Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

18 février 2013

Dans le bon sens

Françoise Tomeno
17 février 2013

- "Vous avez fait votre petit marché?"

- "Non, ce matin, j'ai traîné!
... J'aime bien traîner, parfois. Ca fait du bien..."

- "Dans le bon sens du terme, traîner...."


Euh... oui, Lulu, dans le bon sens du terme. 
Ben, quand même!!!

16 février 2013

Un racisme ordinaire

Françoise Tomeno
16 février 2013

Je suis absorbée par ma lecture. Un gros livre sur les Situationnistes. J'ai un vrai plaisir à le lire, j'y retrouve des noms de ma jeunesse, des noms de ces quelques uns qui avaient créé l'Imprimerie Quotidienne à Fontenay sous Bois, qui avaient créé la revue Utopie, des noms de ces quelques uns qui fréquentaient "l'Imprimerie", comme on disait. Quant à moi, j'y vivais une partie de ma semaine, et j'avais plaisir à y assurer la vente des produits que les copains allaient acheter, entre autres,  au marché de Rungis. Je ne mes souviens plus du statut de la structure qui assurait  ce petit marché, une coopérative peut-être.

À une table un peu plus loin sont installés six hommes qui discutent. Ils parlent arabe, et cela donne, par l'étrangeté de leur langue, l'impression qu'ils parlent fort, parce que l'on ne peut rien attraper au passage de leur conversation.

Très près d'eux, deux dames bien mises prennent le thé. Les brasseries permettent ce genre d'inattendu, la juxtaposition de deux styles, de deux mondes. Il règne dans les grandes brasseries une sorte d'entente tacite. Chacun s'installe et joue sa partition sans prêter attention à celle des autres. Suffisamment discrètement, mais pour autant l'atmosphère n'est pas feutrée.

À un moment donné, la discussion entre les hommes s'anime un peu, et leur langue inconnue de nous vient frotter nos oreilles. Je lève machinalement le nez, je vois une des dames qui commence à prendre un air offusqué. Je me demande si c'est le verbe haut ou l'incompréhensible pour elle de l'arabe qui la met dans cet état. Parce qu'ils ne parlent pas si fort que ça, à peine plus fort, en tout cas, que ce trio installé à une table non loin de moi, dont je comprends la conversation en langue française sans problème, mais dont je peux faire abstraction également sans problème.

Juste à ce moment là, elle croise mon regard, et l'attrape avec le sien, m'assignant la place de complice. Je baisse tout de suite les yeux, essayant d'éviter cette assignation à résidence. Trop tard, elle m'a qualifiée, avec elle, contre eux. Lorsque je partirai, elle m'adressera à nouveau un coup d'oeil complice, "nous sommes bien du même monde, n'est-ce pas". Je n'y répondrai pas, évitant son regard.

Ce jour-là, je lisais ce gros bouquin sur les Situationnistes, ce jour là j'étais en état de retrouvailles avec ce passé au cours duquel s'était poursuivi, faisant suite à mai 68, mon éveil politique.

Ce jour-là, six messieurs arabes discutaient, mettant en scène, à leur insu, l'ordinaire d'un racisme qui ne se sait pas.


Rouge le matin

Françoise Tomeno
16 février 2013

Ce matin là, ayant entendu la météo annoncer une journée très froide, je me suis bien couverte.

Elle est là, à sa table au fond du bistrot. Nous nous saluons, comme à l'habitude. Comme souvent, elle me parle du temps. Aujourd'hui, il est gris, froid, humide. 
Je lui dis que je me suis tellement bien couverte que j'ai eu une impression de douceur. 
Je lui dis aussi que j'ai quitté mon chez moi avec un beau ciel tout rouge et que, lorsque j'étais petite, ma maman disait, quand il y avait un ciel tel que celui-là: "Le Père Noël fait des gâteaux", et que je ne sais toujours pas pourquoi elle disait comme ça.

Elle me répond: "Rouge le matin, pluie en chemin".

Et nous nous amusons de ces proverbes et dictons, dont les bistrots, et plus particulièrement les comptoirs, sont parfois friands.

12 février 2013

Tennis

Deuxième set




















Et le service, bien sûr....

Madame la Lune au comptoir

Françoise Tomeno
12 février 2013

Gaston a donné un calendrier lunaire à la patronne. La patronne, elle a un petit jardin sur les hauts, où elle cultive, pour le bistrot. La saison passée, elle a récolté tellement de tomates qu'elle en a données aux uns et aux autres.
Gaston prend soin des récoltes de la maison, il en connaît un rayon sur la question.

Il est là, Gaston, avec trois autres messieurs. Ils sont drôles, parce qu'il y a un très grand, un moyen, et Gaston qui est petit. On dirait les Dalton moins un.

Et de quoi ils discutent, les Dalton moins un, en buvant des coups?
De la lune, pardi. Des vertus de la lune sur les récoltes. Et ça s'anime, au comptoir. Chacun y va de sa connaissance de l'affaire. Le ton est vif, monte. Tout le bistrot va bientôt en profiter.

Ah, je vous vois venir... Vous pensez déjà qu'ils se disputent, qu'ils ne sont pas d'accord à propos de la lune?

Mais si mais si, ils sont d'accord.
Alors pourquoi ils s'animent comme ça, pourquoi le ton s'emballe? 

Pour le plaisir de parler, je crois. Ils n'ont pas l'air de faire un concours à qui en saura plus ou mieux que l'autre. Non non. Ils prennent plaisir à ce bout de savoir partagé. Ca leur fait plaisir de savoir ça.

Et la patronne, ça lui fait plaisir de parler de son jardin, de ses tomates. Elle vient même m'expliquer: lune montante, pour les plantes qui doivent pousser en dehors, monter, comme le persil, me dit-elle. Lune descendante, pour les légumes qui doivent pousser en dedans de la terre, pour les racines, comme les carottes.

Moi, pendant ce temps-là, il me semble la voir, la lune, juste au dessus du comptoir, dans l'angle. Elle se marre. Elle a son petit sourire en coin. Vous savez, ce sourire qu'on lui voit, de profil, dans les livres pour enfants.

Elle ne fait pas de bruit.

Elle est comme ça, la lune. L'air de pas y toucher, l'air de rien, elle passe par là, et hop, les plantes poussent comme ci ou poussent comme ça. Et hop, trois Dalton sur quatre parlent d'elle en buvant des coups.

Elle se marre, la lune, au comptoir. Elle boit du p'tit lait, elle boit les paroles. Paiera pas sa consommation, la lune....

Moi, je l'aime bien, la lune. J'aime bien aussi les Dalton, d'ailleurs.

05 février 2013

La correction

Françoise Tomeno
5 février 2013

"Il corrige ses copies avec un verre de rouge..."

Je regarde, et je le vois, concentré sur ses copies, le visage sans émotion. Ni résigné, ni lassé, ni heureux. Rien de rien n'apparaît.

"Ca doit être pour l'aider quand il lit des âneries", me dit mon amie. Ca me fait rire. Le fait en soi, mais aussi le mot "âneries". On ne l'emploie plus guère....
Peut-être, au fond, est-il complètement déprimé de faire ce boulot de corrections d'âneries, et peut-être le vin lui permet-il simplement de retrouver un niveau d'humeur banale, sans signe apparent de grande émotion?

En tout cas, à y bien regarder, il ne boit pas dans un vulgaire ballon de rouge. Il ne doit pas boire du vulgaire "jaja", comme on disait lorsque j'étais jeune. Non non, il carbure au Bordeaux, sans doute: le verre a la forme des réceptacles dédiés à ce vin, le vin a la belle couleur des vins du Sud Ouest. 
Il a bon goût, alors, et il boit avec l'élégance des connaisseurs, petit à petit. 

Qu'en sauront les élèves? Seulement qu'ils avaient écrit des "âneries"?

La fonction d'accueil

Françoise Tomeno
5 février 2013

"C'est comme la Psychothérapie Institutionnelle", m'avait dit mon ami Thierry. Du coup, j'étais allée quelques fois dans ce bistrot. C'est ma foi vrai. Elle est tout accueil. Elle arrive toujours après le patron. Elle est déjà dans l'accueil lorsqu'elle entre. Elle fait un tour d'horizon de son petit monde; de sa voix de soprano aux inflexions chantantes, elle salue l'un, l'autre, avec les prénoms lorsqu'elle les connaît. Elle demande si ça va, elle écoute la réponse avec une attention souriante. Commerçante? Oui, c'est sa profession, et même patronne. Mais sa préoccupation des autres n'est pas une affaire marchande. C'est du vrai, du solide.

Les uns, les autres font de même, en s'appuyant sur cette façon d'être qui est la sienne. On salue, même les nouveaux, les nouvelles, on demande si ça va, on échange quelques mots. Si on revient dans les jours qui viennent, on est tout de suite reconnu, par elle, par les clients. C'est touchant d'humanité. Quelques paumés du monde ont trouvé là leur place, comme les autres, avec leurs prénoms bien sonnants.

Lorsque je suis repartie l'autre jour, elle m'a dit, toujours avec son grand sourire: "Au plaisir". Cela m'a fait plaisir.

C'est un bon lieu.

Un monde meilleur...

Françoise Tomeno
5 février 2013

Elle n'est pas contente, la patronne, mais pas du tout. Les deux messieurs auxquels elle fait part de ses états d'humeur semblent compatir mollement, et attendre poliment de pouvoir quitter les lieux. 
Il est question de flexibilité, d'employés, de finances..

Bon, face à la tempête en cours, je m'installe discrètement, attendant que la patronne se ressaisisse et vienne prendre ma commande. Ca prend un moment, bien qu'elle m'ait vue, reconnue; j'ai largement le temps d'ouvrir le journal avec lequel je suis venue, le Monde Diplomatique, autrement appelé "le Diplo", et de commencer la lecture d'un article.

La voici, toute en excuses, mais quand même; lorsqu'elle m'explique le motif de sa colère, elle redémarre, je me demande quand je vais pouvoir boire mon petit crème. Je souris intérieurement et m'arme de patience... 

Les salariés, ce n'est plus ce que c'était. Elle, elle a toujours travaillé, elle ne comptait pas ses heures. Maintenant, pour un oui pour un non, ils sortent leurs droits. À la belle saison, il y a besoin de plus d'employés, on est obligé de les garder en hiver alors qu'il y a moins de travail. Etc. etc....

Ah, les syndicats, me dis-je..! Ca ne fait pas l'affaire des patrons. Je pense à mes camarades syndiqués et à leur travail.

Lorsqu'à nouveau elle s'est épuisée en invectives de cette sorte, elle part vers le comptoir: "On rêve d'un monde meilleur..." dit-elle.

Hum... Moi aussi, et quelques autres qui disent qu'un autre monde est possible, je rêve d'un monde meilleur. Mais je gage que nos mondes meilleurs ne se ressemblent pas tout à fait.

Et pour autant, il nous faut savoir vivre ensemble sur la même planète.