Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

26 février 2012

SINGING IN THE RAIN

Françoise Tomeno
26 février 2012

Été 76. Depuis juin, aucune précipitation.
Les vacances sont terminées, et le petit monde qui fréquente habituellement le Helder, devenu le lieu de rassemblement d'un grand nombre de "marginaux", comme on disait à l'époque (le mot n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui, il désignait les post soixante-huitards et la jeune génération qui suivait), tout ce petit monde se retrouve dans ce bistrot pour un rendez-vous quasi quotidien. 

Nous sommes début septembre. Personne en terrasse, il fait trop chaud. Nous nous réfugions non pas au frais, mais au moins chaud. Nous n'osons plus espérer la pluie.

Et soudain, la voilà. Quelqu'un lance dans la salle du bistrot la bonne nouvelle, la pluie, enfin. Dans un mouvement  unanime, notre troupe bigarrée se précipite sur la terrasse, et nous voilà tous tendant nos bras à la pluie, riant, dansant, comme si nous réinventions un rituel des temps anciens, retrouvé presque malgré nous. Nous fêtons la pluie, nous lui rendons hommage.

Nous resterons là pendant longtemps, tout le temps que la pluie tombera sur nous. Nous sommes trempés, dégoulinant, mais peu importe, c'est la fête. Notre avidité est insatiable.

Aujourd'hui, je suis repassée par le Helder. Mon bistrot du dimanche a pris ses quartiers d'hiver, et il n'est pas encore ouvert. Il me faut trouver un endroit où bouquiner en attendant l'ouverture de la libraire Veyssière, où aura lieu tout à l'heure la rencontre avec Jean-Jacques Martin, qui y expose ses "crobards". Jean-Jacques, qui a travaillé 26 ans à la clinique de La Chesnaie, et assuré de longues années la tenue des séminaires de l'EPIC (École de Psychiatrie Institutionnelle de La Chesnaie). Jean-Jacques qui va recevoir tout à l'heure ses amis de La Chesnaie, et beaucoup d'autre amis. Jean-Jacques qui m'avait dit, après que j'aie présenté, lors de l'un des séminaires, mon travail avec des enfants sourds, et plus particulièrement "Mademoiselle Papillon, par Madame Tomate": "Il faudra que tu publies, ça pourrait s'appeler Contes Psychanalytiques".

Je suis au Helder, je lis un peu, mais je repense surtout à cet été 76. À nos jeunesses certes, mais surtout à cet immense espoir qui nous animait. Nous étions à quelques années de la fin des trente Glorieuses, nous ne nous étions pas aperçu qu'elles étaient terminées... Nous pensions le monde ouvert devant nous. C'était l'année de la réunification du Vietnam. Nous allions faire un monde solidaire, nous allions créer, inventer des formes de vie où la justice sociale serait au devant de la scène.

Je suis au Helder, je pense à nos rêves, nos élans idéalistes. Je pense à Jean-Jacques que nous allons saluer les uns et les autres tout à l'heure, et aux cliniques de La Chesnaie, Laborde, Saumery, Freschines.

Que reste-t-il de nos élans, de nos capacités à inventer, espérer, créer? Que va-t-il rester bientôt de ce travail en psychiatrie qui, lui, était bien réaliste, et persiste encore dans des lieux qui risquent de se raréfier?

Raréfaction. Comme la pluie en 1976.

D'où nous viendra la pluie, si ce n'est de nous-mêmes, de l'intérieur de nous-mêmes?

Quels sont les territoires qui peuvent encore accueillir nos rêves?

Je pense à l'art, à la création. 

Alors, sachons être les poètes de nos vies, y compris face à l'adversité du monde? 

Je pense à cette phrase proposée par Jacques Prévert alors que, dans les années 30, il oeuvrait avec le groupe Octobre Rouge: "Soyons heureux, ne serait-ce que pour l'exemple".



Il faudra que je pense à dire à Jean-Jacques que, si les Contes Psychanalytiques n'ont pas été publiés, ils ont pour autant trouvé une terre d'accueil..... sur un blog, que j'en suis ravie, et que, depuis, sont nées ces petites chroniques de bistrot, et j'en suis tout aussi ravie.



25 février 2012

PASSAGERS CLANDESTINS

Françoise Tomeno
25 février 2012

Ils sont arrivés sans bruit, je ne les ai pas vus venir, ils se sont installés à ma table.

J’avais changé de bistrot, le « mien » était en travaux pour une semaine. J’avais choisi un bistrot que je connais un peu, dont j’apprécie l’accueil. Ce matin-là, j’y étais la seule cliente, et j’essayais de me concentrer sur la lecture d’un tapuscrit  que m’avait confié un jeune camarade, un texte qu’il s’apprête à publier sur le militantisme pro-immigré. J’avais un peu de mal à me concentrer : la radio était assez forte. Je m’obstinais, je voulais rendre compte de cette lecture à Greg le plus vite possible.

Dès les premières pages, je  me dis que certaines phrases qu’écrit Greg pourraient tout aussi bien se rapporter aux fous. Et je brode de mon côté, lâchant pour quelques minutes le texte.

Les fous, assignés à résidence, enfermés de plus en plus souvent dans des chambres d’isolement, elles-mêmes de plus en plus nombreuses, en particulier dans les nouvelles structures qui n’ont plus rien d’hospitalier. Les fous, dont la parole ne compte plus. Les fous, qui ne peuvent plus circuler librement pour aller à la cafétéria (quand il en existe encore une). Je pense à la Psychothérapie Institutionnelle, qui affirme les conditions d’un accueil dans un lieu de soin : liberté de circulation des personnes, de la parole, des biens, de l’argent. Je me dis qu’il en est pour les fous comme pour les immigrés sans papiers. Privés les uns et les autres de ces mêmes libertés. La Psychothérapie Institutionnelle qui prévoit une gestion commune, par les patients et les soignants, des ateliers, de l’argent des ateliers, du Club. Qui prévoit le « faire avec » plutôt que le « faire pour », dans la vie quotidienne.

Je poursuis le texte de Greg, et toujours mon esprit repart vers les fous.

Et soudain je les vois là, à ma table, les fous, la psychiatrie, la Psychanalyse, la Psychothérapie Institutionnelle. Un récent texte de la Haute Autorité de Santé sur les « Recommandations de bonnes pratiques », texte qui sera rendu public le 6 mars prochain, désavoue la Psychanalyse et la Psychothérapie Institutionnelle, classant leurs interventions comme « non recommandées ou non consensuelles ».

Et me vient à la mémoire un autre « café », dans un lieu de soin psychiatrique, le temps du café pour les personnes qui étaient de cuisine ce jour-là. Pensionnaires et soignants sont là, autour de la même table. Il est trop tard pour aller prendre le café à la cafétéria, elle vient de fermer. Deux moments me touchent particulièrement. Un jeune pensionnaire annonce qu’il va faire la sieste. Un soignant commente : « Ah, moi je ne peux pas, je fais l’atelier X.. ». Le jeune patient suspend sa phrase une seconde, et, avant de s’en aller : « Vous n’avez pas de chance…., ou bien si, vous avez de la chance ».  En une petite phrase tient tout un monde de liens entre les uns et les autres, la possibilité pour les uns et les autres de se parler, la possibilité pour un pensionnaire d’adresser au soignant une vérité sur leurs conditions respectives. Un autre patient vient prendre la place de celui qui est parti faire la sieste. Un moniteur se lance, sur un ton très sérieux, dans des élucubrations un peu complexes, qui nous font rire, on n’y comprend pas grand-chose. On le chine un  peu. Le pensionnaire qui vient d'arriver se moque alors de lui  avec un humour très british.

Pour qu’une telle petite scène puisse avoir lieu, il faut bien que les pensionnaires aient la possibilité d'aller et venir, de prendre la parole, que le hasard de ces allées et venues permettent des rencontres dont certaines vont compter beaucoup, que les lieux de la quotidienneté soient partagés et non réservés les uns aux soignants et les autres aux pensionnaires.

Tout cela est menacé actuellement. Ce n’est pas la Psychanalyse qu’il faut défendre, c’est l’humain, et, bien entendu, dans l’humain, on retrouvera la Psychanalyse.

Je pense à ce passager clandestin par excellence qu’est l’Inconscient. Je pense à certaines de nos traversées psychiques qui nous font frôler de près, parfois, la déraison, le « hors de soi ». Je pense aux rêves, aux rêveries.

Est-ce qu’une loi viendra bientôt interdire l’Inconscient, les rêves ?

La réalité me ramène dans le bistrot, où je suis toujours seule, ce qui a sans doute permis à mes amis clandestins de venir me faire signe. Je commence à penser à ce texte que je vais écrire.

Et puis soudain : mais, comment il s’appelle, ce bistrot ? Non, ce n’est pas possible !
Je cherche partout autour de moi, pas de trace de son nom. Je sais que je vais le trouver dehors.

C’est… oui ! C’est bien ça : « Le Pampre Fou » !

Pampre : « Le terme dérivé « pampiniforme » est employé pour décrire une structure entortillée » dit Wikipedia. Les structures entortillées de la folie, de nos humanités, de nos rêves, n’ont plus « lieu » d’être dans ce monde droit et raide.

Vous avez profité, frères humains dans la folie, de mon moment de solitude dans ce bistrot de remplacement, pour vous inviter à ma table. Mon café était partagé d’emblée avec vous tous, dans le souvenir de tous ces moments que j’ai eu la chance de vivre avec vous pendant ces années où j’ai travaillé en psychiatrie, dans un des lieux de la Psychothérapie Institutionnelle. Je vous remercie de cette visite intempestive, je vous remercie de m’avoir permis de m’attarder à nouveau sur ces entortillements de nos âmes, et sur notre condition commune d’humains.

19 février 2012

LA REINE DELPHINE EN SON JARDIN

C’est un très beau jardin de France, avec ses pelouses, où les jeunes du lycée voisin viennent se rassembler à la belle saison pendant les pauses, avec ses arbres, à la majesté nuancée par une certaine familiarité avec les arbres des contes, avec ses essences rares, ses senteurs de rêve dès l’arrivée du printemps, ses pièces d’eau, ses canards et ses cygnes, retrouvés comme de vrais compagnons de route à chaque passage. De quoi me réjouir d’être obligée de me garer loin et de devoir traverser le jardin. Le kiosque me fait chaque fois rêver d’aller y chanter. Parfois, l’un ou l’autre, de bonne heure, fait ses exercices de Taishi ; me revient alors en mémoire les jardins de Pékin, petits ou grands, où l’on croise ainsi, au petit matin, dans un calme qui apaise, le pékinois ou la pékinoise qui, faisant fi de tout regard et de toute attention, s’est lancé dans ces beaux mouvements qui s’enchaînent avec grâce.

Règne ici une personne de marque, puisqu’il s’agit du Sieur de Ronsard, Pierre de son petit nom. Oui, tel un roi, il trône ici, entouré de ses roses, qu'il raille avec douceur dans ses poèmes, oublieux de ses propres flétrissures. Il accueille le visiteur qui pénètre dans le jardin par l’entrée principale.

Tout allait ainsi lorsque vint s’installer, face au Seigneur de ces lieux, une princesse légère et souriante. La ville lui avait accordé une sorte de maison de bois, dont l’intérieur était si petit qu’elle seule pouvait y tenir. Mais la princesse aimait la compagnie, et sur la terrasse qui prolongeait la maison, elle offrait à boire et à manger. On s’installait sous la pergola, ou à l’extérieur. Les jours où la pluie venait nous surprendre, on se repliait sous l’abri de bois, sous les jasmins, et l’on se serrait pour être le moins mouillé possible.

La princesse était sans doute également un peu fée puisqu’il suffisait de venir deux ou trois fois pour faire connaissance avec l’un, avec l’autre. Elle installait là, dans ce petit espace face au roi, une ambiance d’attention, légère, et cependant présente, comme elle l’était elle-même. Le roi Pierre n’en prenait pas ombrage.

La princesse ne venait dans sa maison de bois qu’à la belle saison, et trouvait cela dommage. Elle fit part au Maire et à ses collègues de son souhait que soit installée en ce lieu une maison un peu plus grande, un peu moins rudimentaire, où elle pourrait accueillir ses visiteurs hiver comme été, avec une vraie cuisine, et toujours la fameuse terrasse, mais plus grande également. Elle était tellement convaincue, la princesse Delphine, tellement obstinée, si patiente aussi, qu’elle finit par obtenir cette nouvelle maison. Et l’on revit la princesse dès novembre. Princesse ? Que dis-je… Elle en avait profité pour devenir reine, ce sont des choses qui arrivent.

Elle régnait donc là, accueillant les hôtes de passage, pour un café, un repas qu’elle composait avec amour, des potions tel ce délicieux cidre chaud aux épices, que j’ai dégusté avec plaisir, un de ces beaux jours de neige qui donnait au jardin une allure de paysage canadien. Il m’avait bien réchauffé l’âme.

La reine avait compris que j’aimais le poisson. Vous savez ce qu’elle faisait ? Le jour où elle savait que je venais, elle faisait toujours un plat de poisson, attention délicate.

Après les grands frimas, le jardin se découvrit, avec ses jeunes pousses que les gardiens et les jardiniers avaient pris soin de préserver du passage intempestif de petits pieds avides de fouler le beau tapis blanc. Les oiseaux commençaient à croire au printemps. Chacun avait le sourire.

Je m’étais installée comme d’habitude. Toutes les tables étaient prises. Une belle femme au sourire rayonnant arrive, salue Delphine, qui lui propose de revenir dans cinq minutes. Je propose alors à cette belle dame de s’installer à ma table. Sourires dans la salle : tous ici savent que c’est comme ça chez la reine Delphine. Presque tous. J’entends à la table d’à côté une femme expliquer à son vieux papa qu’ici, au bout d’un moment, tout le monde connaît Delphine, et que les liens se font tout seuls.

Je parle avec cette charmante personne, que nous appellerons Armelle. Vous habitez dans le quartier ? Et vous ? Moi, je travaille à deux pas. On parle du jardin, de la période où Armelle venait tous les jours à la sortie de l’école avec ses enfants. Et puis, c’est inévitable, nous parlons de Delphine, de son sens de l’accueil, de son sourire, de sa gaieté. Armelle commente : « Elle est comme une reine, ici, Delphine ». Je jubile… J’avais commencé à bricoler depuis un moment ce que j’allais écrire sur le bistrot de Delphine, et j’avais déjà décidé de la faire reine. Je le dis à Armelle, nous rions. Lorsque Delphine s’approche, nous lui disons que nous lui attribuons le titre de reine. « Princesse, reine, fée, magicienne, et même sorcière… enfin non, pas sorcière… quoique ! » commente Delphine.

Si vous passez par ce beau jardin de France, prenez la peine de vous arrêter chez la reine Delphine. Goûtez ses inventions, toujours renouvelées, n’ayez pas peur de ses potions, elles apportent toutes le sourire.

Quant à vous, mon cher Pierre (vous permettez que je vous appelle Pierre ?), vos roses n’ont qu’à bien se tenir. L’âme de la reine Delphine est de celles qui ne flétrissent pas avec l’âge. Nonobstant, vous demeurez le Roi, et vos poèmes restent de ceux qu’on aime à se redire. Mais vous avez désormais, juste en face de vous, une bien belle compagnie en la personne de la Reine.


ÉPILOGUE

Vous souriez, sire ? Vous n’êtes pas froissé des fantaisies que je viens de vous adresser et des libertés que j’ai prises envers vous ?

Que dites-vous ? Ah, ce sont les premiers vers de votre Ode à Delphine…. ? Je m’éclipse, alors, vous laissant à votre écriture.

Au passage, je vous salue, Reine Delphine ; je vous dis à tout bientôt, pour un de ces poissons que vous aurez fait mariner dans Dieu sait quelle potion dont vous avez le secret, sans oublier le « Blanc Manger » à la violette, garni de ses bonbons à la violette de nos enfances, qui ont laissé un goût de madeleine de Proust dans mes Papilles Gourmandes.

Mes hommages, Madame la Reine.

Françoise TOMENO 19 février 2012











Source d'image:Histoires de cartes



12 février 2012

BISTROT DANS LA STEPPE ET PENSÉE NOMADE


Françoise Tomeno
12 février 2012

Nous sommes à quelques jours de notre retour en France. Après une douzaine de jours passés sur les pistes, dans la steppe, nous y  faisons une dernière halte. Nous repartirons ensuite vers Ulan Bator, en passant par le très beau monastère d’Amabayarsgalant, le monastère de la Félicité Tranquille, et par une belle forêt qui nous rappellera les nôtres, ce qui nous fera rentrer dans nos paysages habituels en douceur.

Tout au long de ce parcours, nous avons toujours vu des yourtes disséminées dans le paysage. Nous avons  croisé, ici ou là, seul dans le paysage qui s’offrait à nos yeux, un cavalier passant au loin en chantant, un autre descendu de cheval, assis, fumant sa pipe, absorbé dans sa contemplation.

De bistrot, puisque c’est de cela qu’il s’agit ici, point. Seulement, dans les campements de yourtes, la possibilité, parfois, de consommer des boissons en même temps que la restauration.

Contrairement aux autres jours, nous venons de traverser une zone un peu plus vallonnée, sans croiser personne, et sans apercevoir de yourte, même lointaine. Cela nous laisse une impression d’étrangeté presque inquiétante. Soudain, nous débouchons sur un paysage plus proche de ce qui nous a été familier jusqu’ici, un paysage de steppe, des yourtes, qui sont en fait le campement qui nous attend. Mais une surprise nous attend aussi : le campement est entouré d’une barrière en bois, barrière sommaire qui ne protège de rien, et qui délimite quoi, puisque dans la steppe que nous avons rencontrée depuis notre départ, rien n’est jamais délimité. Autre surprise : lorsque nous approchons, nous distinguons un bâtiment tout en longueur. Nous apprenons qu’il s’agit d’une sorte de bistrot-boîte de nuit, à destination d’ouvriers qui travaillent sur un chantier non loin d’ici (l’expression « non loin », dans la steppe, revêt un caractère relativement indéterminé…). L’étrangeté de cette journée se poursuit sous une autre forme.







Le soir, nous irons manger dans ce « bistrot ». Un peu tristounet, il sera égayé par notre bonne humeur : Tsorgo, l’un de nos chauffeurs, le plus jeune, fête aujourd’hui son anniversaire. La vodka est de rigueur, en Mongolie comme chez l’ex-grand frère soviétique, comme dans les pays frères de l’Est. Nous restons cependant dans des limites raisonnables, et c’est le chant qui donne forme à notre gaieté. Je décide d’offrir à Tsorgo un air de la Périchole d’Offenbach :

« Ah quel dîner je viens de faire
Et quel vin extraordinaire
J’en ai tant bu
Mais tant tant tant,
Que je crois bien que maintenant
Je suis un peu grise, un peu grise
Mais chut, faut pas qu’on le dise,
Chut, faut pas, faut pas ! »

Les chansons s’enchaînent, et nos camarades mongols, accompagnatrice, chauffeurs, cuisinière, nous chantent les tubes du moment. Moi, je suis ravie d’entendre ces sonorités de la gamme à 5 notes de la musique Mongole. Tsorgo est heureux, et son visage rayonne l’enfance. Dans ce bistrot étrange, ce sera un joli moment de partage : la langue ne nous est pas commune, le chant nous permet la rencontre.

Le lendemain, Tsorgo, au volant du petit bus d’origine soviétique, au départ du campement, défoncera la barrière en reculant. Et, étrangement, nous en rirons…..

Voilà qui aurait pu faire une toute simple petite chronique de bistrot .

Mais sa composition m’emportera vers d’autres images, d’autres voyages. Je ne savais pas il y a quelques jours encore quelle serait la prochaine chronique que j’écrirais. J’avais le choix, j’en ai quelques-unes en réserve dans mes rêveries. Plusieurs concernent mes voyages.

Vendredi, je suis allée écouter un très très beau concert de Jazz , « Nights in Tunisia »[1]. Tout en écoutant, mes pensées allaient toutes seules vers la prochaine chronique à écrire, hésitant encore entre la Russie, la Chine, la Mongolie. Et je constatais qu’au fur et à mesure que se déroulait le concert, je revenais vers la Mongolie. Mes pensées s’attardaient quelques minutes sur le bistrot lui-même, mais m’emportaient immédiatement vers le voyage, les nomades. J’essayais de revenir au bistrot, mais chaque fois mes rêveries s’en évadaient. Un moment, Jean Christophe Cholet, « directeur artistique » du groupe, encore qu’il s’agisse d’une bien belle collaboration, annonce le morceau suivant, « Safar », « voyage »  en arabe. C’en était fait de moi, il légitimait en quelque sorte mes échappées.

Et soudain m’apparut quelque chose à quoi je n’avais jamais pensé. Certes, l’existence même de ce bistrot dans la steppe avait quelque chose d’irréel, l’existence de cette barrière également. Mais le bistrot enfermé derrière la barrière, ça c’était encore autre chose, dans ce pays de nomades, de gens qui n’arrêtent pas de se déplacer depuis le plus jeune âge à cheval. Et l’expression « assigné à résidence » me vient à l’esprit, ainsi que la question de la sédentarisation inévitable.

Bistrot enfermé derrière une barrière. Nomades menacés de perdre non seulement leur existence nomade, mais peut-être  aussi leur esprit nomade ? Leur liberté de rêver, de penser, prise dans les exigences du tourisme, de la rentabilité des troupeaux pour la vente, d’une nouvelle économie du fait des ressources du sous-sol, convoitées par beaucoup de pays, questions qui ne se posaient jamais auparavant ?

Et mes pensées à moi qui franchissaient sans arrêt cette barrière du bistrot pour en revenir aux voyages me ramenaient à cette liberté de rêver, d’inventer sa vie, de la créer, en dépit des exigences du monde. Mes pensées nomadisaient. Voyages !

Tsorgo, lorsque tu as « par inadvertance », foncé dans la barrière qui nous avait pour une nuit enfermés, tout comme le bistrot, est-ce que tu ne nous as pas tous réjouis de voir cette barrière cassée? De voir l’esprit nomade plus fort que tout faire un pied de nez à l’absurdité?

Tsorgo, par-dessus les frontières, les kilomètres, et les années puisque cela fera bientôt quatorze ans que nous fêtions ton anniversaire, ne laisse jamais personne assigner à résidence ton âme, tes pensées, tes rêves. Peu importe la sédentarisation si ton âme garde ses possibilités de nomadiser. Elle erre ? Bah, elle retrouvera ses pistes, comme avec Amra, ton compagnon chauffeur, vous saviez trouver une piste là où nous, nous ne distinguions pas grand-chose. Et si vous vous étiez trompés, ce n’était jamais grave, on s’y retrouve toujours dans la steppe, il y a toujours quelqu’un qui connaît un tel, qui sait où il s’est installé, par où on peut passer pour rattraper le chemin.

Merci, Tsorgo, d’avoir défoncé la barrière absurde dans la steppe.






05 février 2012

DU CAFÉ DU PÈRE RIOU AU CHAT NOIR, MUSIQUE !

Françoise TOMENO
5 février 2012

Été 2006, festival de Sablé sur Sarthe. J’arrive à Morannes, dans le Maine et Loire. J’y étais venue écouter, l’année précédente, « mon » claveciniste préféré, Pierre Hantaï. Sur les conseils d’amis, j’ai réservé quelques nuits dans un hôtel situé en bord de Sarthe.

À mon arrivée, je croise mes amis : ils sont arrivés la veille et sont déjà installés. Ils me disent tout de suite : « Françoise, il faut absolument que tu ailles faire un tour au Café du Père Riou, ça va te plaire. On ne t’en dit pas plus ».

Le café est à deux pas de l’hôtel, mais aujourd’hui il est fermé. C’est un café associatif qui n’ouvre qu’en « saison », et seulement trois jours par semaine. Ma curiosité va donc devoir attendre un peu.

Le lendemain, après avoir fait une petite ballade comme j’aime faire chaque jour, j’arrive au Café du Père Riou. Je suis pour l’instant la seule cliente, et je suis accueillie par Martine, qui tient le bistrot. Je m’installe tranquillement, commande mon petit café, fait à la cafetière électrique façon ménage, comme à la maison, quoi. Je regarde autour de moi : les murs sont recouverts de fresques. C’est inattendu, pas franchement beau, mais très drôle, parfois coquin. Ca me plaît.






Et Martine m’explique : ce café était fréquenté à la fin du XIXème, début XXème, par Marcel Legay, auteur compositeur interprète montmartrois (je n’avais jusqu’à ce jour jamais entendu parler de Marcel Legay). Il fréquentait régulièrement Morannes, pour des raisons qui me sont restées obscures. Il y faisait venir ses amis de Montmartre, et particulièrement un ami peintre « un pinxit, comme eût dit Verlaine », comme l’a écrit Maurice Donnay dans son livre sur le Chat Noir. Et le pinxit avait oeuvré. Les peintures et l’histoire de Marcel Legay faisaient de ce bistrot un lieu très particulier, méritant qu’on le préserve. Et c’est bien ce qu’avaient pensé quelques habitants de Morannes : au moment où le lieu allait être mis en vente, il s’étaient constitués en association, et la municipalité avait obtenu que le rez-de chaussée, le café, ne soit pas vendu, et demeure un café associatif.

Mon côté chanteuse de rue et de cabaret avait déjà commencé à rêvasser lorsque j’aperçois, dans un coin du café, un piano, électrique, certes, et sous sa housse, mais un piano tout de même. C’en était trop. Toujours seule avec Martine, je lui demande : « Vous avez un piano : il y a parfois des spectacles ? » - « Non, c’est dommage, d’ailleurs ». Je laisse passer quelques secondes, celles dont on sait qu’elles peuvent tout à coup tout faire basculer….. « Je suis chanteuse, et particulièrement chanteuse de cabaret, genre Montartre. Ca vous intéresserait ? » - « Oui, mais nous n’avons pas de musiciens ». Je ris à l’intérieur de moi : le soir-même, je vais écouter deux concerts à La Flèche, et pendant la pause, je sais que je vais retrouver la fille de mes amis, qui est pianiste, et son compagnon, également pianiste. « Écoutez, ce soir, je rencontre des amis pianistes, je leur demande si ça les intéresse ? » - « Oui, bien sûr ».

Le soir, dans un bistrot plus ordinaire, mais dont je me souviens bien, je rencontre Mélanie et Alexandre. Je pense que je commande un lait orgeat, comme souvent en été ; ça fait toujours rire Mélanie, elle sait que pour moi ça veut dire que l’été est là. Et Mélanie attrape l’idée au vol, et en un temps trois mouvements, elle transforme ça en projet. Elle est rapide, Mélanie, elle a une imagination d’une incroyable fertilité, et, si elle est une excellente pianiste, elle a d’autres talents : passionnée de littérature, elle ira fouiner du côté des Fumistes et autres Hydropathes. Alphonse Allais, Alfred Jarry et quelques autres feront leur entrée sur la scène qui commence à se dessiner entre nous. Et puis Mélanie, sous mes yeux, pour imaginer le décor qui permettra notre mise en scène, découpera des petits bouts de papier représentant tous les éléments que nous avons choisis, et, devant mon regard ébahi, me mettra sous le nez notre espace. Moi qui ne sais pas faire grand chose de mes dix doigts, hormis la cuisine, et l’écriture, ça m’épate. C’est sans doute grâce à Mélanie que, un peu plus d’un an plus tard, devant la nécessité de déménager, et  afin de savoir ce que je pouvais garder comme meubles, comment cela allait tenir dans un espace plus restreint, je découperai mes petits bouts de papier/meubles, j’agencerai tout ça sur une sorte de plan que j’aurai ébauché, et, merveille, ça correspondra exactement à ce que j’avais pu imaginer…..

Mais je vais un peu vite en besogne. Nous sommes encore à La Flèche. Deux jours plus tard, je retourne au café du Père Riou, que je ne raterai sous aucun prétexte tout au long de mon séjour. Je suis à nouveau seule avec Martine. Arrive un drôle de personnage, un homme de petite taille, en short. Il a quelque chose  de Peter Falk, de l’inspecteur Columbo. Je le vois de dos. Il est tout excité, il apporte à Martine un livre. Je vais découvrir dans quelques secondes que, pour moi, c’est « Le » livre que je cherche depuis des années. Mes oreilles traînent, encore une fois. « Le » livre ? Celui d’Yvette Guilbert, « L’Art de chanter une chanson », avec ses incroyables photos ? Là, sous mes yeux ? Et au café du Père Riou, en plein dans le sujet, dans mes rêves, dans ce qui est en train de devenir un projet ? Yvette Guilbert du Chat Noir ?




Yvette Guilbert "L'Art de Chanter"


Signe du ciel, du destin. C’est parti, on le fera, ce Chat Noir d’Yvette Guilbert, de Bruant, et de tous les autres…..

Et ce livre, « Le » livre, Mélanie me l’offrira un peu plus tard.

Que de beaux hasards, que de belles lucioles de vie.

Notre premier Chat Noir se déroulera d’abord, bien entendu à Morannes, au printemps 2007. Nous y chanterons Marcel Legay, la moindre des choses, même si son écriture musicale nous était apparue à l’une et à l’autre assez peu convaincante, dirons-nous, et son écriture littéraire… un peu tartignole, si vous me permettez. Nous ferons un deuxième Chat Noir à Morannes, à une date proche du 14 juillet, nous régalant de célébrer un 14 juillet 1889, qui avait été à l’époque la source de textes et de chansons. Nous utiliserons l’incroyable texte d'Alfred Jarry, « Les sacrifices humains du 14 juillet », paru en 1901 dans la Revue Blanche.


Mélanie Renaud, Françoise Tomeno


Mélanie avait été, à cette époque, pressentie par François Béchu, créateur et metteur en scène travaillant à Laval, directeur du Théâtre de l’Échappée, pour participer à un unique spectacle « Monsieuye Jarry, anniversaire de la grande défunterie », qui aurait lieu le soir anniversaire de la mort de Jarry, la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2007. Intéressé par notre spectacle, François viendra assister à une répétition au café du Père Riou, et notre « Chanson du Décervelage », une des collaborations d’Alfred Jarry et du compositeur Claude Terrasse, sera retenue pour le spectacle. Mélanie y sera pianiste, mais aussi Mademouiselle Pian. Quant à moi, j’aurai l’honneur d’y être la Chantreuse (merdre alors) et de faire partie des chœurs. Belle aventure avec une troupe d’une quarantaine de personnes, musiciens, acteurs, marionnettistes, danseurs, échassiers, chanteurs, je pense que j’en oublie, et bien sûr les techniciens. Le silence respectueux dans les coulisses, les signes disrets que l’on s’adresse avant que l’un ou l’autre entre en scène, ou juste après, les échappées dans les loges quand on a un bon moment devant soi avant d’entrer à nouveau sur scène. Délicieux moments de complicité, de création.



La Chanson du Décervelage


Où ça peut mener, une rencontre dans un bistrot !

Notre spectacle commençait en quelque sorte par un hommage au café, par la bouche d’Erik Satie. Et comme nous sommes dans le cadre de petites chroniques de bistrot, je ne résiste pas au plaisir de vous livrer l’ultime version de ce début de spectacle, où nous faisions dialoguer Erik Satie, alias Mélanie et Maurice Donnay, alias Françoise :

Erik Satie : Le cabaret, dont la mauvaise réputation n’est plus à faire, a joué – et joue encore – un rôle assez important dans la vie Littéraire et Artistique. Hélas ! nous voyons, à l’heure actuelle, nombre d’intellectuels qui ne craignent pas de se montrer au café – tout au moins – et de s’y installer bien en vue (à la terrasse même), oubliant ainsi toute la circonspection qu’un homme convenable se doit à lui-même – et qu’il doit un peu aux autres. N’est-ce pas une offense faite à la Morale que ces tristes exhibitions apéritives ? que ces bacchanales publiques ? que ces horreurs intempérantes ?
Evidement, il m’arrive d’aller à la Brasserie ; toutefois, je me cache – non par une blâmable hypocrisie, mais conseillé par une prudente réserve – et surtout, pour que l’on ne me voie pas. J’aurais honte d’être vu ! car, comme me le disait Alphonse Allais : - « ça peut vous faire rater un mariage ».
Dans le temps, j’ai été aussi un peu au « Chat Noir » - ainsi que Maurice Donnay du reste – mais en cachette, bien entendu, et je ne m’y rendais qu’entre mes repas – repas que je prenais dans une autre taverne, toute proche.
Il m’est impossible de vous citer ici tous ceux que je connais et qui vont au café – vous vous en doutez. Je ne crois pas que d’aller au café, ou à tout autre endroit de ce genre, soit mauvais en soi ; j’avoue y avoir beaucoup travaillé : et je crois que les illustres personnages qui y furent avant moi n’y ont pas perdu leur temps.
Maurice Donnay : Et peut-on dire qu’il y eut un esprit du « Chat Noir » ?
Erik Satie : Il s’y fait un échange d’idées qui ne peut qu’être profitable – à la condition de ne pas se faire remarquer.
Maurice Donnay : La vérité, c’est que chacun apportait là son esprit, et la résultante de tous ces apports, ce ne fut pas seulement l’esprit parisien à Montmartre, mais l’esprit français à Paris entre 1880 et 1900.
Erik Satie : Cependant, pour faire montre de morale et pour me donner un air respectable, je dis : Jeune gens, n’allez pas au café : écoutez la voix grave d’un homme qui y a beaucoup trop été, à son avis…
Maurice Donnay :…mais qui ne le regrette pas le monstre !



Le cabaret du Chat Noir


Nous tournerons notre Chat Noir dans la région, le Domaine du Gasseau, Laval.

Et puis, et puis……

Cela faisait une dizaine d’années que je pensais arrêter de chanter. Je reculais toujours ce moment, rattrapée par de beaux projets: avec les Accroche-Cœurs, nous avons créé et tourné un Prévert Kosma, un La Fontaine Offenbach, et un magistral Raymond Quenau, avec la musique de notre amie et compositrice Marie-Christine Faurie. Et puis ce Chat noir.

Mais la nécessité impérieuse était toujours là, tapie dans un repli de moi-même. Je savais que j’allais soulever des tollés chez les amis, que c’était inimaginable. Je savais aussi qu’à un moment, cette nécessité pour moi de fermer une porte pour en laisser s’ouvrir d’autres ne serait plus contournable. Je ne savais pas ce que j’allais trouver derrière ces portes ; très probablement, cela brillerait moins que sous les projecteurs. J’allais peut-être rencontrer ou retrouver de vieux démons, quelques monstres.

Et cette fois-ci, c’était le moment. J’allais lâcher Mélanie comme partenaire, et quelle partenaire, de spectacle. Notre belle complicité de femmes y résisterait, mais il fallait que je m’occupe de ce qu’il y avait derrière les projecteurs, dans mes coulisses, en quelque sorte.

J’ai donc fait part à Mélanie de mon souhait que ce concert d’adieux à la scène soit notre Chat Noir. Nous l’avons soigné, remanié, enrichi. Mélanie lui a apporté la beauté des décors, beauté dont elle avait l’art et le secret, dont des agrandissements de très belles gravures de Théophile Alexandre Steinlen. J’ai demandé à Serge Rigolet et à Catherine Raynaud s’ils acceptaient que cet événement ait lieu chez eux, au Théâtre de Vaugarni ; ils ont accepté sans hésitation.

Ce 31 octobre 2009 (tiens, justement le soir anniversaire du passage d’Alfred Jarry dans le théâtre d’ombres de l’après-vie….  Comme c’est bizarre !) fut une soirée magique. Pour Mélanie et moi, il y avait aussi de la gravité, celle d’une dernière fois. Mais nos rires, qui avaient accompagné toute la période de préparation, les répétitions, étaient là, en chacune de nous, et la complicité était belle.



Confidence du Grand Jules à une amie



Bien sûr, mes amis n’ont pas cru à cette dernière fois : « Tu ne pourras pas, ça va te manquer », ou bien « c’est ta première soirée d’adieux, il y en aura d’autres ». Il n’y en a pas eu d’autre depuis.

Le Chat noir était un cabaret, un café. Je ne savais pas qu’après avoir ouvert une première porte (oui, quelques monstres m’attendaient), j’allais en ouvrir d’autres, et que l’une d’entre elles serait celle de ce blog, de ces petites chroniques de bistrot.

Fidèle dans tous les cas aux cafés, à ce qu’ils offrent de petits évènements que je nomme depuis un moment des « lucioles » je ne regrette pas ce passage qui m’était obligé (ou que j’avais choisi ?), ce passage de la lumière à l’ombre. Il me fallait rejoindre mon théâtre d’ombres à moi. En écrivant ceci, je pense au théâtre d’ombres d’Henri Rivière, au Chat Noir.









SUR UNE AUTRE SCÈNE

La Chantreuse est accoudée au bar.
Une voix au fond de la salle : « Et maintenant ? »
La Chantreuse, songeuse : « Et maintenant ? 
Et maintenant…….

...... Musique?  »



Brahms, d’ombre et de lumière
 http://www.youtube.com/watch?v=XG0TyvVXegc



Erik Satie, Écrits, éditions Champ Libre
Maurice Donnay, Autour du Chat Noir, Grasset
Yvette Guilbert, L’art de chanter une chanson, Grasset
Grange Théâtre de Vaugarni: http://www.vaugarni.fr/test/ 
Théâtre de l'Échappée: http://www.theatrelechappee.com/