Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

30 juin 2012

RIEN NE VA PLUS! FAITES VOS JEUX?

Françoise Tomeno
30 juin 2012

Il est des lectures, fussent-elles de travail, qui m'absorbent au point que le souci du monde se trouve relégué à la périphérie, tel un bruit de fond. Ces lectures sont celles qui redonnent corps et vie à ma pensée en lui apportant de l'amusement. J'y tiens, à cet amusement à penser, à ce musardage. Il a une autre vertu, celle de repousser également au loin les petites batailles de mon monde interne. Au fond, c'est comme le cinéma.

J'en étais là ce matin, lorsqu'elle est arrivée. Elle, Madame Klaus Kinski. Je n'étais pas décidée du tout à sortir de l'îlot des pages de ce très gros livre, et j'avais un excellent argument: je travaillais pour une intervention que je dois faire bientôt. J'aime bien, lorsque j'ai ce genre de tâche à accomplir, musarder, laisser venir les idées au gré de la rencontre d'un mot, d'une idée, d'une association.

Après l'avoir saluée, j'accueille donc Madame Klaus Kinski d'un "aujourd'hui, je ne peux pas bavarder avec vous, j'ai du travail". Elle se retourne pour sortir sur la terrasse, courbe et grise. Prise de remords, je lui dis qu'elle peut prendre son café à côté. J'essaie de poursuivre ma lecture, mais je me laisse happer par ce que je vois; elle entasse les bouts de son corps sur son siège, son visage est infiniment triste. Je tiens mon gros livre à deux mains, je m'accroche aux rebords de mon embrayeur de pensées et d'amusement. Ca tient, ça ne tient pas, ça se met à flotter. Je lui adresse quelques mots entre mes lignes. 

"J'ai mis ce pantalon, je ne l'aime pas", me lance-t-elle. 
Je ne peux plus me taire, me soustraire à la rencontre.
"Vous avez mis le pantalon du "ça va pas"!
Esquisse de sourire. En effet, ça ne va pas. Elle me raconte; le chien de sa fille; il est malade, sa fille et elle ne sont pas d'accord sur la façon de le soigner. Ce chien est pour elle une sorte de Sésame dans le quartier, on lui en parle, on remarque quand il n'est pas là, les commerçants prennent soin de lui. Alors quand il est malade, c'est elle qui est malade.

Nous devisons de la vie, pas franchement toujours rigolote. Et nous commençons à en rire. Peu à peu, je sens mes mains lâcher prise, et se dessaisir des bords de mon livre.  Mes bras se déplacent, et vont s'installer avec les coudes sur les pages, et tout doucement, s'enfoncent dans le texte. La conversation se poursuit. La colonne vertébrale de Madame Klaus Kinski reprend du tonus, les articulations s'articulent. Et le sourire s'affiche. J'aperçois le titre du paragraphe que j'allais lire "le transfert et le symbolique"... je ris à l'intérieur de moi. J'ai plongé à deux bras dedans. 

Madame Klaus Kinski ayant chaud, elle se lève et retire son blouson épais et très noir, découvre sa belle peau bronzée de vieille dame. On aperçoit alors les tâches de couleur qui se cachaient sous la grisaille, la montre rouge, les chaussures et les chaussettes rouges. Je luis dis qu'elle est belle comme ça. Le corps s'étire, comme un sourire.

À ce moment, on entend une musique enjouée à la radio qui tourne dans le bistrot. Je me surprends à lui dire: "Ca  donne envie de danser". Grand sourire: "c'est vrai!". Et vrai de vrai, j'aurais volontiers proposé à Madame Klaus Kinski d'esquisser quelques pas de danse dans la salle. Même si je ne sais pas danser....

Muser, musarder, amusement.

D'ailleurs, Madame Klaus Kinski, ça vous a donné l'envie d'aller taquiner Charline derrière le comptoir, Charline qui s'adresse toujours à vous avec gentillesse, délicatesse.

Voyez-vous, Madame Klaus Kinski, vous avez été ce matin aussi bonne qu'un bon gros livre de psychanalyse.

25 juin 2012

LE MERLE MOQUEUR ?

Françoise Tomeno
25 juin 2012

Il entre dans le bistrot en chantonnant. Je ne l’avais encore jamais vu. Entre soixante et soixante dix ans, la nonchalance du retraité qui, s’il est loin de rouler sur l’or, a de quoi subsister, et venir en sifflotant boire son café au bistrot de bon matin.
Ce qu’il chante ? « Cerisier rose et Pommier blanc », une chanson d’André Claveau.

Le temps est bien grisaillant aujourd’hui, pas le moindre petit brin de soleil. Alors les cerisiers roses et les  pommiers blancs !...

Je me prends à penser à cette belle phrase de Jacques Prévert: « Soyons heureux, ne serait-ce que pour l’exemple ». Elle m’est souvent précieuse, et les jours de grisaille, il  arrive qu’elle vienne à mon secours. Michel, maraîcher chez qui j’achète toujours mes légumes, à qui je demandais samedi matin si ça allait, m'a dit, sur un ton mi-figue mi-raisin: « Ca va, ça va, mais on va dire, comme Jean Louis Trintignant, «Essayons d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple ». J’en étais toute émue. Ce point là commun avec Michel, chouette. J’avais été très touchée que Jean-Louis Trintignant cite cette petite phrase lors de la proclamation des résultats du festival de Cannes 2012. Il avait utilisé une formule plus prudente que la mienne, et sans doute plus réaliste.

Notre homme chantonnant s’est installé au fond du bistrot, il lit le journal. Il continue d’apporter son brin de soleil au bistrot bien sombre aujourd’hui, il sifflote.

Je pense alors à une autre chanson, que j’ai tant aimé chanter sur les marchés, « Le temps des cerises ». Cet homme serait-il l’oiseau moqueur ? Viendrait-il là nous rappeler qu’en effet, la vie est faite de petits bonheurs, parfois, et plus rarement, de grands bonheurs, de quelques malheurs aussi, et qu’il faut essayer de rester les yeux grand ouverts sur le monde, à guetter le moindre brin de soleil, celui qui vient, par exemple, de là où on ne l’attendait pas ?

Lucioles de la vie, vous avez parfois bien du mal à nous faire oublier les ombres. Mais il peut arriver qu’un oiseau moqueur vienne nous secouer les puces.

24 juin 2012

DES CLIENTS PAS TOUT À FAIT COMME LES AUTRES…..

Françoise Tomeno
24 juin 2012

J’ai rencontré leurs cousins à la Grange de Meslay hier soir : ils sont là à tous les concerts, je pense qu’ils prennent un abonnement chaque année. On dit qu’ils viennent à la Grange même lorsqu’il n’y a pas de concert, tant ils aiment ce lieu. Ils font partie de la branche rurale de la famille.

Ceux dont je vous parle aujourd’hui font partie de la branche urbaine. Certains d’entre eux habitaient, il n’y a pas si longtemps encore, juste devant le bistrot, sur la place. Ils ont dû quitter leur logement parce  que celui-ci a été abattu, pour des raisons que j’ignore. Les autres sont tous du quartier.

Ils sont suffisamment nombreux pour qu’il y ait, à toute heure de la journée, l’un d’entre eux de passage au bistrot ; ils viennent en nombre l’été. Ils consomment tous la même chose, et en toute saison.

Les cousins de la branche rurale sont chanteurs, c’est peut-être pour cela qu’ils affectionnent la Grange. Ils ont même une particularité, c’est celle de chantonner à chaque début de concert. Curieusement, la salle est toujours très tolérante.
C’est ce qu’ils ont fait hier soir, lors du concert du Quatuor Jérusalem. Ils ont accompagné le début du quatuor de Beethoven, puis ont fait silence par la suite, et toujours silence lorsque nous avons écouté Brahms. Par contre, ils se sont déchaînés lors du bis, un mouvement d’un quatuor de Debussy. Personne n’a récriminé.

Les cousins urbains présentent une autre particularité de déviance sociale. Ils sont plutôt voleurs. Et là aussi, curieusement, on ne leur en tient pas rigueur, on ne porte pas plainte. Je dois en effet vous préciser qu’ils ne paient jamais leur consommation. Il arrive que les habitués qui boivent du café, et qui connaissent leurs goûts, leur donnent une part de leur part. Parfois même, l’un de ces clients très particuliers vient se servir à la table sans que l’on ait le temps de s’en apercevoir… Je peux en témoigner, cela m’est arrivé un jour en terrasse. Le serveur avait à peine posé la tasse de café devant moi que le pain d’épices qui accompagne toujours le café s’était envolé. Incroyable.

Il y a quelques jours, un habitué, sur le pas de la porte qui est ouverte en été (deux portes sont ouvertes l’été, il faut faire courant d’air…), et alors que j’étais concentrée sur des notes de travail, me dit « Vous mangez votre pain d’épices ? ». Bien obligée de lever la tête, me voilà gagnée par un vieux fond de culpabilité qui remonte parfois dans les grandes circonstances : oui, je mange mon pain d’épices, j’aime le pain d’épices. Et lui, l’habitué, d’émietter sous mon nez, pour me culpabiliser sans doute encore un peu plus, son pain d’épices à lui. Damned, je suis faite. Parce que ma vieille solidarité de chanteuse avec les oiseaux est ébranlée.

Il y a un peu plus d’un an maintenant, à la fin de l’hiver, l’un de ces clients pas tout à fait comme les autres venait régulièrement dans le bistrot et attendait que l’un des serveurs lui laisse tomber presque négligemment (tu parles !) un bout de pain d’épices. Les serveurs et les serveuses l’avaient nommé Toto. Était-ce toujours le même oiseau Toto? Ou bien se passaient-ils le mot en famille ? Ils se ressemblent tous tellement dans cette famille!

Ce bistrot est décidément très accueillant, et tolérant.



18 juin 2012

ENTRE LA GRÂCE DE YULIANNA ET LA PUISSANCE DE GENGIS KHAN, LES EMBARRAS DE MONSIEUR GASTON

Ou, « comment passer une journée avec des accrocs »


Françoise Tomeno
17 juin 2012

La journée avait commencé de travers. J’avais fait le projet de partir un peu plus tôt pour pouvoir profiter du soleil  avant le concert de 11 heures. J’étais sur le point de partir, et comme toujours, je vérifie que le chat est bien là avant de refermer la porte. Rien, ni dans les chambres, ni dans le séjour, ni sur le balcon, ni dans aucun des lieux qu’il affectionne. Panique ! J’appelle, je cherche, rien. J’avais bien entendu un drôle de bruit à un moment, mais je ne m’étais pas inquiétée, j’avais pensé qu’il était dans un de ses moments de folie où il se lance sur le parquet pour atterrir sur un des tapis. Mais là, je me demande s’il ne s’est pas échappé, s’il n’est pas tombé du balcon. Je retourne dans une des chambres, je cherche sous le lit, rien. J’agite la petite balle au grelot, rien ne bouge. Je m’apprête à me relever, et un monstre me tombe dessus brusquement : Nez Jaune (oui, c'est le nom de mon chat), lui-même personnellement, vient de m’atterrir dessus à toute vitesse, et un matelas pliable posé sur le haut de l’armoire en a profité pour en faire autant. Il avait réussi à grimper, Dieu sait comment, tout là-haut, et était resté sourd à mes appels, jusqu’à ce que je constitue une sorte de palier d’atterrissage.

Bon, tout va bien, il est là, je peux partir tranquille, d’autant qu’avec tout ça, j’ai pris du retard. Arrivée devant ma voiture, je constate avec effroi que j’ai un accroc à ma tunique, avec les marques des griffes de Nez Jaune ! La chute a laissé des traces. J’ai le choix : soit revenir me changer à toute vitesse, ou, si je veux encore profiter un peu de cette arrivée magique à la Grange de Meslay, filer tout de suite, avec accroc. La tunique est large, je décide que ça ne se verra pas trop, et même, ça me fait rire de passer une journée ainsi.

Deuxième déveine : sur l’autoroute, absorbée dans Dieu sait quelles pensées, je rate la sortie pour aller à la Grange. Je ne m’en rends compte qu’après un certain temps. Il est de toute façon trop tard, il n’y a pas moyen de faire demi-tour avant la sortie de Château-Renault. Là encore, ça me fait plutôt rire. Demi-tour à toute blinde au rond-point de la sortie d’autoroute, je fonce, j’arrive pile au moment où les portes vont se fermer. Tant pis pour la magie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, surtout quand on est tête en  l’air.

Je me demande ce qui va m’arriver d’autre dans la journée, parce qu’en général, quand ça commence comme ça, on peut s’attendre à une série….

C’est Yulianna Avdeeva, une toute jeune pianiste russe, qui est au piano. Magnifique de grâce, de sensibilité. Une « Pavane pour une Infante défunte », de Ravel, à pleurer.  Sortie de concert émerveillée. Je reste toute la journée, et j’ai réservé le repas du midi sur place. Le repas se déroule dans une des dépendances de la Grange. Nous voilà un bistrot éphémère à partager. Je me demande avec qui je vais déjeuner, j’aime ce genre de surprise. Je m’installe à une table où il n’y a pour l’instant qu’un couple, je les salue  de façon bien décidée. Nous échangeons quelques mots ; nous rejoignent alors quatre personnes qui sont ensemble : un couple d’un certain âge, une dame du même genre d’âge, et un homme plus jeune, genre fils de la deuxième dame.

C’est là que Gaston entre en scène. Gaston, c’est le Monsieur d’un certain âge. D’abord nous apprenons qu’il apprécie beaucoup le verre de Chinon servi avec le plateau-repas. Mais ça se gâte. Le Chinon, lui, réserve une surprise à Gaston. Il fait comme mon chat, il lui saute dessus et va tâcher son beau blouson couleur mastique. Bon, une petite tâche, ça devrait passer, comme mon accroc. Mais la guigne ne s’arrête pas là, et j’ai soudain l’impression que le mauvais sort qui s’en était pris à moi le matin vient de traverser la table subrepticement et est allé jeter son dévolu sur Gaston. Bingo ! Gaston, en essayant d’attraper la nourriture répartie dans plein de petites cases sur le plateau, essuie à plusieurs reprise la manche de son toujours beau blouson, couleur mastique, sur le gâteau au chocolat coincé dans un coin du plateau. Il faut dire que pour atteindre la viande froide, il faut imprimer des mouvements de contorsion au plateau qui requièrent une grande habileté. Bizarrement, je ne m’en sors pas trop mal. Mais Gaston, lui, se désespère de plus en plus : que faire avec ce gâteau au chocolat ? La scène dure un bon moment jusqu’à ce que l’épouse de Gaston lui propose de tourner son plateau de façon à ce que le gâteau se retrouve à l’opposé, soit vers elle. Euréka, le chocolat se calme, les tâches atteignent enfin un nombre fini.

Un peu plus tard, je retrouve Gaston, son épouse et leurs deux amis, dans la salle de concert, dans la Grange, juste un peu devant moi. C’est Joseph Swensen qui est à la baguette, avec l’Orchestre de Chambre de Paris. Au programme, Beethoven, Coriolan, ouverture symphonique. Joseph Swensen, au visage aux traits mongols, a une direction puissante. Il lance son orchestre comme Gengis Khan devait lancer ses cavaliers dans la steppe. En deux temps trois mouvements, je vois dans les musiciens une troupe de chevaux lancés avec force. Joseph Swensen, dans les mouvements ou les phrasés plus doux, danse avec la musique, comme s’il était sur un des petits chevaux mongols, au pas. Le mouvement, ici, est roi.

Je pense à Gaston et au sort que nous partageons lui et moi. Face à cette splendeur de la musique, nous sommes là, l’un et l’autre, avec nos accrocs, nos tâches, nos petites bizarreries. Comment supporte-t-il, Gaston ? En tout cas, il a toujours sur le dos le blouson mastique. Et moi l’accroc à ma tunique.

La vie est pleine d’accrocs, de petites tâches, qui font de nous des êtres ordinaires. Ca n’empêche pas, semble-t-il, de goûter l’extraordinaire, celui de la grâce, comme celle de Yulianna ce matin, ou de la belle puissance de Joseph Swensen et de son orchestre cet après-midi.

Et puis, il y a ce qui m’a accompagnée tout ce jour : le rire. Juste avant de repartir, j’ai voulu m’assurer de quelque chose. Il m’avait semblé avoir lu, sur un petit panneau posé sur la porte de la salle qui nous avait servi de bistrot éphémère, quelque chose, mais je me disais que ce n’était pas possible. Et bien si : la salle où Gaston s’était attrapé ses tâches s’appelait « La Vacherie ». Ça ne s’invente pas ?

11 juin 2012

MARCO, MICHEL, MOMO, ET NOUS AUTRES…

Françoise Tomeno
11 juin 2012

Je l’aperçois de l’autre côté de la vitre de l’entrée du bistrot. Dans un premier temps, plongée dans ma lecture, je n’aperçois qu’une silhouette, reconnaissable entre toutes. C’est bien lui, Marco, ancien serveur de ce bistrot. Je sais qu’il vient parfois, mais je n’ai jamais eu l’occasion, le plaisir, de le croiser. Le haut du corps penché vers son interlocuteur, visage de profil, mais le bas du corps déjà en partance vers une autre direction, qui sera l’intérieur du bistrot. Je l’ai toujours perçu comme ça, Marco : une moitié de lui en discussion avec l’un ou l’autre, l’autre moitié qui s’affaire à son service.

Le voici qui entre, salue tout le monde, et commence à taquiner Michel, qui est derrière le comptoir, au boulot. C’est samedi matin, ça commence à être chaud.  Comme je suis plongée dans un très beau livre, « Éloge des voyages insensés », de Vassili Golovanov, je rate la conversation entre Marco et Michel, probablement un morceau d’anthologie à la Marco. Mais que voulez-vous, quand je voyage, je voyage.

Tout à coup, je vois Marco desservir les tables. Il file un coup de main à son collègue, à Michel, tout en continuant à le chiner.
Servir, desservir. On sert quelqu’un, un client, on ne le dessert pas, c’est la table que l’on dessert. Quand on dessert quelqu’un, c’est qu’on ne lui rend pas service, bien au contraire. Bizarre, la langue.

La noblesse du geste du serveur est dans le « servir », pas dans le « desservir ». J’ai l’impression qu’il existe pas mal de photos de serveurs en train de servir, mais pas beaucoup de photos de serveurs en train de desservir. Desservir, c’est du côté du déchet, des tâches moins nobles, du mégot, des papiers de sucre déchirés, de la proche poubelle ou de l’eau de vaisselle.

Et pourtant…. Quand Marco était serveur ici, Momo lui filait un coup de main, pour desservir, précisément. Et Marco prêtait une attention toute particulière à cette tâche qu’accomplissait Momo, commentant, aidant, encourageant, indiquant, plaisantant aussi. Il donnait ainsi toute sa noblesse à ce geste du desservir, et toute sa dignité à Momo [1]. Momo, assoiffé de reconnaissance, la trouvait chez Marco, en échange de ces gestes qui étaient considérés par Marco comme du vrai travail.

Aujourd’hui, c’est Marco qui fait le travail de Momo. Et le geste est élégant, et drôle.

06 juin 2012

LA BISE AUSSI....

Françoise Tomeno
6 juin 2012

Madame Klaus Kinski est de retour après une semaine de vacances. Je lui trouve le visage reposé, ses beaux yeux bleus sont tout clairs, elle arbore un sourire engageant; elle est habillée de rouge, ce qui lui va très bien, et est un peu inhabituel (elle n’avait de rouge jusqu'à maintenant qu’une paire de chaussures qu’elle met parfois, et qui me rendaient envieuse, je ne m'étais pas gênée pour le lui dire).

Très spontanément, face à son allure ensoleillée, je me lève et vais lui faire la bise, et je lui dis que je suis contente de la revoir, apparemment en forme. À ce moment-même entrent dans le bistrot, juste derrière elle, Madame et Monsieur. Monsieur devance Madame, il vient me saluer. Madame m’aperçoit faisant la bise à Madame Klaus Kinski. Aussitôt elle arrive (j’allais dire « elle se précipite » : son corps de chair ne peut pas se précipiter, elle a la démarche lente, mais je crois percevoir un certain empressement de l’âme). Elle vient vers moi, et, tout en me serrant la main comme nous faisons d’habitude, elle s’approche en disant « la bise aussi ». Et c’est  bien volontiers que je la lui offre, cette bise.

Comme elles sont touchantes, ces deux vieilles dames en quête de reconnaissance.

 J’ai un cœur d’artichaut ? Oui, et j’assume. Ca fait tellement longtemps que c’est comme ça que j’ai fini par m’y habituer.