Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

30 avril 2015

Les pieds, bon sang, les pieds!

Françoise Tomeno
30 avril 2015

Ce n'est qu'en prenant mon manteau que je l'ai vue. Je ne l'avais pas entendue entrer, elle s'était installée juste derrière moi. Elle avait dû se glisser jusque là comme une ombre, elle semblait encore, inclinée vers sa tasse, toute petite, presque une ombre. Sauf le manteau aubergine qui ne faisait pas très ombre.

Un léger, tout léger mouvement de sa tête m'a indiqué qu'elle avait vu que je le regardais. Nos regards se sont frôlés, j'ai dit bonjour. Une esquisse de sourire, un autre petit mouvement, proche de l'infime.

Et puis, allez savoir pourquoi, mon regard s'est abaissé vers ses pieds que j'ai entrevus entre ceux de la table. De tout petits pieds, habillés de petites chaussettes beiges, au bout de très fines et petites jambes, plongés dans de tout petits chaussons noirs. Quelque chose à ce moment m'a bouleversée. Elle était là, posée et reposée sur ses petits pieds qui avaient dû la porter depuis bien longtemps sur les bords de la vie.

Elle buvait un café crème, avec un croissant. Ce devait être jour de fête. Je ne l'avais pas entendue commander quoi que ce soit. Le patron devait savoir, peut-être n'avait-elle pas eu besoin de dire.

C'était peut-être jour de fête. De ces fêtes qui donnent dans l'infime, le presque rien, l'indicible aussi.

Quelque chose là m'a bouleversée.