Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

29 janvier 2015

Le mercredi, les pieds de M'sieur Léon

Françoise Tomeno
29 janvier 2015

C'était Léon. À l'imparfait s'il vous plaît, mes hommages Monsieur Léon. 
Il n'est plus là pour  nous dire: "ça va comme c'est m'né, avec les pieds". Mais il est toujours là, puisqu'on en parle encore.

Au début du mercredi-jour-des-enfants, Léon, il n'était pas content. Parce que pour lui, le p'tit rosé, c'était dès le matin, dès le matin de bonne heure, rosa rosa rosam, rosae rosae rosa.

Et puis il paraît que c'est devenu une sorte de jeu (ça tombait bien, c'était le jour des enfants). Et Léon redevenait enfant, et il jouait. Il jouait à prendre du rouge. Oui, du rouge, et pas du rosé. Parce que le sirop de fraise, c'est rouge, pardi!

Avec le rouge du mercredi, les pieds allaient plus droit. Plus droit que le lundi et le mardi, plus droit qu'ils n'iraient le jeudi, le vendredi et le samedi (dimanche?). Et il ne la ramenait plus, sa fraise, M'sieur Léon, attendu qu'il la buvait.

Le mercredi-jour-des-enfants, figurez-vous, ça finit à 18 heures. C'est bien le seul endroit du monde où un jour se termine à 18 heures. Les heures qui suivent, c'est du rab, du rab d'heures, où on joue à redevenir adulte. Alors à 18 heures, M'sieur Léon prenait son p'tit rosé, vive la langue latine, rosae rosae rosas  rosarum rosis rosis.

C'est ainsi que M'sieur Léon jouait toute la journée du mercredi. 
Et maintenant il est parti jouer au paradis, il l'a bien mérité.

Lulu, le retour

Françoise Tomeno
29 janvier 2015

Oh elle a eu du mal avec ça! Bien du mal. Ça n'était plus son bistrot. "Ils" lui avaient changé, "ils" avaient changé. Ça faisait longtemps que ce n'était plus l'ancienne patronne, mais elle avait pris ses habitudes, Lulu, avec "Les filles", "les filles" qui s'étaient installées derrière le comptoir à la suite de Colette. 

Et là, à nouveau, on lui changeait tout son paysage. Des gars étaient là. De temps en temps, son Lucien familier, qui servait certains jours  du temps des filles, reprenait du service, mais ça ne suffisait pas. 

Elle était ronchon. Vous me direz qu'elle est toujours ronchon. Ça n'est pas faux. Mais elle avait une façon d'être ronchon qui disait combien ce n'était pas facile, combien ce lieu comptait pour elle. 

Elle  venait quand-même le dimanche. Forcément, le bistrot d'à côté ferme le dimanche, alors! 

Et puis elle est venue le mercredi. Allez savoir pourquoi? Chez Roger c'est pourtant ouvert, le mercredi. Mais qu'est-ce qu'elle venait faire là le mercredi? Elle venait râler. Si si, râler. Parce qu'elle sait être râleuse. C'est même une façon d'être pour elle, un style, une façon incontournable d'habiter la vie. 

Et pourquoi elle venait râler, Lulu?  Je crois que j'ai trouvé. Parce que le mercredi, c'est le jour des enfants, jusqu'à 18 heures, et que le jour des enfants, c'est sans alcool, pas moyen de boire un petit coup de rouge, un petit apéro.

Alors tapis rouge pour Madame Lulu, de quoi râler jusqu'à plus soif, jusqu'à... 
Jusqu'à quand exactement? Jusqu'à 18 heures précisément. Parce qu'à cette heure là elle peut boire un petit coup? Oui oui. Mais pas seulement;

Parce qu'à cette heure-là, qui c'est qui prend son service au bar? Hein? Qui c'est?

Et bien c'est Lucien. Si, Lucien, comme je vous le dis. Lucien qu'elle chérit, son Lucien. Oh elle ne vous le dira jamais comme ça, mais ça se voit, ça finit même par se savoir. Lucien qui assure la continuité qui fait la sécurité. 
Alors retrouver du même  coup et Lucien et l'apéro, vous comprenez, c'est Byzance.

Au fond, tout n'a pas changé, finalement? Puisqu'il y a toujours Lucien, et Céline, et Gisèle....