Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

05 mars 2013

L'impertinence de la bretelle droite...

Françoise Tomeno
5 mars 2013

Il s’est installé sur le banc en bois d’un beau brun foncé, face à une des grandes tables au plateau de marbre et au pied en fonte du bistrot. La table est juste derrière le piler auquel est accolé le minuscule comptoir sur lequel les serveurs enregistrent les commandes des clients. De là où je suis, je ne vois pas la partie gauche de la table.

Sa main disparaît derrière le pilier pour réapparaître chaque fois avec une tasse, un verre, des soucoupes, des couverts, qu’il pose au fur et à mesure sur le plateau placé devant lui. Il semble y en avoir des quantités incroyables…

C’est lui qui a pris nos commandes tout à l’heure.

Est-il las, en fin de service, ou bien a-t-il simplement calculé que, assis, il ne mettrait pas plus de temps à desservir que s’il restait debout? Il affiche une certaine nonchalance réjouissante dans l’affairement de ce bistrot dans lequel les uns déjeunent, bien qu’il soit déjà 16 heures, et les autres viennent se réchauffer.

Nous attendons l’heure de nous rendre à un concert de viole de gambe, dans un programme Marin Marais, concert qui va avoir lieu dans une petite cave du quartier. Il fait froid dehors, une neige fondante n’arrête pas de tomber depuis ce matin.

Je l’ai quitté des yeux un moment. Lorsque je regarde à nouveau, je le vois debout, de dos. Il a débarrassé son plateau. Il est tout affairé à essayer de  rattacher une fichue bretelle droite, qui semble récalcitrante. Il se retourne tout en continuant la délicate opération, et nos regards se croisent… Il fait une drôle de grimace qui me prend à témoin de la bizarrerie de la situation, et nous sourions de cette drôlerie.

Un peu plus tard, en repartant, je passe derrière lui. Il est sur le côté du comptoir, en compagnie de ses collègues. Il s’affaire à nouveau, toujours en lutte contre la fichue brettelle récalcitrante. Celle-ci n’en fait qu’à sa tête, saute et virevolte, c’est la fête à la brettelle droite, la gauche restant sagement là où on a voulu qu’elle soit. 
Il n’a donc pas fini son service. 
Comment va-t-il se débrouiller ? Son pantalon a-t-il absolument besoin de la fichue bretelle pour tenir ? Ou bien celle-ci fait-elle simplement partie du décor vieux bistrot?

Je n’en saurai pas plus, Marin Marais prendra le dessus, et à l’heure qu’il est, la bretelle continue peut-être de danser, l’impertinente.