Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

30 janvier 2014

Parfois, le matin, un ange passe

Françoise Tomeno
30 janvier 2014

"Bonjour, ça va?"
Elle vient d'entrer dans son bistrot, elle en est la patronne. Le patron arrive toujours avant elle. Elle arrive souvent avec de grands cabas pleins de bonnes choses pour les plats qui seront servis le midi.  Elle salue de sa voix légère, douce, chantante, sa jolie voix de soprano. La formule n'est jamais tout à fait la même, c'est comme ça que l'on sait qu'elle pense ce qu'elle dit, qu'elle ne dit pas bonjour machinalement, pour être simplement polie.

Aujourd'hui, elle commence comme ça: "Bonjour, ça va?", un "ça va?" semblant s'adresser aux clients attablés près de l'entrée. Quelques secondes à peine, et elle précise: "... tout le monde?". Pour qu'on sache bien, d'un bout à l'autre du bistrot, que l'on a tous été accueillis. Et oui, elle s'enquiert de toutes et de tous. Elle est comme ça, Marie.

Un peu plus tard, après qu'elle ait posé sacs et manteau, je la vois passer. Elle a mis un T-shirt craquant, avec deux ailes argentées dans le dos. Un ange, Marie, oui, un ange. Kitsch, les ailes? Oui, mais les ailes de Marie disent sa légèreté préoccupée de l'autre, de ses autres, de ses hôtes.

On se salue plus personnellement, parce que nous, on se fait la bise. Marie vaque à ses occupations, je travaille. Je l'entends dire à Daniel: "Il faut que je trouve des fleurs". Je l'aperçois endosser son manteau et sortir.

Lorsqu'elle revient, je la vois à peine, je suis absorbée dans ma prise de notes. 

Et puis la voici à côté de moi, sourire aux lèvres, avec une belle rose blanche. C'est pour moi, cadeau, cadeau de l'ange. "Tu la mettras dans ton cabinet", dit l'ange.
Je l'ai mise dans mon cabinet, appuyée sur l'épaule d'un chanteur des rues, sculpture offerte par une amie. 

Parfois, le matin, un ange passe.