Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

30 août 2012

Et pourtant, elle tourne

Françoise Tomeno
30 août 2012

Au début je ne la vois pas, absorbée que je suis dans une conversation avec une amie de passage. 

Lorsque je l'aperçois, elle est sur la piste que les serveurs viennent de dégager pour la soirée Swing Musette. Ça valsera, on y dansera le tango et la polka.

Elle doit avoir 5 ou 6 ans. Elle porte une robe rose à volants. Elle tourne, vire, virevolte, sur la musique de fond du bistrot en plein air. Elle ne regarde pas si on la regarde, fait rare chez une petite fille de cet âge-là, qui danse. Les filles apprennent très tôt le plaisir d'attirer les regards.
Elle, elle semble s'en moquer éperdument. Elle danse pour le plaisir, pour le plaisir du mouvement, comme le font les tout jeunes enfants. Elle a gardé ça de son enfance.

Maman arrive, fait quelques pas avec elle. On dirait bien que maman voudrait ramener sa fille dans le groupe familial attablé un peu plus loin. La petite continue de tourner, avec sa maman certes, mais sa danse à elle, obstinément. Maman ne semble pas avoir ce même plaisir du mouvement, elle ne s'attarde pas, renonce à son projet de ramener son enfant au bercail. Peut-être a-t-elle perçu qu'il se passait là quelque  chose d'essentiel pour sa fille.

La fillette continue de tourner. Un peu plus tard, c'est papa qui vient esquisser quelques pas de danse avec elle. Il semble plus s'amuser que maman. Ils tournent et virent tous les deux, jusqu'à ce que papa retourne retrouver maman, légitime...

Et notre demoiselle poursuit ses cercles et ses courbes, elle est bien belle à voir.

Les grandes personnes avaient des idées, et pourtant, elle a continué de tourner, la petite à la robe rose à volants.

Session à La Guinguette

Françoise Tomeno
30 août 2012

Ce soir, je dîne avec une amie à La Guinguette au bord de l'eau. Mon amie vient de me laisser un message me disant qu'elle serait en retard, et que je n'avais qu'à boire un coup en l'attendant. C'est moyennement rigolo de boire "en suisse", même si j'ai des origines maternelles qui tirent par là-bas, je veux dire vers la Suisse. Je commande quand-même un verre d'un excellent Sauvignon, mais j'avise le papier kraft qui sert de set de table. Il me rappelle celui du Café Comptoir sur lequel dessinent les enfants de passage. Je commence à scribouiller quelques lignes d'une scènette à laquelle j'ai assisté ici-même il y a peu de temps, lorsque le micro nous braille dans les oreilles l'annonce d'une "session", sorte de concours de divers talents artistiques qui souhaitent se faire valoir. Deux chanteuses se produiront, et une clown. Ça ne m'emballe pas outre mesure, mais je me prends à rêver. Je ne serais pas "chez moi", dans la ville où j'exerce un métier qui m'engage à une certaine discrétion en public, j'y serais allée. Je rêve d'autant plus que l'amie que j'attends était l'accordéoniste d'un groupe de chansons de rues dont j'ai fait partie dans ma jeunesse. Je l'imagine arrivant avec son bel accordéon sur le porte-bagage de son vélo électrique. 

Mais qu'est-ce que j'aurais eu envie de chanter? Sans hésitation, je pense à Monsieur et Madame Boudin et Monsieur et Madame Bouton, une chanson chantée par Yvette Guilbert. C'aurait été à coup sûr un franc succès... Cette chanson ne faisait pas partie de notre répertoire de la rue, mais j'ai eu le très grand plaisir de la chanter, avec Mélanie Renaud au piano, lors d'un spectacle "Autour du Chat Noir". Je l'avais entendue chantée à Tours lors d'un récital donné par la grande Hélène Delavault. Elle était ce soir là accompagnée par la dernière pianiste d'Yvette Guibert (je mentionne au passage que celle-ci était un grande amie de Sigmund Freud). Après la splendide Hélène Delavault toute vêtue de soie bleue, nous vîmes arriver un tout petit bout de bonne femme très âgée, toute fripée, vêtue de noir. Ça alors! Et elle jouait divinement bien. Et c'est elle qui nous fit la surprise de chanter la chanson que j'évoque ici.

Vous ne la connaissez pas, cette chanson? Ah! Je ne résiste pas! Allez ici: "Yvette Guilbert", et je pense que vous allez vous régaler.....


25 août 2012

Bistrots "en vacances"

20 août

Aujourd'hui, je m'occuperai du mot "vacance(s)". J'aime beaucoup ce mot. 

Et parce que je suis faite comme ça, je vais demander au Grand Robert son avis sur ce mot. J'aime bien le Grand Robert, il est toujours très éclairant. 

Voilà ce qu'il me dit, le Grand Robert: le mot "vacance" signifie "manque". Il vient de "vacant", "vaquer", qui veut dire "être vide". 
C'est bien ce qui me semblait.

Mais le verbe "vaquer" a pris, au fil du temps, le sens exactement contraire, "s'occuper de", "s'appliquer à", comme dans "vaquer à ses occupations"! Nous voilà bien! Comme quoi on ne peut même pas se fier à la langue....

Ainsi, pendant les vacances, on a la prétention de faire le vide, comme on dit! Et, justement, de ne pas vaquer à ses occupations. Loin de nous l'emploi du temps et le rythme liés au travail (les congés payés sont passés par là). Loin de nous les habitudes, on prend le large.

Emportés par l'élan, on peut avoir envie de prendre également congé de soi-même. C'est pesant, à la fin, d'être toujours en sa propre compagnie. Alors faire le vide, ce serait pouvoir se donner congé à soi-même. J'imagine la chose. On attrape son soi-même, on le met sur un porte-manteau gonflable, vous savez, ces porte-manteaux qui permettent de garder la forme. Parce que l'on a tout intérêt à ce que notre soi-même garde la forme. On époussette (on peut même pousser le luxe jusqu'à le nettoyer, à sec bien entendu). On suspend à un crochet, et hop, on se tire sur la pointe des pieds, des fois que le soi-même trouverait à redire à cette basse manoeuvre! À nous la liberté, les vacances, la vacance suprême.

Mais voilà, c'est impossible. Notre soi-même ne se laisse pas traiter de la sorte, il s'accroche, il s'agrippe, et on est bien obligé de le trimballer avec nous, même pendant cette période de vacances. 

On lui fait prendre l'air, c'est déjà ça!

On emporte donc son soi-même dans ses bagages, le temps de nomadiser à droite à gauche, d'accueillir des hôtes, nomades de passage. Se met alors en place une autre façon de pratiquer les bistrots; une façon qui fait que, hors des habitudes, on est soudain destitué de la position d'habitué. Ca change tout.

Mais ceci est une autre affaire, à suivre.

Françoise Tomeno
20 août 2012, 17h

17h53  Excusez-moi, je reviens, j'ai oublié quelque chose de très très important. Surtout, ne donnez pas son congé à votre soi-même (c'est tout à fait différent que de vouloir se donner congé à soi-même, se mettre en vacances), même avec une indemnité de licenciement faramineuse, même avec un parachute doré. Parce que sans votre soi-même, vous risquez fort de ne plus pouvoir poursuivre votre petite entreprise de la vie, vous ne pourrez plus rien faire ni dire. Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté.... Allez, faut vous y faire, emportez-le avec vous. C'est vivable, je vous jure.


25 août

Voilà voilà, je suis prête. Tout le monde est là? Vous avez bien pris avec vous votre soi-même?

Bon, quelques mots avant de commencer la balade, la tournée des bistrots de l'été. J'aurais pu intituler cette chronique "bistrots de vacances, bistrots des vacances", mais je n'ai trouvé aucune caractéristique communes à ces bistrots. Ils peuvent changer d'ambiance pendant les vacances, moins d'habitués, plus d'étrangers, de touristes. mais le bistrot lui-même ne change pas. Si, parfois, quelques saisonniers parmi les serveurs, mais celui qui est en vacances et va dans le bistrot ne le sait pas.

Donc, bistrot des vacances ne me convenait pas. "Bistrots en vacances", c'est "les bistrots que je fréquente quand moi-même je suis en vacances". J'ai ramassé l'expression, comme on réduit une bouteille en plastique avant de la mettre dans le sac aux papiers pour le tri écologique. Vous voyez que dans les bistrots, en vacances, mes préoccupations politiques ne me quittent pas. 

Nous allons pouvoir commencer la visite... 

Comment? Que dites-vous? Vous avez une question? Ah les bistrots Belle Époque, Art Nouveau! Vous avez remarqué? Oui, c'est une de mes marottes, ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais fichtre rien. Ca dure depuis très longtemps. Mais je ne m'en étais pas préoccupée comme cette année. C'était des rencontres de hasard qui me plaisaient, point. Et puis j'ai eu l'idée d'aller visiter Riga, une ville dont le centre est presque entièrement "Jugendstil", Art Nouveau. Et bien sûr, je suis tombée, quasi par hasard, sur le bistrot Art Nouveau de la ville, le Passerella (il était mentionné sur le guide  comme immeuble à voir, j'ignorais que c'était un bistrot). Très beau à l'extérieur (enfin, il faut aimer...), très  ordinaire et très calme à l'intérieur, en tout cas à l'heure où je passais. J'étais la seule cliente. Cela ne m'a pas empêchée de m'asseoir pour prendre mon café du matin, je m'étais mise en route de bonne heure.

Bon, puisque nous voilà partis sur ce thème là, je vous propose de poursuivre la visite par les autres bistrots Art Nouveau. Ce sera plus cohérent. Pas d'objection? Cela peut nous permettre d'envisager un début de classification des bistrots "en vacances".

J'avais projeté, à mon retour de Riga, de rendre visite à des amis que je n'avais pas revus depuis un bon moment, les uns à Paris, les autres à La Rochelle. J'avais envie de soigner l'amitié. 

Et "cling cling", le petit bruit du tiroir caisse, que la caissière ouvrait autrefois au moment où l'on allait payer au comptoir, s'est mis à tinter à mes oreilles. Mais c'est bien sûr! Il y avait à Paris le bistrot "La Tartine", bistrot de ma jeunesse parisienne, pas revu depuis plus de trente cinq ans..., le Montparnasse, où je rêve d'aller un jour, mais il ne fait que resto, et ce n'est jamais le bon moment, puisque, à chaque fois, c'est lorsque je reprends le train du retour que je passe devant. 

À La Rochelle, le souvenir du Café de la Paix était lié à l'image d'une caissière semblant tout juste sortie d'un film se déroulant dans les années quarante, derrière son fameux "tiroir-caisse" (c'est drôle, comme nom, non? C'est un tiroir, avec une caisse autour, et pas une caisse, avec un tiroir dedans...); je rêvais secrètement, je l'avoue, de les retrouver là, vingt ans plus tard, la caissière, son tiroir et sa caisse, comme si le temps n'était pas passé, comme si le temps ne passait pas.

Paris: me voilà installée, comme autrefois, à La Tartine. Le bistrot a été repris depuis peu, les lustres ont été nettoyés, une fresque pas très à mon goût décore l'arrière du bistrot. On y déguste toujours, autour d'un verre de très bon vin, de merveilleuses tartines; un peu plus sophistiquées qu'autrefois cependant, les tartines. J'ai cru percevoir, au type d'échanges dont j'ai été témoin, que c'était toujours un bistrot d'habitués(e) du quartier, et cela m'a fait plaisir. Le décor, à la fresque près, est toujours celui que j'ai connu. Le beau comptoir est toujours là. 
Jeunesse, ton décor est là.....

À La Rochelle, déception, mais pas surprise, la caissière n'est plus là, jusque-là, rien que de normal. Mais le tiroir-caisse? Je cherche partout, mon amie m'y aide, rien, nulle part. Disparu, cet objet extraordinaire. Faute d'accomplir la tâche pour laquelle il avait été conçu, il aurait encore pu servir comme décoration. Quelle amère déception....

Si vous le voulez bien, nous allons maintenant nous asseoir à une terrasse, et je vais tenter devant vous, comme ça, sans filet, un début de classification des bistrots fréquentés pendant les vacances. 

La première catégorie rencontrée est donc celle des beaux bistrots, à chacun de vous de déterminer ce qui est beau pour lui. Comme nous l'avons vu, le beau bistrot peut être également un bistrot sans ambiance.

Une façon moins binaire de classer les bistrots, autre que "beau/pas beau", est la classification par l'usage:

- les bistrots de toute première nécessité, c'est à dire au plus près; beau/pas beau, avec ambiance/sans ambiance, populaire/chic, tout ça on s'en fiche (presque, pour le porte-monnaie on essaiera, si ça ne presse pas trop, d'éviter le chic).

- les bistrots de nécessité: pour boire lorsqu'on passe la journée dehors, manger, prendre un café pour tenir jusqu'au soir, faire la pause lorsqu'on a crapahuté sans arrêt depuis 9 heures le matin.

- les bistrots de confort, pour la pause pour le plaisir: par exemple sur une petite place ombragée, ou dans un des beaux bistrots vus précédemment.

- les bistrots sympathiques, comme celui croisé par hasard à Riga, alors que je commençais à fatiguer; bistrot à proximité d'un petit théâtre, où il fallait descendre quelques marches. Décor d'affiches et de scènes de théâtre, de cinéma. 

- le bistrot qui relie au monde: bistrot du village, de la petite ville, lorsque l'on passe une petite semaine chez une copine en pleine campagne. Le seul moyen de savoir que le reste du monde existe; le petit monde, celui du village; le grand monde, celui dont les journaux, que l'on achète à côté du bistrot, nous donnent des nouvelles. On peut, en une semaine, y prendre ses habitudes..... Cela ne fait pas de nous, pour autant, un habitué. Pour cela, il faut autre chose, nous y reviendrons. 

Tenez, je vous y emmène, je vais vous faire goûter le kir à la rose. Et puis c'est jour de marché, il va y avoir un peu d'animation... Comme l'autre jour, jour de mariage, où la terrasse était pleine de curieux. Il n'y avait pas de place, on s'est assises à une table déjà occupée, et la conversation a démarré à partir de la phrase d'un des occupants de la table: "c'est le plus beau jour de leur vie, et c'est après que ça va commencer..." La conversation s'est terminée au moment même où la noce quittait l'église.

- enfin les bistrots de chez soi, de la ville où nous habitons, où nous n'allons jamais d'habitude. Bistrots que nous  fréquentons en faisant du tourisme chez soi, "à la maison", avec les amis de passage. On a l'impression d'être ailleurs, et c'est assez drôle.

Voilà, la visite va s'achever. Mais avant de nous dire au revoir, je voudrais vous dire quelques mots sur la notion d'habitué. Asseyons-nous à cette autre terrasse.

On peut fréquenter régulièrement, pendant une période de vacances, un bistrot. Pour autant, cela ne fait pas de nous des habitués, nous ne serons pas forcément reconnus lorsque nous y reviendrons. Et c'est cela, être un habitué, c'est être reconnu. C'est arriver dans un bistrot, voir arriver sur sa table ce que le patron et les serveurs savent que vous prenez habituellement, c'est être appelé par son prénom, c'est reconnaître et saluer les uns et les autres.

Et c'est peut-être de cela que l'on se met en vacances, en vacance, lorsque l'on part vadrouiller pendant ses congés. la re-connaissance. On fait prendre l'air à son soi-même, on lui offre un petit appel d'air, un peu d'exotisme; on sait que c'est un peu comme une illusion, comme une scène de théâtre, mais ça le repose tout de même, le soi-même; il reprend des forces, de l'énergie, avant de reprendre la route; on sait que, reposé, il aura plaisir à la retrouver, cette route.

Bistrots de mes vacances, je vous dis au revoir,  à une autre fois sans doute.

Quant à vous qui m'avez permis de jouer à être votre guide tout au long de ce texte, je vous dis au revoir également, à très bientôt pour d'autres historiettes.

Que dites- vous? Non non, pas de pièce pour le guide: je suis largement payée par l'amusement que j'ai à écrire....


Si vous voyez le tiroir-caisse, dites-le moi,
je prendrai immédiatement rendez-vous chez l'ophtalmo.