais je change un prénom, et ça donne "Avec Léon, avec Léon, c'est un plaisir de danser la java, avec Léon, avec Léon, ...." et là je bute sur la suite. Pas moyen de retrouver. Faudra que je fasse une descente à la cave, je devrais retrouver ça dans un carton (Oui, y a aussi du blanc, à la cave, pas de rosé, mais je ne bois jamais quand je chante!).

Enfin, le principal, c'est que je réalise que je danserais bien la java avec Léon, au son de l'accordéon, comme dans la chanson, Léon. 

Dans la chanson, c'est Maurice: "Avec Maurice, avec Maurice, c'est un plaisir de danser la java..."

Avec Léon, avec Maurice, avec qui veut, je danserais bien la java.
Sauf que je sais pas danser.
Je crois que ça n'a pas d'importance... mazette!

15 décembre 2012

On va rire, madame K

Françoise Tomeno
15 décembre 2012

Elle est de mauvaise humeur, aujourd'hui, madame K. Entre la tristesse et le désabusement. Allez, j'ai terminé mon travail pour ce soir, j'ai amené un roman, je peux attendre pour le lire. Causons causons, chère madame K. 

Au cours de notre conversation, il me semble voir qu'elle ne porte pas la bague brillante qui est pour elle la trace d'un bel amour. 
"Vous n'avez pas mis votre belle bague?"
"Si, me dit-elle, tournant un anneau qu'elle porte à l'annulaire gauche". Et la bague apparaît.
"J'ai maigri, elle tourne".

Elle a maigri? Nous voilà parties en direction des fourneaux... 
"Vous ne mangez pas beaucoup?"
Quand c'est ce genre de questions, elle borborygme des sons entre ronchonneries et sourire retenu du plaisir qu'elle a à ce que l'on se préoccupe un peu d'elle.
"Vous vous faites à manger, au moins?"
Nouveaux borborygmes, et nouvelles ronchonneries.

"Oh, je crois que je vais venir vous faire de la popote!".
Elle éclate de rire, moi aussi.

Je suis heureuse, chère madame K, j'ai réussi à vous faire rire un peu.

Mais nous n'en restons pas là. En filles, après avoir parlé cuisine, nous voilà du côté des chapeaux, de pluie en particulier, c'est de saison....
"J'ai un chapeau, mais je ne le mets pas" me dit-elle.
"Dommage".

Nous poursuivons notre petite route conversationnelle sur d'autres sujets.

Soudain, comme elle est, avec une certaine brusquerie: "Vous partez dans combien de temps?". Je le lui dis. Elle se lève, me donne son sac et ses gants: "Je reviens, je vous confie ça". 
Blurp, je n'ai pas eu le temps de dire ouf....

Mais où va-elle donc?

Elle revient un bon quart d'heure plus tard, avec... son chapeau de pluie sur la tête, recouvert par la capuche de son imperméable. Elle dévoile "the" chapeau, toute riante. Et nous voilà examinant le chapeau, c'est du cuir, peut-être, peut-être pas.

Plaisir tout simple des fanfreluches de filles, rires. 
Décidément, je vous aime bien, madame K......


14 décembre 2012

Madame, Monsieur, lumière d'automne

Françoise Tomeno
13 décembre 2012

Aujourd'hui, elle arrive la première. Elle est toute belle avec son manteau de fourrure (fausse, pour les âmes sensibles!), et sa toque de fourrure également. Elle se tient bien droite, bien qu'elle ait une canne à la main. Elle est souriante, elle a l'air en forme. Elle porte toujours un foulard, mais ce jour, il est à dominante rouge vif, joyeux.

Bien sûr, je me lève dès que je la vois pour aller la saluer. Je lui tends la main. "Bonjour, vous allez bien?" - "Bonjour", me répond-elle, "Hum, j'ai mal au dos...". Elle ne s'éternise pas sur la question et enchaîne tout de suite: "Cela fait un moment que je ne vous ai pas vue.... je vous embrasse". Et nous nous embrassons, je remballe ma main.... "Ah, ça fait tout.....",  elle ne termine pas sa phrase. À la place des mots qui manquent, elle se tapote les joues. Ca lui fait plaisir, c'est ça que ça lui fait. Mais ce petit geste sur ses joues qu'elle tapote! Ca lui fait tout chose, à Madame? Peut-être la douceur de ces joues qui s'embrassent? Peut-être un peu des effluves de  parfum qui se croisent? Ou plutôt un certain indéfinissable qui se joue des mots? Elle ajoute: "Vous voyez, j'ai une canne. C'est celle de mon mari; il cherche une place pour la voiture. Il a un macaron de handicapé, mais les places réservées étaient déjà prises". 

Vous me touchez, Madame. Cette pudeur, cette élégance que vous avez en évoquant avec discrétion le plaisir des retrouvailles.

Madame va alors s'asseoir et attend Monsieur.

Peu après, Monsieur arrive, toujours un peu plus courbé par l'âge au fur et à mesure des jours qui passent. Je me lève à nouveau. Nous nous saluons, en nous serrant la main. "Ca va?" Peut-être n'a-t-il pas très bien entendu, il hésite une seconde. "Vous avez vu? Je suis beau? Je me suis fait coiffer ce matin".

Vous aussi, Monsieur, vous me touchez. Cette coquetterie que vous affichez, sûr de vous, tout boitillant que vous êtes.

Vous rejoignez Madame.

En repartant, vous me saluerez discrètement. Madame prendra le temps de me souhaiter bon courage après m'avoir demandé si je travaillais.

J'ai été ravie de vous revoir, Madame, Monsieur. 


12 décembre 2012

La patate au gingembre

Françoise Tomeno
12 décembre 2012

Lorsque nous nous apercevons, nos deux bras droits se lèvent, son bras gauche est bien occupé par le plateau qui supporte les tasses qu'elle est en train de desservir, le mien par mes sacs. Et nous nous embrassons "comme du bon pain" (je n'ai jamais compris d'où venait cette expression, mais je la trouve jolie).

Le dialogue est toujours bref. Elle travaille et n'a pas beaucoup de temps, encore qu'elle fasse suffisamment attention aux personnes qu'elle sert pour en prendre un peu, du temps. Et puis, point n'est besoin de tonnes de paroles pour prendre des nouvelles de nos petites météos personnelles.
"Ca va?"
"Ca va. Et vous?"
"Ca va, j'ai la patate", me dit-elle. "Je fais une cure de gingembre".

Damned, une cure de gingembre, qui donne la frite, la patate, quoi.

Elle repasse près de ma table: "Je vais vous donner la recette".

Ce qui fut fait. Mais ma mémoire n'a pas tout retenu. Du citron pressé, mais je ne sais pas combien, quarante grammes de gingembre frais râpé. Et puis le reste, je ne sais pas, je ne sais plus.

Mais je crois que chacun peut inventer à sa guise... Du moment qu'il y le gingembre pour la patate.

Ne pas abuser cependant....

Cappuccino dry

Françoise Tomeno
12 décembre 2012

Dans un des bistrots que je fréquente, un des serveurs, Michel, me fait une petite faveur. Le crème déborde d'une mousse de lait onctueuse, et il met par dessus un petit peu de chocolat en poudre.

C'est comme le canada dry:  ça a l'apparence du cappuccino, ça a le goût du cappuccino, et ça n'est pas un cappuccino. Juste un peu de moins de mousse, juste un peu moins de chocolat.

Mais c'est une faveur,
mais c'est un cadeau...

Merci, Michel.

Chouchou au bistrot

Françoise Tomeno
12 décembre 2012

Il y a du monde cet après-midi. Je n'ai trouvé qu'une place à un petite table. J'essaie de contenir tout mon bazar, livre, feuilles pour noter, réparties en plusieurs tas, crayon, stylo. Je me concentre et sur le fait d'essayer que rien ne tombe, et sur la tâche elle-même. Je prépare l'accueil d'une amie qui vient présenter très prochainement un de ses ouvrages dans le cadre d'un séminaire, et j'ai à coeur de faire ça bien.

À un moment de ma concentration, j'aperçois sur le côté, tout en bas, une chose courte sur pattes, à poils longs blancs et noirs. C'est Chouchou. Au moment même, il fait connaissance avec une autre chose à pattes, un peu plus petite que lui, toute blanche, à poils longs également. J'ignore le nom de cette petite chose, personne ne se souciant de faire les présentations. Mais cela n'empêche pas nos deux amis de faire connaissance.

Chouchou n'est pas seul. Il est suivi de sa patronne, une dame assez ronde, avec un bonnet rose. La dame est morose: "Il y en a du monde", dit-elle, "je n'aime pas ça". Heu, alors, il vaut  peut-être mieux ne pas venir au bistrot?

Bon, cela ne me regarde pas, au fond. 

La dame au chapeau rose finit par trouver une place comme la mienne, toute petite aussi. Chouchou n'est pas en laisse, contrairement à la petite chose. Madame au chapeau rose l'appelle, il traînasse un peu dans le coin de sa copine. "Allez viens, Chouchou, viens".

Et voilà que mon chouchou obtempère sur le champ. Bien docile, mon chouchou....




09 décembre 2012

Au Duroc

Françoise Tomeno
9 décembre 2012

Pause au Duroc après la journée de travail. Nous sommes trois collègues, trois amies. 
Cette association nous offre cette belle qualité d'amitié, d'affection. Dans nos discussions de travail, de l'estime, de l'attention, du désaccord animé, de l'humour, de la tendresse. On croit rêver, c'est si rare dans les groupes.

Papotage de filles, la météo des âmes. 

Agnès part la première, son train est gare du Nord. J'ai failli ne pas voir le temps passer et rater le mien. Heureusement, Evelyne veillait.

Nous allons payer au comptoir. Je me suis bien couverte, il fait froid, j'ai mis mon bibi qui fait un effet années 20.

Un couple est assis au comptoir. L'homme regarde mon chapeau: "Vous avez un beau chapeau!...". Je ris: "Je l'ai acheté au marché".
"Au marché Raspail?", demande la femme, qui doit être du quartier.`"Non, au marché chez moi, là où j'habite".
"Vous devez l'avoir acheté très récemment, vous avez l'air si contente de le porter".

Bingo, je l'ai acheté il y a trois jours. 
Entre filles, on sait ces choses-là?

Je donne ma part d'argent à Evelyne, je ne m'attarde pas, mon train ne va pas m'attendre. Bien emmitouflée et surmontée de mon bibi rouge et noir, je file.

Si ce bibi fait rêver les gens, eh bien tant mieux, un peu de gaieté, ça ne fait pas de mal.

Au chien qui fume


06 décembre 2012

4 psys au Chien Jaune

Françoise Tomeno
6 décembre 2012

Cathy repart samedi pour St Pierre et Miquelon. Elle est native de là-bas, travaille là-bas. Cette année, comme les années précédents, elle a pu obtenir des formations sur le continent, et en profite pour rencontrer des collègues.

Et ce soir, grâce à elle, nous nous retrouvons pour dîner au Chien jaune, nous quatre, collègues et amis, Cathy, Marie-Claude, Pascal et moi-même. Nous avons partagé par le passé des moments de travail riches, lors de réunions qui avaient lieu une fois par mois.

Autour de la table hexagonale (octogonale?), sur le lieu de travail de Pascal, nous nous retrouvions  à une petite dizaine autour d'un café qu'il nous préparait, avec cette attention qui le caractérise. Nous commencions la réunion, tout en attendant le coup de fil de Cathy qui nous appelait depuis ses îles. Là-bas, c'était l'après-midi,  chez nous c'était après le dîner. Ah ces étonnantes réunions, avec Cathy au bout du fil, participant à la réflexion et aux discussions parfois fort animées. Tout cela n'était pas exempt d'humour.

Ce soir, la table est rectangulaire, le décor genre vieux bistrot début XXème. Notre amitié nous trouve dans la fantaisie, l'invention, le rire. Ca fuse.
Nous parlons de ce travail passé, de l'évolution des services, mais aussi de certains de nos patients, petits ou grands, qui ont parfois l'art de nous bousculer, avec tendresse, humour. 

Et puis nous évoquons le fait que nous n'allons pas nous revoir tous les 4 avant peut-être un an, lorsque Cathy reviendra. Et dans ce bistrot où nous sommes bien, où la cuisine est excellente, nous voilà débordant d'imagination loufoque, inventant des colloques à Saint Pierre ou Miquelon, colloques aux titres les plus improbables. Bien sûr, le Comité Scientifique et d'organisation, c'est nous, nous serons aussi les intervenants et le public. Le programme se promène entre sérieux et  décalé.
Faudrait trouver un sponsor; on va lui vendre le mot "communication", en ce moment ça marche, même si ça ne veut pas dire grand chose de précis.
Nos éclats de rire se propagent dans le bistrot. Nous frisons le fou-rire, nous le laissons éclater.

Autour de nous, chacun, chacune, poursuit sa conversation, sans se soucier de notre bonne humeur et de notre fantaisie. C'est bien ainsi. C'est une des vertus des bistrots de permettre que se poursuivent des vies parallèles.

Il est tard, chacun doit retourner "à la maison". Nos rires se transforment en émotion lorsqu'il faut dire au-revoir à Cathy. Nous restons gais cependant, même si un peu de gravité s'est glissée entre nous.

Ce bistrot ne le saura jamais, mais il a permis qu'ait lieu cette belle rencontre, au cours de laquelle notre fantaisie est allée puiser sa loufoquerie dans les capacités d'inventions de l'enfance.

Merci, Cathy.....



Le culot de Madame K

Françoise Tomeno
6 décembre 2012

Je ne l'avais pas revue depuis un bon moment. Je pensais même qu'elle était partie en vacances. Je bouquine. Elle entre dans le bistrot, je m'attends à ce qu'elle jette un coup d'oeil dans ma direction, comme elle le fait toujours. Elle n'a pas même un regard. Elle se dirige vers l'arrière du bistrot, où elle ne va jamais. Je m'étonne, mais ne me manifeste pas, je ne reste pas longtemps aujourd'hui. Je lui ferai signe lorsque j'irai prendre mon manteau.

Le moment venu, je me dirige vers le porte-manteau à l'entrée, et là je la vois. Elle s'est installée à côté de Didier, un habitué qu'elle connaît. Celui-ci semble avoir du mal à maintenir le cap de son activité sur son ordinateur. C'est qu'elle est bavarde, Madame K, lorsqu'elle s'y met. 
Je m'approche, sourires réciproques. 

-"Ca fait longtemps que je ne vous avais pas vue... Vous étiez en vacances?"

-"Non.... j'y pars bientôt.
................
Je vous ai manqué?"

-"Euh... oui.... je me faisais même du souci"

Elle est radieuse comme jamais!

Elle m'a soufflée par son beau culot.

Oui, Madame K, vous m'avez manqué, même si parfois vous ne mesurez pas bien les limites. Lorsque, par exemple, je voudrais bien, pendant un petite pause, lire un peu, ou travailler. Si c'est du travail, j'arrive à vous dire "On parle un quart d'heure, après, j'ai du boulot". Alors, à la fin de notre temps de bavardage, lorsque je dis que je reprends mon travail, vous filez sans même le temps d'un au-revoir.  Cependant, cette façon de partir sans laisser l'adresse d'un sourire, ne signifie pas que vous êtes fâchée. C'est simplement que vous êtes déjà ailleurs, sur la terrasse par exemple, en train de fumer votre clope. La fois suivante, vous aurez toujours ce même sourire heureux de nos retrouvailles.

Si c'est un roman que j'ai emporté à lire au bistrot, alors là, j'ai du mal à vous refuser la conversation. Je n'ai plus ce prétexte noble du travail. C'est là que nous menons nos plus longues conversations, au cours desquelles, par petites touches, vous livrez quelques bribes de souvenirs, quelques allusions à la dureté de la vie. Presque toujours, nous arrivons à rire, malgré tout.

03 décembre 2012

Casquette ou pas casquette?

Françoise Tomeno
3 décembre 2012

Cette fois, je ne me suis pas égarée jusqu'à aller m'asseoir à la place de Lulu, qui est aussi celle de Léon lorsque Lulu n'est pas là.

Lulu arrive la première. Elle s'installe à sa table. Léon la suit de près, la place est prise, il se dirige vers sa position de repli. L'un et l'autre me saluent. Oui, Léon me salue, et ça, c'est nouveau. Aujourd'hui, il me salue même vraiment, et avec le sourire, s'il vous plaît, Madame. Il est installé juste devant moi. Je vois son dos, à Léon. Ce dos courbé. 

Cela faisait deux trois fois que je croisais Léon à ma sortie du bistrot, lui, il y arrivait pour prendre son rosé du matin. On ne se saluait pas, il ne me voyait pas, Léon, courbé parfois sur une canne, ou sur rien, la casquette enfoncée jusqu'aux yeux.

Un jour pas comme les autres, c'est lui qui sortait alors que j'arrivais. Surprise: je vois un haut de casquette se lever doucement, suivi de près par deux yeux, et j'entends un timide bonjour, à peine perceptible. J'en suis toute émue, et je réponds avec la même discrétion, la casquette en moins. Pourtant, des casquettes, j'en ai porté, lorsque j'étais chanteuse de rues, et dans un spectacle Alfred Jarry dans lequel j'incarnais, dans la chanson du décervelage, un ouvrier ébéniste bien trempé.

Quelques jours plus tard, Léon est déjà installé lorsque j'arrive. Même mouvement de casquette, d'yeux, même timide bonjour, même réponse de ma part. Cette fois-ci encore je suis touchée.

Alors, comme ça, Lulu et Léon m'ont accueillie chez eux. Non pas que je ne me sente pas chez moi dans le bistrot. Mais ils ont une bonne longueur d'avance sur moi dans leur fréquentation de ce lieu. Alors leur bonjour, ça me fait craquer.

Maintenant que je suis des leurs, dois-je remettre une casquette? Parce que, vous savez, Lulu, depuis qu'il s'est mis à faire mauvais, comme on dit, elle porte aussi une casquette. Ca protège bien, les casquettes. La casquette à Lulu, elle ressemble à s'y méprendre à celle que je portais sur les marchés. Celle-ci, elle a pris les mites, j'ai du m'en débarrasser. Celle de l'ouvrier ébéniste, je l'ai toujours, une belle casquette en velours noir, velours façon compagnon du Tour de France. Certes, je chante à nouveau, mais je ne chante plus dans les rues (dommage d'ailleurs...), je chante, je travaille  Brahms. Vous voyez un peu, Brahms en casquette? 

Et puis, ma "communauté" avec eux, c'est pas obligé que ça se voit, ils n'en sauront jamais rien. Mais dans mon FI, comme dirait Fred Vargas (j'aime beaucoup Fred Vargas), mon For Intérieur, je le saurai, et ça suffira bien.

27 novembre 2012

Ballet de dames

Françoise Tomeno
27 novembre 2012

Allez savoir pourquoi! Ce matin là, je m'installe à la table, et même à la place qu'occupe d'habitude Lulu. J'y pense bien un peu en le faisant, mais bon, elle n'est pas réservée, cette table. Et puis Lulu n'est pas là. Et puis je l'aime bien cette table, avec sa petite nappe blanche à pois verts, ou l'inverse, verte à pois blancs. Je ne sais plus très bien, il faudra que je regarde mieux la prochaine fois.

Je suis obligée de sortir, on m'appelle pour ma maman, qui vieillit encore un peu plus, est perdue dans la vie, devient un peu tyrannique, exigeante. 

Ca dure un moment, je ne vois pas Lulu arriver. Lorsque je rentre dans le bistrot, Lulu a pris sa place, ma place, enfin la place que je lui avais prise. Surprise, qu'est-ce que je fais? Il y a mes affaires sur la table, mon petit crème, un journal, un bouquin. Mon sac est assis à la place à côté de Lulu, la place du chien de Lulu, de la chienne à vrai dire, Justine, la p'tite, pupuce. Je fais quoi, moi? Ben,... en premier, je m'excuse: "Excusez moi, j'ai pris votre place". "Ca ne fait rien, vous pouvez rester" me dit Lulu. Alors je m'installe à la place de pupuce. Sans la petite couverture polaire rouge que Lulu enroule d'habitude autour de Justine si précautionneusement. J'ai de la chance, ma pupuce n'est pas là aujourd'hui, ça simplifie la réflexion.

Je suis juste un peu gênée. Lulu aussi visiblement. C'est qu'on ne se connaît pas beaucoup. Tout de même, se retrouver toutes les deux à la même table alors qu'il y a plein de places dans le bistrot, c'est quand même bizarre, non? Lulu se lève, et va chercher son café au comptoir. Je ne l'avais jamais vu faire ainsi. Moi, j'ai commandé un autre crème, histoire d'avoir une contenance auprès de Lulu. Lulu revient s'asseoir, c'est moi qui me lève pour aller chercher mon crème. Je me demande si nous allons passer le moment à nous croiser ainsi.

Mais non, Lulu engage la conversation: "Fait humide". "Oui, et il y a du vent. Je n'aime pas quand je dois prendre la route et qu'il y a du vent". "Oui, surtout sur la levée de la Loire". Je précise alors que je vais travailler dans le Loir et Cher.
Lulu:"Vous restez où?".

Je suis toute chose. Cela fait des années que je n'ai plus entendu cette expression "vous restez" pour dire "vous habitez". Je cherche où j'ai entendu ça. Il y a longtemps, je ne  sais plus.

Je lui explique où j'habite, que j'ai la chance d'avoir une très belle vue sur une rivière. Et je lui retourne la question: "Et vous, vous habitez où?" "Sur l'île", me dit-elle fièrement. Veinarde, Lulu. Je rêve d'habiter sur cette île, fausse île, depuis des lustres. Surtout dans la grande maison qui a un balcon en bois face à la Loire. Veinarde, Lulu.

C'est l'heure pour moi de partir. Je laisse Lulu récupérer son espace, sa table, sa place, l'intruse s'en va. Mais Lulu ne ne me tiendra pas rigueur de mon audace. 

18 novembre 2012

Différences

Françoise Tomeno
18 novembre 2012

Pause au Chien Qui Fume. Nous avons bien travaillé aujourd’hui, nous poursuivrons demain. Pour rejoindre le bistrot, nous remontons l’avenue, où se déroule une importante manifestation. Nous comprenons assez rapidement, en lisant les pancartes, qu’il s’agit de la manifestation « contre le mariage pour tous ». Des manifestants s’arrêtent dans les différents bistrots situés tout le long de l’avenue, le Chien Qui Fume n’y échappe pas.

Une fois installées dans le bistrot, nous pouvons suivre le passage du défilé. Dans la rue, et dans le bistrot, quelques manifestants se sont coiffés de perruques, la plupart de couleur fluo. Des enfants ont été mis à contribution, et portent, eux aussi, des coiffes extravagantes, également fluo. Tout ce petit monde ne serait-il pas en train de singer les travestis ? Rabattre la question de l’homosexualité sur celle des travestis, c’est bien limité, comme réflexion…. Et quelle haine s’exprime-là, quel mépris pour l’autre et pour sa différence ?

Au chien qui fume, Paris




15 novembre 2012

Simplement

Françoise Tomeno
15 novembre 2012

Ca faisait un moment que je ne la voyais plus. Elle m'avait abordée un jour très simplement. Elle s'était installée à la table à côté de la mienne, et elle m'avait demandé si j'étais professeur. Il faut dire qu'avec les bouquins qui m'accompagnent toujours dans mes virées au bistrot, ça peut prêter à confusion. Je lui avais donc dit quel était mon métier. Elle m'avait alors parlé du fait que la vie l'avait conduite, il y avait un moment déjà, vers des gens qui pratiquaient le même genre de métier. Sa simplicité à parler de cela m'avait touchée. Elle n'avait pas débordé, nous plaçant à égalité devant la vie. C'est rare.

Et puis je ne l'avais plus vue pendant plusieurs mois. Je me faisais du souci. Je ne connaissais que son prénom (je m'en souvenais bien, c'était le "petit nom" que ma maman donnait à ma soeur lorsque nous étions enfants), et j'étais convaincue, au vu de sa discrétion, que personne au bistrot ne connaissait son nom. Peut-être même que personne n'avait remarqué son absence.

Sa simplicité me manquait.

Un matin je l'ai vue arriver. Plaisir de se retrouver. Elle allait bien. Nous avons à nouveau parlé de tout, de rien, des petites choses de la vie. Pas besoin de se la raconter, la vie. Juste quelques évocations, et c'est bien.

J'étais contente.

13 novembre 2012

Rosa rosa rosam rosae... rosé?

Françoise Tomeno
13 novembre 2012

Je suis déjà installée quand il arrive. Il se met toujours à la même place, Léon.

"Qu'est-ce que tu veux, Léon? Un rosé?" demande Armelle, de service ce matin là.
Léon prend toujours un rosé, même un peu tôt le matin.

Et là j'entends Léon marmonner: "Rosa rosa rosam rosae rosis rosae". Il rit tout seul.

Ca alors. Léon connaît le latin? À moins que ça ne soit le souvenir de la chanson de Jacques Brel?

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis


C´est le plus vieux tango du monde
Celui que les têtes blondes
Ânonnent comme une ronde
En apprenant leur latin
C´est le tango du collège
Qui prend les rêves au piège
......
C´est le temps où j´étais dernier
Car ce tango rosa rosae
J´inclinais à lui préférer
Déjà ma cousine Rosa

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis


Rosé, Léon? Une cousine Rosa se cache peut-être derrière votre rire, en douce?

10 novembre 2012

Le style, toujours....

Un habitué: "Un café s'il te plaît".
Michel, le serveur: "Un petit café plaisir?"

07 novembre 2012

La perceuse à Momo

Françoise Tomeno
7 novembre 2012

Momo était de passage cet après-midi-là. Je l'ai vu arriver avec un de ces grands sacs en plastique dont il a le secret, et qui changent souvent, Momo, c'est le roi de la récupe. Il a été poser son sac sur la terrasse, et est entré avec à la main une perceuse quasiment hors d'âge (même si je ne 'y connais pas grand chose en perceuse, elle avait un look vieillot).

Tenant la perceuse comme une kalashnikov, il ne voyait personne d'autre que sa trouvaille, et que les deux jeunes serveuses qu'il avait choisies comme témoin (c'est toujours les serveurs et serveuses qui sont les témoins de Momo, nous, on vient après, des fois, pas toujours). 

Fier de son butin, il annonçait l'arrivée imminente des forets allant avec la perceuse (je n'ai pas compris s'il les avait déjà ou s'il en cherchait). Je ne me suis pas aventurée à aller saluer Momo, il n'avait d'attention pour rien d'autre que pour son engin, et semblait avoir été entièrement avalé par celui-ci.

Je lui dirai bonjour un jour où il sera moins absorbé....

Une affaire de style

Françoise Tomeno
7 novembre 2012

Michel est serveur dans un des bistrots que je fréquente régulièrement. Il m'a une deuxième fois surprise par son sens de la formule. Je l'avais entendu dire, il y a quelque temps, à un client assis au bar et enfoui dans son journal au point d'en oublier de commander: "Vous désirez, Monsieur?".

Aujourd'hui, la formule était: "Qu'est-ce qui vous ferait plaisir?";

Joli...

Les garçons de café (et les filles également, mais on ne dit pas "les filles de café", ça ferait même mauvais genre...) ne demandent généralement rien aux clients. Ils disent bonjour et attendent la commande, qui ne tarde pas: "Bonjour, un café s'il vous plaît".

Si un client est un peu lent à la détente, on entendra alors "Qu'est-ce que je vous sers?", ou bien "Qu'est-ce que vous prendrez?". Mais "Vous désirez?", c'est quand-même plus rare, quant à "Qu'est-ce qui vous ferait plaisir?", là c'est inattendu.

Il a du style, Michel.

04 novembre 2012

Familles ordinaires en montagne


Françoise Tomeno
4 novembre 2012

Jour de Toussaint, jour férié, jour de vacances des enfants, mais aussi jour de neige : il y a du monde dans le bistrot de cette petite station du massif de la Chartreuse.

La neige s’est invitée plus tôt que d’habitude. Elle est un peu comme un ami de la famille qui, alors qu’on l’attend régulièrement à une certaine date, surprend tout le monde en arrivant en avance. Un ami que toute la famille aime, qui fait rire les enfants, et redonne de la fantaisie et de l’amusement d’enfance aux grandes personnes, qui n’attendent que ça. À son arrivée, toutes et tous, grands et petits, jubilent, veulent le voir, le toucher, rire avec lui, comme s’il faisait cadeau à chacun en particulier de son précieux don.

La neige a fait comme ça ; elle est tombée en abondance il y a quelques jours, prenant de court chasse-neiges et autres dameuses, transformant les routes en pistes de skis, de luge, de raquettes, ou tout simplement de ballades à pied.

Et c’est en famille que beaucoup sont allés à sa rencontre. Au retour, on va se réchauffer au bistrot, et les chocolats vont bon train.

C’est également en famille que je suis allée à la rencontre de cette jolie dame. Ma belle sœur offrait un petit plaisir à ses tout nouveaux skis de randonnée nordique, qui le lui ont bien rendu. Quant à moi, ce fut raquettes, et circuit court. Mon frère et ma belle-sœur ont toujours des égards pour ce que nous appellerons pudiquement mon manque d’entraînement…. Au retour, en attendant notre sportive qui a continué à gravir la « piste » du Charmant Som (prononcer « son », même si « som » veut dire sommet, il y a également le Petit Som, le Grand Som)), nous nous installons dans le bistrot. Il n’est pas très beau, les chocolats sont lyophilisés, mais on est bien là, au chaud, après ce premier contact avec l’hiver.

Un monsieur arrive, tenant contre lui une petite couverture polaire blanche et bleue. Il s’assied et attend, tenant toujours la petite couverture contre lui. Il semble n’y avoir personne dans la couverture. Quelques minutes plus tard arrive une dame, un petit garçon de 5 ou 6 ans, un autre monsieur, plus âgé, le grand-père, relié par une laisse à un magnifique Husky, aux yeux d’un bleu à faire fondre l’âme.

On passe commande, on s’installe. Le monsieur fouille un sac à dos qu’il a posé devant lui sur la table du bistrot. Il fouille, refouille, farfouille, s’attaque à un deuxième sac à dos que sa femme a également posé sur la table. Là, à nouveau fouille et farfouille, le monsieur commence à avoir l’air embarrassé. La maman remarque qu’il y a quelque chose qui cloche, son visage se décompose. « Je l’ai oublié », dit papa. Mais qu’a-t-il donc oublié ? Le patron du bistrot passe à proximité. « Vous n’auriez pas du lait maternisé ? » dit papa. Et bien oui, malgré les apparences, il y a quelqu’un dans la petite couverture blanche et bleue, un tout petit bout de bonne femme, dormant profondément, que l’on découvre au milieu de ce petit drame domestique et familial. « Non, répond le patron, pour nous, ça n’est plus la « période », les enfants sont grands ». Il explique alors que la première pharmacie ouverte (on est jour férié, je le rappelle) est loin, nous sommes en pleine montagne. « Il faut aller à X, et il faut au moins une heure aller-retour ».. « C’est là que nous habitons ! » répond papa….


La petiote, elle, ne semble absolument pas affectée par ce qui se passe. Pourtant maman, sur un ton de reproche, a dit à papa : « Elle n’a pas  bu depuis 10 heures ce matin !», et il est environ quatorze heures trente…. Palabres à mi-voix, « J’aurais dû m’en occuper moi-même » dit maman; silences, hésitations.

Alors le grand-père propose de faire l’aller-retour, d’aller chercher la précieuse boîte de lait en poudre, et, ainsi, de ne pas empêcher la poursuite de la journée familiale. Ce qui fut fait. Une bonne demi-heure après le départ de grand père, papa, maman, la petiote, cette fois-ci harnachée sur la poitrine de maman, le petit gars, se lèvent et sortent, apparemment pour se balader malgré tout ; mais sans laisser de message à personne, pas même aux patrons. Mazette ! Et voici qu’une nouvelle demi-heure plus tard environ, le grand père arrive, tenant la précieuse boîte de lait telle le saint Graal. Il est tout heureux de sa bonne action, alerte. C’est alors qu’il découvre le désastre : PERSONNE ! Il cherche du regard, perdu, n'en croyant pas ses yeux. Déçu peut-être? Nous ne le laisserons pas dans le doute plus longtemps. « Ils sont sortis, sans doute se promener ». Le grand père sort aussi. Ils ne devaient pas être très loin, nous les voyons revenir peu après. Nouvelle installation, nouvelle commande, le biberon sort du sac, le lait maternisé va rejoindre son biberon préféré. Ouf !

Quoi que…. Ça semble une manie, papa fouille à nouveau un sac, puis l’autre, de plus en plus fébrile. Maman a un air abattu. « Je l’ai oublié », dit papa. Mais qu’a-t-il encore oublié, papa ?

Le bavoir !….

Bon, maman trouve une très grande serviette en papier qu’elle plie en deux, et c’est papa qui donne le biberon. Notre petiote tête goulûment, l’âme en paix.

Peut-être que papa a l’âme un peu moins en paix ? En tout cas, ça ne se voit pas.