Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

24 juin 2012

DES CLIENTS PAS TOUT À FAIT COMME LES AUTRES…..

Françoise Tomeno
24 juin 2012

J’ai rencontré leurs cousins à la Grange de Meslay hier soir : ils sont là à tous les concerts, je pense qu’ils prennent un abonnement chaque année. On dit qu’ils viennent à la Grange même lorsqu’il n’y a pas de concert, tant ils aiment ce lieu. Ils font partie de la branche rurale de la famille.

Ceux dont je vous parle aujourd’hui font partie de la branche urbaine. Certains d’entre eux habitaient, il n’y a pas si longtemps encore, juste devant le bistrot, sur la place. Ils ont dû quitter leur logement parce  que celui-ci a été abattu, pour des raisons que j’ignore. Les autres sont tous du quartier.

Ils sont suffisamment nombreux pour qu’il y ait, à toute heure de la journée, l’un d’entre eux de passage au bistrot ; ils viennent en nombre l’été. Ils consomment tous la même chose, et en toute saison.

Les cousins de la branche rurale sont chanteurs, c’est peut-être pour cela qu’ils affectionnent la Grange. Ils ont même une particularité, c’est celle de chantonner à chaque début de concert. Curieusement, la salle est toujours très tolérante.
C’est ce qu’ils ont fait hier soir, lors du concert du Quatuor Jérusalem. Ils ont accompagné le début du quatuor de Beethoven, puis ont fait silence par la suite, et toujours silence lorsque nous avons écouté Brahms. Par contre, ils se sont déchaînés lors du bis, un mouvement d’un quatuor de Debussy. Personne n’a récriminé.

Les cousins urbains présentent une autre particularité de déviance sociale. Ils sont plutôt voleurs. Et là aussi, curieusement, on ne leur en tient pas rigueur, on ne porte pas plainte. Je dois en effet vous préciser qu’ils ne paient jamais leur consommation. Il arrive que les habitués qui boivent du café, et qui connaissent leurs goûts, leur donnent une part de leur part. Parfois même, l’un de ces clients très particuliers vient se servir à la table sans que l’on ait le temps de s’en apercevoir… Je peux en témoigner, cela m’est arrivé un jour en terrasse. Le serveur avait à peine posé la tasse de café devant moi que le pain d’épices qui accompagne toujours le café s’était envolé. Incroyable.

Il y a quelques jours, un habitué, sur le pas de la porte qui est ouverte en été (deux portes sont ouvertes l’été, il faut faire courant d’air…), et alors que j’étais concentrée sur des notes de travail, me dit « Vous mangez votre pain d’épices ? ». Bien obligée de lever la tête, me voilà gagnée par un vieux fond de culpabilité qui remonte parfois dans les grandes circonstances : oui, je mange mon pain d’épices, j’aime le pain d’épices. Et lui, l’habitué, d’émietter sous mon nez, pour me culpabiliser sans doute encore un peu plus, son pain d’épices à lui. Damned, je suis faite. Parce que ma vieille solidarité de chanteuse avec les oiseaux est ébranlée.

Il y a un peu plus d’un an maintenant, à la fin de l’hiver, l’un de ces clients pas tout à fait comme les autres venait régulièrement dans le bistrot et attendait que l’un des serveurs lui laisse tomber presque négligemment (tu parles !) un bout de pain d’épices. Les serveurs et les serveuses l’avaient nommé Toto. Était-ce toujours le même oiseau Toto? Ou bien se passaient-ils le mot en famille ? Ils se ressemblent tous tellement dans cette famille!

Ce bistrot est décidément très accueillant, et tolérant.