Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

13 octobre 2014

On a volé l'Ange Bleu

Françoise Tomeno
12 octobre 2014

Il paraît que c'est arrivé un soir de fête au bistrot. On a volé l'Ange Bleu. Personne n'a rien vu.

Permettez que je lui rende hommage. Il m'a bien accompagnée tout le temps qu'il a été là. Je tiens à l'en remercier.

Et si celui ou celle qui, par mégarde, et probablement en état d'ébriété, l'a glissé dans sa poche un soir de fête, lit ces lignes, qu'il ait l'élégance de venir un autre soir de fête (les occasions ne manquent pas), et dépose notre ange n'importe où dans le bistrot, discrètement, bien entendu. Dieu et tous les autres anges lui en seront éternellement reconnaissants.




12 octobre 2014

Suspendus

Françoise Tomeno
12 octobre 2014

Nous étions suspendus.
Suspendus à l'attente de la nouvelle, de l'annonce de la réouverture de notre bistrot.
On voyait bien avancer les travaux. On entendait bien des rumeurs: ce sera tel jour, ou tel autre. Mais comment savoir avec certitude?


 L'ange bleu nous adressait un sourire malicieux. Il avait invité son copain le soleil qui se moquait gentiment de nous....



Nous étions également suspendus à une autre question. Allait-il nous reconnaître, lui, le bistrot, dans son nouveau décor? Allaient-elles nous reconnaître, elles, les nouvelles personnes qui seraient derrière le comptoir, et qui ne nous avaient jamais vues? Comment allions-nous faire? La rencontre aurait-elle lieu?

Et puis le jour de la réouverture est arrivé. Un matin, je suis retournée m'installer là, à ma table. Personne ne savait ce matin-là que c'était ma place. Personne sauf moi, l'ange bleu, et peut-être le soleil si l'ange lui avait passé le mot. 

Cela faisait longtemps que je ne demandais plus mon crème dans ce bistrot, on avait fini par me l'apporter d'office. Mais ce jour-là, j'ai à nouveau prononcé les mots "Un crème s'il vous plaît". "Un grand?"-"Euh... un grand, oui". 
Mince! Un grand, c'était un allongé avec du lait. Mêmes les mots avaient changé. 
"Alors, non: pas un grand, mais pas une noisette non plus". Voilà que je ne savais même plus parler. 
Le lendemain, c'était quelqu'un d'autre au comptoir. Panique: je demande quoi: un crème normal? Un moyen? Ca n'existe pas, un moyen crème. Je ne sais plus ce que j'ai balbutié.

Tout doucement, on s'est repérés. Tiens, c'est plutôt lui le lundi, lui ou elle, le mardi. Lui du lundi a eu un prénom, lui, elle, du mardi, aussi. Et puis Céline, qui avait travaillé là autrefois, est repassée par ici, elle repassera par là. 

Pendant ce temps, Lulu boudait. Enfin, c'est ce qu'elle disait. Mais le dimanche, elle était là, l'autre bistrot était fermé. Je l'y ai même surprise un autre jour que le dimanche. Hum, Lulu.... 
C'est vrai qu'il faut du temps pour l'apprivoisement.

Suspendus nous avions été. Nous l'étions encore, suspendus à un regard, une reconnaissance, au repérage d'une habitude.

Mais, le saviez-vous? Un café aussi peut-être suspendu. Vous ne me croyez pas? 
J'avais entendu parler de ça cet été; je crois que c'était en Grèce que, face aux mesures "d'austérité" , on avait adopté le café suspendu. C'est tout simple: lorsque vous allez prendre une consommation dans un bistrot, vous achetez un café que vous ne buvez pas. Il est pour la prochaine personne qui ne pourra pas se payer un café. Le café est suspendu, en attente.....

Tout comme nous l'avions été, en attente d'apprivoisement.