Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

23 décembre 2016

Bon courage!

Françoise Tomeno
23 décembre 2016

Savez-vous pourquoi, dans ce bistrot, tous ceux qui se mettent à m'adresser la parole me disent à un moment  donné: "bon courage"?

Vous ne savez pas?

Moi non plus.

Peut-être, ma foi, parce que parfois, j'ai un gros cartable, et que je n'ai plus l'âge d'aller à l'école?

Un individu! Noir!

Françoise Tomeno
23 décembre 2016

Atmosphère habituelle ce matin. 
On s'est salués, chacun vaque à ses occupations de bistrot, lecture du journal, conversations, ou ma foi rien...

BFMTV sévit, comme dans beaucoup de bistrots. Ici, lorsque le commentateur évoque le Moyen Orient et les conflits, on écoute un peu, puis le patron change de chaîne. "Pas de conflit dans mon bistrot" semble-t-il dire.

BFMTV en est aux faits que l'on dit "divers".

Je n'écoute pas. Parfois,  alors que je n'écoute pas, je me mets pourtant à entendre. Lorsque la Syrie, l'Irak, Poutine pointent leur nez dans l'ambiance matinale.

Aujourd'hui, sans écouter, les mots "un individu noir" sont arrivés jusqu'à ma conscience. Cela me rappelle qu'alors que j'effectuais des recherches dans des quotidiens de la presse du Nord-Pas de Calais de l'année 1936, j'avais lu: "un homme d'origine portugaise". Je m'étais dit: si ça avait été un homme bien de chez nous, on aurait écrit "un homme", tout simplement. Mais là, d'origine portugaise, ça voulait dire l'immigré. De même qu'aujourd'hui, on dit "d'origine maghrébine".

"Un individu noir", donc. 
Les mots sont parvenus jusqu'à une autre conscience. Un homme, jeune, au teint mat, qui est en train d'arriver dans une dynamique énergique, s'exclame: "Un individu! Noir!".

Ce sera tout  ce qu'il dira. 
Et ce n'est pas la peine d'en dire plus, d'ailleurs.



18 octobre 2016

Dylan is Dylan

Françoise Tomeno
18 octobre 2016

Un jour qui ressemble aux autres.
Maintenant on se salue, on se serre la main, quelques mots autour du "ça va?". Aujourd'hui, ça va avec des hauts et des bas, ça fait le yoyo, la santé peut-être, je n'en saurai pas plus.

Pause au bistrot avant d'aller prendre le boulot.

J'ai déjà oublié les infos entendues tout à l'heure sur France Culture. Il y en a pourtant une de taille, le Nobel de littérature pour Bob Dylan. Guillaume Erner a cuisiné un lettré, le harcelant pour savoir si selon lui Dylan était un littérateur. Un poète. Quand même, ça n'est que des chansons.

Le littérateur tournait autour du pot: si si, c'est justifié... enfin, il aurait préféré que ce soit Gainsbourg (tant qu'à faire), le Gainsbourg d'après la Javanaise. Mais normalement, le Nobel, c'est pour des écrivains qui écrivent des fictions, ils sont bien d'accord.

Et puis dans le fond, tout ça c'est politique. Ça fait un moment qu'il vote à gauche, le jury du Nobel. Pour corriger la tendance générale à droite, extrême, la droite. Alors si c'est Bob, c'est pour dire que l'Amérique, c'est pas celle de Donald, mais bien celle de Dylan. Non mais!

J'ai déjà oublié ce que j'ai entendu sur France Culture.

Un homme est accoudé au bar, il converse avec ceux qui désormais me saluent et avec qui j'échange chaque fois quelques mots de courtoisie. Un homme dans nos âges, le cheveu filasse et plutôt long, quelque chose de nonchalant.

"Vous avez vu? Le prix Nobel, c'est Dylan qui l'a eu... ah! Dylan, c'est chouette, il le mérite bien.
Bon, c'est vieux tout ça..."

Vieux comme nous, à vrai dire, vieux comme notre jeunesse qui surgit à ses mots. Qui surgit et nous réunit d'un coup, au delà de nos différences, de nos inconnus. 

L'homme reprend et se met à  chanter :"Dylan is Dylan....". 

Je n'avais jamais entendu chanter dans ce bistrot.

J'ai bien sûr levé le nez, je ris, ravie, on se voit en train de partager ces bouts de nos jeunesses qui finalement ne foutent pas le camp, même que sans le savoir on en avait un en commun, de bout de jeunesse. 
On s'aperçoit souriants, quelque chose d'une bonne humeur est là, tranquillement installée dans  notre bistrot du matin.

C'est l'heure pour moi d'aller attraper mon bus. Je dois quitter les regards réjouis. Le "au revoir" vient de tous, il ne ressemble à aucun de ceux échangés jusqu'à maintenant dans ce bistrot de mon quartier. Il a quelque chose de sautillant, quelque chose de proche des rires de l'enfance.

Ça c'est bien vrai, Dylan is Dylan.

Tu sais quoi, mon vieux Bob, tu l'as bien mérité, ton prix Nobel, rien que pour ça. Tu n'en sauras jamais rien, mais nous, on le sait.

Allez, ciao, Bob. 


29 juillet 2016

Des vertus de l'eau de javel

Françoise Tomeno
29 juillet 2016

Ça parle chats à la table d'à côté. Je ne peux pas m'empêcher de tendre l'oreille (euh, je la tends, ou je la prête? Je ne sais pas trop).

Je repars vers mes lectures. Quelques minutes plus tard, ça parle d'eau de javel. Je me dis qu'ils doivent être en train de parler de cette irrépressible affection des chats pour l'odeur d'eau de javel. Mais je ne fais pas très attention. 

Jusqu'à ce que je remarque que Mahmoud est là,  Mahmoud, le crieur de vérité du bistrot. Il est là, debout, à leur table, et participe à la conversation. Je re-tends l'oreille, ou je la re-prête, comme vous voulez. Vu la suite, je la prête, je crois. Un regard m'échappe. Il croise un geste de Mahmoud qui pointe son doigt vers son tee shirt. 
Mahmoud ne crie pas et ne parle pas pour autant. Il faut dire que le pointage m'est adressé et comme nous n'avons encore jamais tenu conversation... 
Je regarde mieux, vers le point pointé. Je ne vois rien. Nous restons quelques secondes dans cet échange mystérieux et silencieux.

La dame attablée vient à mon secours et m'explique. Elle était en train de conseiller Mahmoud, chagriné par une tâche sur son tee shirt (ah, c'était donc ça!). Elle lui disait de tremper son tee-shirt dans l'eau de javel, et ça ferait plein de dessins décolorés, ce serait marrant. 

C'est parti. Je raconte avoir fait ça autrefois avec une jupe (d'un joli violet, la jupe), sur laquelle j'avais renversé une bonne partie du contenu d'une bouteille d'huile. Ma foi, oui, je suis d'accord avec la dame, c'était du plus bel effet.

Et nous voilà toutes deux racontant nos trucs pour nous débrouiller des tâches, des trous dans les vêtements. "Et moi, je mets, vous savez, ces petites pièces qu'on colle en repassant, il y en a des sympas" - "J'en fais autant....".

Les deux hommes semblent hors jeu!

C'est bien, un sourire

Françoise Tomeno
29 juillet 2016

-  " C'est bien un sourire..."

-  "Ben, c'est normal?"

- " C'est pas tout le monde!..."

- "......................."

01 mars 2016

Un café pour le philosophe

Françoise Tomeno
1er mars 2016

C'est Mahmoud. Mahmoud qui a retrouvé son survêtement mal ajusté et la courbure qui  le fait foncer droit dans sa vie, et droit dans celle des autres par la même occasion. Mahmoud qui, mystérieusement, en tout cas pour moi, s'était redressé pendant toute une période, avait la posture et le regard qui affrontaient le monde.

Il rentre dans le bistrot et fonce vers le présentoir des jeux sans regarder rien d'autre. 

Un jeune homme que j'ai déjà vu ici, et qui porte dans ses yeux le même arrière-pays que Mahmoud, entre et va vers le comptoir où officient Marlène et Georges.

Mahmoud, lui, s'avance vers l'autre comptoir. C'est le comptoir des jeux, c'est le comptoir  derrière lequel se tient le patron.  Et il tient bien ça, le patron (je ne sais même pas comment il s'appelle, le patron. On ne l'appelle pas de loin, on vient le voir directement à son comptoir).

Mahmoud, semblant ne s'adresser à personne en particulier, toujours la tête droit devant lui, annonce: "Un café pour le philosophe".

Le philosophe, c'est le jeune homme qui vient d'entrer. J'avais déjà entendu Mahmoud le qualifier ainsi. 

Mahmoud, avec cette espèce de fausse innocence qu'il semble parfois afficher, est celui qui dit certaines vérités dans ce bistrot. Tout comme il qualifie ce jeune homme de philosophe, il lui arrive, et c'est bien le seul, de donner des nouvelles du monde, des conflits du monde, des paysages du monde qu'il et qu'ils connaissent bien. Et il n'épargne ni les tyrans ni les  fous de dieux.

Mahmoud, le crieur de vérité.


Restez avec nous, Madame

Françoise Tomeno
1er mars 2016

Il fait partie des hommes à casquette. 

En somme, les hommes qui fréquentent ce bistrot pourraient se ranger en deux grandes catégories: les hommes au teint clair, qui, pour beaucoup, portent casquette, les hommes au teint mat qui, s'ils sont jeunes, portent bonnet ou capuche, s'ils sont plus âgés, vont la tête découverte.

Les hommes au teint clair ont tous un certain âge, les hommes au teint mat ont tous les âges.

J'avais eu l'occasion de saluer cet homme-là alors qu'il était attablé avec des compagnons.

Après un bref passage au bistrot, je prends le bus pour me rendre à mon travail. J'aperçois notre homme à casquette déjà installé, il a dû monter à l'arrêt précédent. Ensemble, nous nous saluons, nous nous sommes reconnus.

Voulant m'installer à une place libre peu éloignée de celle de notre homme, je perds l'équilibre au moment où le bus redémarre. "Restez avec nous, Madame!", et il se marre. Moi aussi.... 
Ma foi oui, cher Monsieur, je vais rester avec vous, avec vous tous qui fréquentez le bistrot devenu "mon" bistrot.

Lorsque je quitte le bus, avant lui, il est évident pour nous deux que nous nous disions au revoir et que nous nous souhaitions une bonne journée.



C'est Byzance

Françoise Tomeno
1er mars 2016

Je rentre par l'autre porte, celle qui donne sur l'avenue. 


Je n'ai pas encore eu le temps de m'installer qu'un habitué, portant casquette comme beaucoup, me salue. C'est bien la première fois qu'un client me salue le premier. J'en suis toute chose. Il est attablé avec trois autre hommes, dont un porte une casquette lui aussi. Je salue la compagnie.


Mahmoud est avec eux. Mahmoud, qui depuis quelques temps délaissait le survêtement mal emmanché pour des vêtements un peu plus chics, et avait profité de ce changement pour se redresser, Mahmoud qui ne fonçait plus la tête la première dans... dans quoi, au fait? Dans la vie peut-être, en tout cas dans la sienne?  Bref, Mahmoud est installé avec eux, et je dois presque le déranger pour m'installer à une table qui, l'air de rien, est en train de devenir "la mienne"... Mahmoud dont j'ai toujours eu l'impression qu'il ne me voyait pas, que je ne faisais pas partie de ses paysages.


Et bien le même Mahmoud ayant entendu un compagnon de tablée me saluer, se tourne légèrement vers moi, et, d'une voix tout juste audible de moi et de sa tablée, m'adresse un vrai bon bonjour.

J'ai bien commencé ma journée. 



La pudeur à Bébert

Ma chère Hélène,

j'ai donc repris mon "travail". 

Lorsque je suis arrivée, Bébert était assis au fond du bistrot. Un homme portant lui aussi casquette s'approchait de lui.

"Dis-donc, t'es triste, Bébert!".

Bébert ne laisse pas respirer son interlocuteur et lui renvoie: "C'est toi qu'es triste". Je n'entends pas la suite. 

Peut-être que Bébert il est triste parce que Riri, son frère, il est encore à l'hôpital? Allez savoir. 

De toute façon, Bébert, il a de la pudeur, et faut pas qu'on lui lève le voile, à la pudeur à Bébert. Faut juste qu'on lui foute la paix.

Tu avais souri, Hélène, lorsque j'avais dit que j'avais pris un peu de "vacances" en n'allant pas dans le bistrot de mon quartier pendant une semaine. J'avais ajouté: "Je reprends mon travail cette semaine". Tu avais souri, ri, que j'appelle ça du travail.

Je pense à ton travail à toi, avec ces autres personnes humaines que tu accompagnes, chez les fous. À ces petites rencontres parfois si fugaces que l'on peut les louper si on n'y prend pas garde, si l'on ne reste pas en éveil. 

Françoise Tomeno
1er mars 2016



La France Profonde

Françoise Tomeno
1er mars 2016

Il est grand, beau comme un dieu. Les yeux et la barbe très noirs, il a quelque chose du Commandant Massoud. Son chapeau à lui est un simple bonnet. Il a entre vingt et vingt cinq ans.

Il apparaît à la porte d'entrée du bistrot, avec un petit sourire, une certaine nonchalance.

" Bonjour la France profonde".

C'est vrai, ici, dans ce bistrot, c'est la France profonde. Ce matin comme beaucoup d'autres, elle est mélangée, métissée.

Quelques minutes plus tard, il est assis à côté d'un homme tout jeune lui aussi, occupé à un de ces nombreux jeux qui se pratiquent quotidiennement dans ce bistrot. Un jeune homme qu'une femme plus âgée, au teint plus clair, assise à la table voisine, taquine en le tutoyant. Je parierais que les enfants de cette femme sont allés à l'école du quartier avec ce jeune homme.

Notre nonchalant, lui, s'est retourné et s'est adressé à une autre dame du même genre que la précédente: "Bonjour madame. Ça va?".
Un ton d'enfant qui tranche avec la barbe fournie et noire. La dame se demande à qui il parle, elle s'assure que c'est bien à elle.

La vie ordinaire d'un quartier ordinaire.

28 janvier 2016

C'est magnifique!

Françoise Tomeno
28 janvier 2016

" Bonjour Messieurs Dames".

La voix est joyeuse, forte, engageante, souriante.

Celui qui vient d'entrer dans le bistrot est assez jeune, de taille moyenne, il porte un manteau de drap de laine de couleur foncée, il a une allure décidée. Ça me plaît, je lui adresse un bonjour discret, nous ne nous connaissons pas, et je pense qu'il salue plus particulièrement les autres personnes un peu plus habituées des lieux que moi.

"C'est magnifique! Vous êtes magnifiques... les anciens! Vous êtes tous là" ajoute-t-il.

Je m'attends à un accueil chaleureux.
Seuls quelques bonjours peu convaincus lui répondent. Il ne semble pas s'apercevoir de cet accueil sans enthousiasme et se met à discuter avec un client qu'il semble bien connaître, un jeune prenant peu soin de sa personne, à l'air paumé. Il l'engage à aller se changer, il peut lui prêter des vêtements, etc. Tout ça toujours de sa voix forte. 

Puis il interpelle la patronne, toujours avec ce même ton enjoué, je ne comprends pas de quoi il retourne, mais elle lui répond sèchement. Je perçois des coups d'oeil dans l'assistance. Visiblement, il agace.

Quel passé ici? Quel passé dans le quartier?

La conversation avec la patronne continue, cela  paraît s'arranger, ça sourit, ça rit un peu. On dirait que la patronne l'a remis à sa place et qu'ils ont pu renouer un petit bout de lien. 

Il repartira assez vite, sans s'être assis, sans avoir consommé.

Je ne l'avais jamais vu avant, je ne le reverrai plus jamais après.

Mystère.....


22 janvier 2016

La semaine dernière

" La semaine dernière,  j'avais plus d'argent pour faire à manger. J'ai fait comme mon grand-père: j'ai fait chauffer du lait avec du sucre " .

Ce vendredi 22 janvier  2016, 9h10, dans le bistrot d'un quartier populaire d'une grande ville, en France. 

Françoise Tomeno