Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

25 mars 2013

Les bouclettes autour de la tasse de chocolat

Françoise Tomeno
25 mars 2013

Elle a tout au plus quatre ans. Elle tient à deux mains sa tasse de chocolat, elle la tient fermement, avec un très grand sérieux. C'est que, lorsqu'on va au bistrot, on est une grande, voyez-vous. 
Elle est toute concentrée autour de cette tasse, elle en a même oublié son ninnin qui est posé à côté d'elle. Elle a les cheveux tout bouclés, et ceux qui le peuvent sont rassemblés en un petit, tout petit chignon, très ramassé. Certaines bouclettes s'en sont échappées, telle l'enfance qui rôde sans vergogne, malgré le sérieux du chignon, malgré le sérieux de quand on est grand. 

Son papa est assis en face d'elle, il boit une bière, tout en préparant son tiercé. Il couve du regard sa très jolie petite fille. 
Elle attire les regards: le mien, celui de quelques autres clients. Ca n'est pas très souvent qu'on voit une si petite au bistrot.

Elle m'a vue entrer, et se tourne deux trois fois dans ma direction. Elle ne semble pas pour autant attendre une attention particulière de ma part. Non, elle regarde. Peut-être regarde-t-elle mes fanfreluches toutes pleines de couleurs? L'écharpe, le chapeau? De l'enfance qui rôde là aussi?

Je vous le dis, il y en a toujours, de l'enfance, qui rôde, quand on essaie d'être grand.

Et c'est bien comme ça...

La Pavane à Michel Foucault

Françoise Tomeno
25 mars 2013

Je suis plongée, enfin je devrais être plongée, dans la lecture d'un chapitre du livre de Michel Foucault: "Il faut défendre la société". Contrairement à ses autres séminaires, celui-ci n'en a pas la rigueur, l'énoncé pointu, le regard acéré. Il se lance cette fois-ci dans une nouvelle réflexion, et c'est un chantier encore laborieux, un peu ennuyeux.

Entre un client que j'ai déjà vu plusieurs fois, un habitué. Il salue les uns, les autres, s'installe non  loin de moi. Il est rejoint un peu plus tard par un autre client que je n'avais jamais vu, mais visiblement habitué lui aussi. Leur rencontre semble le fruit d'un certain hasard, ils n'avaient pas rendez-vous.

Je continue ma lecture foucaldienne pour notre groupe de travail qui a lieu dans quelques jours, mais mon attention flotte un peu plus que d'habitude. À un moment, j'entends qu'ils parlent de danse. Je comprends qu'ils font l'un et l'autre partie d'un groupe de danses Renaissance. Ce sont des familiers, si ce n'est des amis. J'ai du mal à les imaginer dansant l'allemande, la courante, la gaillarde, en costume. Ils parlent de leur dernière séance consacrée semble-t-il à la Pavane. "La Pavane, c'est pas long, mais c'est chiant!...." dit l'un d'eux.

Et je me prends à penser que ce chapitre du livre de Michel Foucault, il est comme la Pavane: il n'est pas long, mais qu'est-ce qu'il est chiant!

Au demeurant, je tiens dans la plus haute estime Michel Foucault!

12 mars 2013

Le monde à l'envers

Françoise Tomeno 
12 mars 2013

Ce matin-là j'ai à faire, entre autres aller chez le coiffeur. Je ne me charge pas, d'autant que j'ai encore un tout petit sac, celui que j'utilise quand je voyage; je n'ai pas encore repris le grand, ça me fait une sorte de prolongation de vacances...

Du coup, je ne prends qu'un journal, le Monde Diplomatique, que je n'ai pas pris le temps de lire dans le train à l'aller et au retour d'Aix en Provence, lui préférant une lecture plus festive et plus distrayante.

Lorsque je repars du bistrot, j'emporte mon journal, et je le dépose dans le placard qui tient lieu de vestiaire chez le coiffeur.
Au moment de repartir, je vais pour reprendre mon journal, et je lui trouve une drôle de tête, au Monde Diplomatique. Il a des photos couleurs d'un format inhabituel, des titres à l'avenant, couleurs et formats, caractères différents. 

J'éclate de rire. J'avais profité de mon passage au bistrot pour lire le journal local, La Nouvelle République, autrement appelée par chez nous la Nounou. Et quel journal m'était tombé dans les mains en quittant le bistrot? La Nounou. Ce qui m'amuse, c'est de penser que le Monde Diplomatique s'est, lui, retrouvé à la place de la nounou. Qu'est-il devenu? Aura-t-il été lu? 

Je file au bistrot. Grand sourire de la patronne "Ah, c'est vous?" dit-elle de sa voix chantante, avec un grand sourire. "Il ne fallait pas repasser...".

Je pose la Nounou sur le comptoir, et nous voilà, la patronne et moi-même, à la recherche du Monde Diplo. "Il était là tout à l'heure", dit un client. Oui, mais il n'y est plus.

Finalement nous le retrouvons. Il a circulé, il a une jolie petite tâche de café sur la première page. 

En repartant, je rêvasse. Et si je le faisais exprès? Je ferais tous les bistrots de la ville, je remplacerais discrètement la Nounou par le Diplo. Action militante! 
Oui, mais il me faudrait prendre plusieurs abonnements. Ca serait bien pour le Diplo... peut-être pas pour mon porte monnaie.

Je pourrais faire un deal avec le Diplo, si ça rapportait des lecteurs...

Là s'arrête ma rêverie. Qui va lire ce journal, certes très intéressant, mais quelque peu difficile?

Le monde risque de préférer sa nounou!

Ainsi va le Monde.

Allez y vite...

Françoise Tomeno
12 mars 2013

Allez-y vite, au café d'Everything. Profitez-en pour visiter l'expo, dernière prolongation jusqu'au 31 mars.

"Dans de minuscules crevasses et sous des lits poussiéreux, il se cache une créativité secrète des inconnus de la société".

Ce musée est un musée éphémère installé dans une ancienne école, qui présente une collection "nomade" d'oeuvres d'artistes, connus pour quelques uns, inconnus, méconnus pour d'autres, qui n'ont même jamais eu, pour certains, l'idée ni l'intention d'être des artistes.

Lorsque vous arriverez dans la dernière salle d'exposition, sans transition aucune, vous serez  à la fois au milieu des dernières oeuvres exposées, dans la boutique, et dans le café. Tout y est bricolage pensé pour l'éphémère. Les gravures en vente sont présentées dans un carton, les plateaux du café sont des petites caisses en bois récupérées Dieu sait où. Les sets de table sont à disposition, pour servir à leur usage, ou pour dessiner, les craies grasses n'attendent que ça. Ceci-dit, ce dimanche-là, jour d'affluence, pas beaucoup de dessinateurs. Juste la place de caser un bout de sa personne sans trop heurter l'arrière du voisin de derrière, essayer de poser son manteau et son sac de façon à les récupérer. J'ai adoré, c'est drôle, et l'éphémère est un beau pari.
On y mange bien, ça n'est pas négligeable, et la soupe est alléchante....
























Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la présentation traduite de l'anglais sur le site. Là aussi, bricolage!


"Le Café d'Everything est un café-comptoir et mange-tout exclusif, avec délices sur mesure des règnes animales et végétales, créé par nos amis Momo et Derrière.

Le Café d'Everything est ouvert chaque jour pour des boissons chaudes, des collations vites et des longs déjeuners langoureux. Aucune réservation nécessaire ... venir et demander l'alimentaire immédiate!"


05 mars 2013



L'impertinence de la bretelle droite...

Françoise Tomeno
5 mars 2013

Il s’est installé sur le banc en bois d’un beau brun foncé, face à une des grandes tables au plateau de marbre et au pied en fonte du bistrot. La table est juste derrière le piler auquel est accolé le minuscule comptoir sur lequel les serveurs enregistrent les commandes des clients. De là où je suis, je ne vois pas la partie gauche de la table.

Sa main disparaît derrière le pilier pour réapparaître chaque fois avec une tasse, un verre, des soucoupes, des couverts, qu’il pose au fur et à mesure sur le plateau placé devant lui. Il semble y en avoir des quantités incroyables…

C’est lui qui a pris nos commandes tout à l’heure.

Est-il las, en fin de service, ou bien a-t-il simplement calculé que, assis, il ne mettrait pas plus de temps à desservir que s’il restait debout? Il affiche une certaine nonchalance réjouissante dans l’affairement de ce bistrot dans lequel les uns déjeunent, bien qu’il soit déjà 16 heures, et les autres viennent se réchauffer.

Nous attendons l’heure de nous rendre à un concert de viole de gambe, dans un programme Marin Marais, concert qui va avoir lieu dans une petite cave du quartier. Il fait froid dehors, une neige fondante n’arrête pas de tomber depuis ce matin.

Je l’ai quitté des yeux un moment. Lorsque je regarde à nouveau, je le vois debout, de dos. Il a débarrassé son plateau. Il est tout affairé à essayer de  rattacher une fichue bretelle droite, qui semble récalcitrante. Il se retourne tout en continuant la délicate opération, et nos regards se croisent… Il fait une drôle de grimace qui me prend à témoin de la bizarrerie de la situation, et nous sourions de cette drôlerie.

Un peu plus tard, en repartant, je passe derrière lui. Il est sur le côté du comptoir, en compagnie de ses collègues. Il s’affaire à nouveau, toujours en lutte contre la fichue brettelle récalcitrante. Celle-ci n’en fait qu’à sa tête, saute et virevolte, c’est la fête à la brettelle droite, la gauche restant sagement là où on a voulu qu’elle soit. 
Il n’a donc pas fini son service. 
Comment va-t-il se débrouiller ? Son pantalon a-t-il absolument besoin de la fichue bretelle pour tenir ? Ou bien celle-ci fait-elle simplement partie du décor vieux bistrot?

Je n’en saurai pas plus, Marin Marais prendra le dessus, et à l’heure qu’il est, la bretelle continue peut-être de danser, l’impertinente.