Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

11 juin 2012

MARCO, MICHEL, MOMO, ET NOUS AUTRES…

Françoise Tomeno
11 juin 2012

Je l’aperçois de l’autre côté de la vitre de l’entrée du bistrot. Dans un premier temps, plongée dans ma lecture, je n’aperçois qu’une silhouette, reconnaissable entre toutes. C’est bien lui, Marco, ancien serveur de ce bistrot. Je sais qu’il vient parfois, mais je n’ai jamais eu l’occasion, le plaisir, de le croiser. Le haut du corps penché vers son interlocuteur, visage de profil, mais le bas du corps déjà en partance vers une autre direction, qui sera l’intérieur du bistrot. Je l’ai toujours perçu comme ça, Marco : une moitié de lui en discussion avec l’un ou l’autre, l’autre moitié qui s’affaire à son service.

Le voici qui entre, salue tout le monde, et commence à taquiner Michel, qui est derrière le comptoir, au boulot. C’est samedi matin, ça commence à être chaud.  Comme je suis plongée dans un très beau livre, « Éloge des voyages insensés », de Vassili Golovanov, je rate la conversation entre Marco et Michel, probablement un morceau d’anthologie à la Marco. Mais que voulez-vous, quand je voyage, je voyage.

Tout à coup, je vois Marco desservir les tables. Il file un coup de main à son collègue, à Michel, tout en continuant à le chiner.
Servir, desservir. On sert quelqu’un, un client, on ne le dessert pas, c’est la table que l’on dessert. Quand on dessert quelqu’un, c’est qu’on ne lui rend pas service, bien au contraire. Bizarre, la langue.

La noblesse du geste du serveur est dans le « servir », pas dans le « desservir ». J’ai l’impression qu’il existe pas mal de photos de serveurs en train de servir, mais pas beaucoup de photos de serveurs en train de desservir. Desservir, c’est du côté du déchet, des tâches moins nobles, du mégot, des papiers de sucre déchirés, de la proche poubelle ou de l’eau de vaisselle.

Et pourtant…. Quand Marco était serveur ici, Momo lui filait un coup de main, pour desservir, précisément. Et Marco prêtait une attention toute particulière à cette tâche qu’accomplissait Momo, commentant, aidant, encourageant, indiquant, plaisantant aussi. Il donnait ainsi toute sa noblesse à ce geste du desservir, et toute sa dignité à Momo [1]. Momo, assoiffé de reconnaissance, la trouvait chez Marco, en échange de ces gestes qui étaient considérés par Marco comme du vrai travail.

Aujourd’hui, c’est Marco qui fait le travail de Momo. Et le geste est élégant, et drôle.