Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

22 janvier 2013

Le parti pris d'Edgar

Françoise Tomeno
22 janvier 2012

Si vous le voulez bien, nous l'appellerons Edgar.

La première fois que j'ai vu son nom, c'était sur le côté du comptoir. Des inscriptions à la craie se promenaient sur le bois, en forme d'hommages à Edgar. Inscriptions toutes plus touchantes les unes que les autres. On comprenait à les lire qu'Edgar était parti boire ses coups ailleurs, qu'il ne reviendrait pas les boire ici avec ses potes qui lui écrivaient.

Parti, Edgar.

Je me disais que je l'avais peut-être vu, depuis le temps que je fréquente le bistrot. Mais je ne connais pas les noms de tout le monde. Qui était donc Edgar?

Un peu plus d'une semaine plus tard, en allant payer au comptoir, je vois, affichées sur le mur, deux découpes de journaux, avec chacune une photo. Je me dis qu'il doit s'agir d'Edgar. Et puis les photos.... Il me semble le reconnaître, Edgar. Je m'approche: oui, c'est bien lui. Bien sûr, que je le connais. Et comment!

Un jour que j'arrivais avec, à la main, le numéro spécial de l'Humanité sur la Commune de Paris, Edgar était là, comme souvent, avec des potes, en train de parler. Il aimait ça, Edgar, parler. Mais il avait l'oeil, Edgar, vif, perspicace. Il me voit arriver, regarde, et dit simplement: "Vous aussi?"

Moi aussi, j'avais l'Humanité sous le bras. 

C'était le journal de son Parti. Il avait le coeur à gauche toute. Sûr que je ne lui arrivais pas à la cheville avec mon numéro spécial.

Il avait pris le Parti, Edgar. Il le portait haut et fort, jovialement. Il avait pris le Parti de l'Humanité.

Aujourd'hui, c'est lui qui est parti.

Boire ses coups avec l'Humanité.

Comment ça va, c'matin?

Françoise Tomeno
22 janvier 2012

- "Comment ça va, c'matin?". C'est comme ça qu'il dit, depuis quelque temps, depuis qu'on a fait connaissance.
- "Ca va, et vous?"
- "Ca va comme c'est mené".
- "?"
- "Comme c'est mené, avec les pieds....".

Ca alors! En effet, par ces temps de neige et de verglas, il vaut mieux se fier à ses pieds qu'aux roues de la voiture.

Mais quand-même, quelle expression du tonnerre de dieu.

12 janvier 2013

Le temps qu'il va faire

Françoise Tomeno
14 janvier 2013

Il a l'air de passer faire son petit tour tous les matins. Il démarre à la bière, direct.
Je le vois souvent faire la manche au coin de la place. Pourtant, non seulement il est toujours habillé très proprement, mais il porte des vêtements en excellent état, quasi neufs. Que fait-il au coin de la place? Cherche-t-il simplement à échanger quelques paroles? Il n'en est pas avare, de paroles. Ni dehors, ni dedans. Chaque fois que je le croise à son poste dans la rue, il échange quelques mots avec l'un ou l'autre, qu'on lui donne de l'argent ou pas. 

Ce matin, il vient me saluer, il tend la main: "Ca va? Ca s'est bien passé?". Je comprends par la suite qu'il veut parler de la période des fêtes. Parce que lui, il a été malade, la gastro, vous comprenez. Ca, il ne supporte pas. Les autres petits soucis de santé comme le rhume, ça peut aller.
Il me parle alors du temps; le froid sec, ça lui va, pas la pluie. Ca va aller mieux dans les jours qui viennent, on annonce un froid sec et un temps ensoleillé.

Un temps à pouvoir rester dehors à faire la manche et à parler avec l'un ou avec l'autre, sans doute.


06 janvier 2013

Miscellanées régalantes (lisez d'abord ....)

Françoise Tomeno
6 janvier 2013

J'ai été obligée de prendre des notes... Il se passait trop de choses en si peu de temps. 

D'abord, Lulu avait froid, ça n'allait pas, elle était de mauvais poil. Très courtoise avec moi cependant, elle m'a souhaité la bonne année, surtout la santé. J'en ai bien sûr fait autant. Mais voilà que Joséphine, une habituée des bistrots du quartier, a entrepris de me faire la conversation. Elle avait dû commencer tôt au bistrot, Joséphine, elle avait la bouche qui manquait d'habileté. Elle n'avait pas du boire que des cafés. Elle s'était maquillée avec du brillant, ou bien c'était un reste des fêtes qui ne voulait pas savoir que c'était passé. C'était réparti à la va comme je te pousse la vie, sur son visage, les brillants. De son oeil gauche, il en pleurait une grande larme. C'est peut-être pour ça qu'elle n'avait pas bu que du café, Joséphine.


Mais voilà que Lulu s'en va au comptoir, et me fait des moues évocatrices en jetant un coup d'oeil à Joséphine. Pas fiable, Joséphine, semble me dire Lulu. Euh... Un peu jalouse, Lulu?

Toujours est-il que lorsque Joséphine, dans ses brumes, est venue à plusieurs reprises souhaiter des bonnes choses à Lulu, bon appétit, bonne journée, celle-ci l'a envoyée balader.

Joséphine, elle m'a d'abord entrepris sur son sommeil. Elle avait fait un horrible cauchemar. Damned, me voilà bien, écouter les rêves de Joséphine, qui plus est un cauchemar, dans un bistrot! Je sais bien que c'est mon métier, d'écouter les rêves, tous les rêves, y compris les cauchemars. Mais pas quand je viens déguster les huîtres préparées par Roger. Je fais une oreille mi sourde, mi pas sourde, compatissante au mieux. Joséphine se replonge dans un petit carnet tout en fredonnant. À un moment, elle se lève, me tend un livre: "Tenez, je vous l'offre. Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est pour vous". Moi: "!!!!!......????? Merci, mais pourquoi????". Elle: " Parce que je vous vois, et parce que vous le méritez".

Ca alors! Je n'en reviens pas... Hum... Joséphine ne sait pas ce que c'est. Serait-ce un livre qu'on lui aurait offert, et dont elle n'a pas l'usage? Ce sont des choses qui arrivent. Autant en faire profiter les autres, au fond.

Mais c'est quoi, ce bouquin? Il a pour titre "Les miscellanées de Mr Schott". Les miscellanées. J'avais déjà croisé ce mot une fois ou l'autre, je ne m'étais pas attardée, mais je ne savais pas très bien ce que cela voulait dire. Cette fois, il faut que j'interroge mon fidèle ami le Grand Robert. Ce sont des mélanges, les miscellanées, du latin "miscellanea", choses mêlées. À l'intérieur de la jaquette, on peut lire: "Les miscellanées de Mr Schott sont une collection de petits riens essentiels". Mais comment elle savait ça, Joséphine, que c'est une des choses qui me passionnent dans la vie, les petits riens essentiels? Elle ne serait pas un peu sorcière?

Un peu plus tard encore, me voyant prendre des notes: "Vous me faites penser à une correspondante de guerre". À nouveau: "!!!!!". Je lui dis que je ne sais pas si j'aurais eu le courage de cette position-là. Elle me raconte alors que la maman de sa marraine a été correspondante de guerre en Turquie (sic!) pendant la deuxième guerre mondiale. je suis en pleine rêverie. Encore un peu plus tard: "Vous êtes psychologue?". Alors là, je n'ai plus de doutes: c'est une sorcière. Une bonne sorcière, ceci-dit, elle ne me veut pas de mal.

Pendant ce temps-là, Sabrina, la patronne, donne ses étrennes à chacun: "Un p'tit briquet lumineux, ou un p'tit rocher en chocolat". Moi, je ne fume pas, mais vrai, je vais le regretter: les briquets sont de toutes les couleurs, pétantes. Certes, j'aurais pu en prendre un qui m'aurait servi de lampe de poche, ou que j'aurais pu donner à quelqu'un, comme Joséphine m'a donné son livre. Mais voilà, mon vieil atavisme suisse l'a emporté côté chocolat. Certes, ce n'était pas les Ragusa fabriqués dans mon cher Jura suisse. Mais c'était avant tout du chocolat, et ça, ça ne se discute pas.

Sabrina propose les étrennes à un monsieur qui vient souvent déjeuner ici. Il a une façon de parler toujours très précieuse, et il semble s'excuser de tout, il a toujours peur de déranger, y compris lorsqu'il commande. Sabrina lui annonce qu'aujourd'hui, Roger, le patron, a fait, de ses propres mains, une galette des rois. Le Monsieur qui est toujours content de tout, se réjouit: "C'est régalant". Je me dis que je vais en parler au Grand Robert, de ce mot, et qu'à tous les coups il va me répondre par un silence poli. Que nenni! Ca existe bien "régalant". Ca veut bien dire ce que ça veut dire. Seul commentaire du Grand Robert: "Vieilli et familier". Bon, j'en aurai appris des choses aujourd'hui: "miscellanées", "régalant". Au fond, j'aime les miscellannées parce qu'elles sont régalantes....!

Et vous croyez que c'est fini?
Même pas! Parce que ce jour-là, il y a également dans le bistrot un personnage intriguant. Il s'appuie sur une canne blanche. Donc normalement, il ne devrait pas voir très bien du tout et peut-être même être aveugle. De loin, il m'avise, et me souhaite la bonne année. Certes, j'ai appris par mon métier que certaines personnes très malvoyantes voyaient très nettement dans un tout petit espace au centre de la vision. Mais notre homme semble suivre des yeux tout, précisément.

Encore un mystère de ce jour.....

01 janvier 2013

Je suis allée chez Jojo, c'était ouvert, enfin non, fermé, enfin...

Le matin, nous faisons un petit tour du quartier et nous passons devant "le Vieux Belleville", autrement nommé "Chez Jojo". C'est cette fois-ci encore fermé, peut-être trop tôt, peut-être n'ouvre-t-il pas le lundi.

L'après-midi, je refais un tour du quartier. Je dois aller à la librairie "Le genre urbain", c'est à deux pas de chez Jojo. Il paraît qu'ils ont le calendrier de chez Plonk et Replonk, et les cartes postales des mêmes Plonk et Replonk. Vous ne connaissez pas? Allez faire un tour ici http://www.plonkreplonk.ch/..... Depuis que je les ai rencontrés, Plonk et Replonk, je ne m'en suis pas remise. Et passer une année sans leur calendrier, c'est carrément impossible.

J'arrive à nouveau devant le Vieux Belleville. Les grands volets de bois qu'on installe devant la devanture sont toujours là, mais la porte est ouverte. Il ouvre, Jojo? Ce jour serait un jour béni des dieux? Il va jouer de l'accordéon?

J'aperçois une femme accoudée au bar, deux hommes sont dans le bistrot, en plus de Jojo qui trône derrière le comptoir. Il n'est pas du tout comme je l'imaginais, Jojo. Grand, élancé, la classe. On se fait de ces idées toutes faites, des fois. Suffit d'entendre le mot accordéon, et Jojo doit ressembler à Benard Lubat!

Bon, je me glisse par la porte: "C'est ouvert? Je peux entrer?"
"Ah non, c'est fermé, désolé!"
"Bon, ce n'est pas grave, à une prochaine fois". 

Alors en fait, c'était ouvert, mais fermé; ou fermé, mais ouvert; enfin... c'est comme on veut.

En tout cas, j'ai vu Jojo, et je reviendrai.

Du Lapin Agile à la Halle Saint Pierre, passer par la case "Chat Noir".

C'est le matin, le Lapin Agile est fermé. Émotion cependant, il est au croisement de la rue des Saules et de la rue Saint Vincent. Le Chat Noir s'annonce, par la chanson de Bruant. La petite Rose, qu'était si belle, "qui sentait bon la fleur nouvelle". "A rentrait par la rue des saules", "a vivait chez sa vieille aïeule, rue Saint Vincent....".

Nous sommes déjà dans l'ambiance, Rose nous fait un bout de chemin. J'ai la chanson dans la tête.

Musée de Montmartre, l'exposition autour du Chat Noir. On y entend Yvette Guilbert chanter le Fiacre, mes lèvres se mettent en route sans me demander mon avis, la chanson me démange. je fredonne un peu, pas fort. 
Et voici les pièces de zinc du Théâtre d'ombres d'Henri Rivière, la grande fresque du Parce Domine d'Adolphe Willette, des affiches de Steinlen, de Rivière, des portraits du patron, Rodolphe Salis, des caricatures d'Émile Goudeau....

Le café du Chat Noir, le café des cafés, le cabaret des cabarets. Visite réjouissante.

En sortant, il nous faut nous restaurer, l'après-midi est déjà bien entamée. Sortir de ce bistrot allusif du Chat Noir pour entrer dans une crêperie de Montmartre, le choc est rude... Les crêpes ne sont pas bonnes, le service se fait à la chaîne. Le serveur et la serveuse sont, eux, très méritants,  aimables, souriants et patients.

Nous ne nous attarderons pas. La Halle Saint Pierre est tout près, j'ai le souvenir que la cafétéria est sympathique. Et puis il y a là une exposition que j'ai très envie de voir, "I banditi dell'arte": la Halle expose des oeuvres d'artistes italiens en dehors du système culturel et institutionnel, artistes ayant connu l'internement psychiatrique ou le monde carcéral


La cafétéria sera à la hauteur du souvenir, l'expo à la hauteur de l'attente. nous terminerons par une nouvelle petite pause à la cafétéria. Si ce lieu ne peut être vraiment comparé au Chat Noir, à sa fantaisie, son exhubérance, sa créativité, il y a là cependant quelque chose de commun. Les expositions y poursuivent "la recherche et la réflexion sur les formes insolites et hors normes de la création contemporaine", annonce la Halle. 

La cafétéria, elle, glisse ses ramifications jusque dans une bibliothèque dite éphémère, elle même donnant accès à l'exposition. Autre siècle, autre originalité, même créativité.

Il a fait bon faire la pause à la Halle Saint Pierre après être repassée par le Chat Noir.



Celui-là il est pas beau

Ce jour-là, elle n'a pas trop le temps. Elle s'affaire, on se salue de loin. 
Je m'installe à une table. Lorsqu'elle vient prendre la commande, on prend tout de même le temps de s'adresser les saluts dont nous avons l'usage, c'est rapide, mais chaleureux.
J'ai commandé un petit crème. Lorsqu'elle l'apporte, toujours en coup de vent, elle annonce: "Il est pas beau, celui-là, je vous l'offre!"
!!!!!!!! Un crème est un crème, je n'ai jamais réfléchi à sa beauté. je ne trouve pas celui-ci très moche, et il a bien le goût de d'habitude.

Coquetterie de langage pour servir de prétexte au cadeau? 
Élégance, pudeur?

Merci, chère amie.