Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

01 avril 2013

Pause

Françoise Tomeno
le premier avril 2013

Bonjour à vous,

je vais faire une petite pause. Si si.
Combien de temps? Je n'en sais rien. Une pause à un temps, une pause à deux temps, une pause à trois temps, une petite valse, peut-être? Allez savoir. Il existe des mesures à sept temps, onze temps. Alors, je ne vais pas me gêner.

Quelqu'un au fond de la salle: 
-"C'est un poisson d'avril!"

Mais non!
Allez, vous verrez bien....
Et puis ça vous permettra d'aller vous promener ailleurs, il faut faire attention à ne pas se laisser enfermer dans les habitudes.

Chers habitués, je vous salue.



Comment ça va, sur la terre?

Françoise Tomeno
31 mars 2013

Conversation

(sur le pas de la porte, avec bonhomie)

Comment ça va sur la terre?
- Ca va, ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils propères?
Mon Dieu oui, merci bien.

Et les nuages?
- Ca flotte.

Et les volcans?
- Ca mijote.

Et les fleuves?
- Ca s'écoule.

Et le temps?
- Ca se déroule.

Et votre âme?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu, Monsieur Monsieur (1951)


- "Comment ça va, Joséphine?"

Voici comment on l'accueille, depuis quelques jours, Joséphine. Comment la plupart des habitués l'accueillent, depuis son retour. 

On ne lui dit pas: "Bonjour Joséphine, ça va?". Vous savez, ce "ça va?" qui n'attend souvent pas de réponse, surtout pas de "Ben non, ça va pas". On dit ça comme ça, pour faire joli dans la conversation. 

Non, on lui dit, à Joséphine: "Bonjour Joséphine, comment ça va?". 
Et ça change tout. Parce qu'on voit bien, depuis qu'elle est revenue, que ça va mieux. Alors tout le monde est content de pouvoir à nouveau l'accueillir, Joséphine, et de l'entendre dire en souriant "Ca va".

Le printemps de l'hiver a été trop vert, son âme, à Joséphine, elle a mangé trop de salade. Alors ça lui a fait des salades dans la tête, à Joséphine. Ca lui arrive de temps en temps,  à ce qu'on m'a dit. De temps en temps, régulièrement, son âme mange trop de salade. Alors elle se met à en faire, des salades, dans le bistrot. 
D'abord, elle donne tout ce qu'elle peut, à tout le monde, même de l'argent qu'elle donne Joséphine. C'est le signal, le signal que ça commence à ne pas aller, ces histoires de salades. Et puis elle en fait bien d'autres, des salades. Elles sortent de sa bouche tout comme elles y sont rentrées. Alors elle parle, elle parle, à tout le monde, fort, elle envahit tout l'espace avec ses salades sonores, même que ça en devient gênant, à force. 
Il y en a une que ça gêne, c'est Lulu. Elle n'aime pas quand Joséphine fait des salades. Ca doit lui faire peur, à Lulu, les salades à Joséphine. Du coup, ça la rend mal aimable, Lulu.

Au milieu de ses salades, à Joséphine, il se cache des trésors. "Des trésors dans des salades?" dit quelqu'un. "Quelle drôle d'idée!".
Mais ce n'est pas une idée, c'est une vérité. Une vérité vraie. Ca n'est pas si souvent qu'on en tient une, de vérité vraie. Pour une fois! La plupart du temps, ce qu'on arrive à attraper au vol, ce sont des vérités fausses.
Un jour où Joséphine commençait à laisser s'échapper de sa bouche les premières salades sonores, elle m'a parlé de ce qui lui arrivait quand les salades montaient, montaient. Elle m'en a parlé dans des termes que même les docteurs ils ne sauraient pas dire. Mieux qu'eux. Avec ses paroles de salades de vérité. J'étais très émue. Je me disais "Il faudra que je me souvienne de ce qu'elle m'a dit là. C'est fulgurant de vérité". Et puis, sans doute par respect pour elle, j'ai oublié l'exactitude de ses paroles. Je me souviens de leur vérité, de leur vérité criante.

Quand les salades montent dans la tête à Joséphine, tout le monde est très embêté. Pas que pour l'ambiance du bistrot, mais aussi pour Joséphine. Parce que dans ce bistrot là, Monsieur (ou Madame, d'ailleurs), on y fait attention, aux personnes humaines qui vont et qui viennent. On en prend soin, même. Si, je vous le jure, ça ne paraît même pas croyable, je sais. Mais c'est comme ça.

Alors comme ça, un jour où elle n'est pas là, Joséphine, on en cause. On se demande comment faire, pour Joséphine. On sait que, des fois, elle va dans un lieu de repos pour les salades qui vous envahissent la tête. Oui, mais on ne peut quand même pas l'y emmener avec toutes ses salades. 

Et puis un jour, il y a dans son paysage une amie qui fait signe, et qui l'aide à aller faire reposer ses salades dans le lieu fait pour ça, fait pour les salades que l'on peut parfois avoir dans la tête. C'est des fois comme ça la vie, il y a des amis qui vous filent un coup de main.  Un coup de main pour les salades.

Le temps passe. 

Et puis un jour, elle arrive. 
Joséphine, le retour. 
Elle a la voix devenue douce, discrète. Elle salue avec plaisir. Ma foi, nous aussi, ça nous fait drôlement plaisir de la revoir là, moins encombrée de ses salades. 

La vie reprend son cours. Elle retrouve sa place naturellement, Joséphine, simplement. Personne n'en fait un fromage, des salades à Joséphine. Et elle, elle sait que c'est possible de revenir, naturellement. Parce que les salades à Joséphine, c'est du naturel; du naturel humain. Ici, dans ce bistrot, on sait ça. Les personnes derrière le comptoir le savent avec talent, avec humanité.

Vous savez quoi? J'aimerais des fois croire en Dieu. J'irais me caler quelques minutes dans une église (plutôt une belle, une église romane, tant qu'à faire...), et je le prierais le Dieu de garder sur cette terre ce lieu où "ça" peut arriver. De permettre que d'autres lieux comme ça existent et durent.

Pas de chance, je n'y crois pas, au Dieu. 
Ca ne va pas m'empêcher de causer pour autant. Et de dire tout le bien que je peux de ce lieu, où quelque chose peut avoir ainsi lieu, trouver place, l'humanité qui laisse monter ses salades. Ca arrive à tous les jardiniers et toutes les jardinières.