Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

29 octobre 2012

Au pays du matin calme

Françoise Tomeno
29 octobre 2012

Je n'étais encore jamais venue si tôt dans ce bistrot. Lorsque je pousse la porte d'entrée, je suis frappée par la lumière: le soleil a profité de ce beau matin d'automne pour glisser plein de ses petits bras par tout ce qu'il a pu trouver comme surface vitrée sur son trajet. Lumière douce du matin, lumière douce de l'automne. Plusieurs de ces petits bras se sont posés sur des tables, un autre effleure une toute petite surface de mur disponible. Un autre encore chatouille le profil d'un homme absorbé dans une lecture studieuse. Un verre de bière auprès de lui, il prend des notes sur un grand cahier, des notes qu'il va pêcher dans un manuel. Pas besoin d'être sorcier pour savoir que c'est un manuel: la taille du volume, le type de papier, les bordures de couleur différentes en haut des pages témoignent de la génération actuelle des manuels. Ils ont perdu, eux aussi, leurs différences. Autrefois, les manuels de géographie n'avaient pas la même taille ni la même présentation que ceux d'histoire, de maths, etc. Aujourd'hui, les manuels se ressemblent tous, on a le sentiment d'avoir affaire à des clones.
Au passage, je me demande quand même comment fait le Monsieur pour travailler à la bière. Chacun son truc, au fond!

Il y a dans l'air quelque chose de doux, de tranquille, de studieux. Un autre monsieur, un habitué celui-là, est penché avec attention sur un journal. Quant à Lulu, elle a fini son café, et lit, également très attentionnée, le journal local. Il y a bien la musique, mais, pas trop forte, elle participe de l'atmosphère. Seul mouvement, les allées et venues, toutes silencieuses, d'un jeune homme, qui semble avoir été oublié, lui et son matos de concert, par la personne qui devait venir les chercher. De grands sacs d'instruments de percussions et des pieds de micro sont là, désabusés, dans l'ennui de l'attente. Le jeune homme accomplit toute ses démarches téléphoniques dans la plus grande discrétion, respectant l'atmosphère paisible.

Moi, j'ai une heure devant moi, j'ai fait plus rapidement que prévu ce que j'avais projeté. Une heure devant moi, pas une heure à perdre, parce que les heures ne sont ni à perdre, ni à gagner, non mais! Une heure devant soi, cela permet de prendre son temps. Une fois qu'on l'a pris, à bras le corps, qu'on le tient bien, on a tout son temps, tout son temps à soi. Et l'on peut regarder passer le temps. Ca n'est pas si souvent, d'habitude, c'est lui qui nous regarde passer, sourire en coin, ironique même, il sait bien où l'on va. 

J'emporte presque toujours avec moi une lecture sérieuse et un roman. Selon l'atmosphère du bistrot, je choisis l'un ou l'autre. Aujourd'hui, j'ai la même impression que celle que l'on ressent dans une bibliothèque, impression feutrée, quasi recueillie. Je choisis donc la lecture sérieuse. Le temps passe, je savoure.

D'un rapide coup d'oeil, je remarque que Lulu a rabattu la petite couverture polaire sur le dos de son chien (c'est l'automne, n'est-ce pas), assis, comme toujours, sur une chaise à côté d'elle. C'est touchant le soin qu'elle prend de lui...

Lulu se lève. Dieu sait à quel infime mouvement de l'âme de son petit chien Lulu a deviné qu'il avait faim. Ou bien lui a-t-elle prêté sa propre préoccupation du prochain repas? "Tu vas pas manger maintenant", lui dit-elle, jetant un oeil sur un petit sac vert pomme, qui doit contenir, si j'en crois le regard, la nourriture du dit chien.

Lulu s'approche alors du comptoir: "Qu'est-ce qu'on mange aujourd'hui?". C'était donc bien d'elle qu'il s'agissait.... "Du poulet basquaise", répond Minette. Veinarde, Lulu; rien qu'à l'odeur, j'en tremble d'envie. Mais aujourd'hui je dois me rendre dans une clinique psychiatrique du Loir et Cher, où je vais parfois donner un peu de mon temps pour une association qui, entre autres, organise des séminaires.


Cette petite phrase de Lulu, "Qu'est-ce qu'ON mange aujourd'hui", témoigne de son appartenance à ce petit groupe, ce "Collectif" d'habitués avec lesquels elle partage ce temps du manger. Elle témoigne du "on est bien ensemble" pour manger, c'est plus sympa que d'être tout seul chez soi.

Le "nous" des patients et des soignants que je vais retrouver tout à l'heure sera à la hauteur du "on" de Lulu, ce sera un Collectif par excellence. J'y partirai dès que mon temps quittera mes bras, qui le serrent encore très fort pour quelques précieuses minutes. 

Rassurée, Lulu plie la petite couverture rouge, la range dans le petit sac vert, m'adresse toujours de son ton très XVI ème arrondissement, qui tranche avec ce qu'elle est, un "Au revoir, Madame" qui me ravit, et quitte notre bibliothèque du jour. 

La lumière sur la Loire, le long de la route, sera douce et belle, comme celle du bistrot. 

24 octobre 2012

Je ne suis pas allée chez Jojo

C'est ici:






















Il parait que c'est le dernier "bar musette" de la Capitale. Il s'appelle "le vieux Belleville", et il est tout en haut de la colline de Belleville. Il y avait là, autrefois, plein de cabarets, de gargottes et de guinguettes. À Belleville, on produisait  le "guinguet", un petit vin de soif légèrement pétillant.

Je n'ai pas pu aller chez Jojo. Jojo, c'est le patron. Le restaurant est fermé le soir, sauf vendredi, samedi et dimanche. Et là, attention, c'est musette, avec orgue de barbarie ou accordéon.

Il faut absolument que j'aille chez Jojo. D'autant que Jojo, allez savoir, il va peut-être lui prendre un jour l'envie d'aller planter son restaurant ailleurs?

Françoise Tomeno
24 octobre 2012


22 octobre 2012

La Grande Cocotte venue s'affaler au Café Comptoir




Au Café Comptoir, on accueille tout le monde:

* la Grande Cocotte 

* le chien de Lulu,

* les autres chiens des autres

* les enfants


Dites-moi, les enfants, ce ne serait pas vous, par hasard, qui auriez invité la Grande Cocotte à venir vous rejoindre, un mercredi, au Café Comptoir? 
Hum! Je ne dirai rien, par discrétion envers la Grande Cocotte et envers vous. 

Mais va falloir faire un atelier photo, pas bien nette, celle-ci... La Grande Cocotte avait bu? Soit! Mais le ou la photographe?

Bon, en attendant, dites à vos parents que le mercredi vous est réservé, au Café Comptoir.




La Cigale






















La Cigale, place Graslin à Nantes. Bistrot fréquenté en son temps par les surréalistes.

13 octobre 2012

Madame K et moi-même

Françoise Tomeno
13 octobre 2012

Madame K et moi-même sommes bien d'accord, une petite scène récente nous a permis de le savoir, et de nous associer dans la défense des petites choses de la vie, autrement appelées (par moi...) "lucioles". 

Après-midi pluvieux, maussade, et en plus, je n'ai que peu de temps pour ma pause. J'arrive, madame K est déjà là, tenant conversation avec un monsieur qui visiblement fait de la pub pour des soirée "café philo". Sourire de Madame K lorsque j'arrive, cela fait toujours plaisir!

Ayant peu de temps, je choisis de ne pas poursuivre ma lecture en cours, bien qu'elle me passionne, et de passer ce petit bout de temps avec Madame K.

Elle m'explique sa conversation avec ce Monsieur, puis des choses et d'autres choses, je ne sais plus très bien quoi.

Puis elle en vient à m'expliquer qu'elle est allée, il y a peu, chez une commerçante qu'elle connaît bien, qu'elle aime bien, celle-ci le lui rendant bien. La commerçante s'adresse à Ninette (oui, c'est son prénom, à Madame K.): "Dites-moi, Ninette, est-ce que vous ne trouvez pas que ma blouse n'est pas très propre?"
Yeux malicieux de Madame K (j'aime quand elle a de la malice): "Je regarde, et ... hum!... La blouse n'était pas très nette, alors je le lui ai dit. Vous savez ce qu'elle a fait? Elle est allée changer de blouse!".

Dites-moi, chère Madame K, vous vous rendez compte? Vous avez servi de miroir à Madame la commerçante?

Madame K ajoute: "Ce n'est rien, pas grand chose, mais...". Elle ne finit pas. Je lui dis "Mais ça fait partie des petites bonnes choses de la vie?"- "Oui...." - "Comme nos conversations. Ca ne paraît pas grand chose, mais ça compte" - "Oui...".

Là-dessus, il faut que je parte. Madame K se lève en même temps que moi, en fait pour aller s'installer en terrasse et fumer sa clope. Sur le pas de la porte, je lui dis:"On est des militantes des petites bonnes choses de la vie". Elle rit. J'ajoute: "On devrait faire des manifestations pour les petites bonne choses de la vie, avec des grandes banderoles". Elle rit encore.

Je repars travailler avec son rire et ses yeux malicieux dans mes poches.....



11 octobre 2012

Vous savez quoi?

J'ai retrouvé le tiroir caisse.

Mais si, celui que j'avais cherché cet été au Café de la Paix à La Rochelle! J'étais allée à La Rochelle avec l'espoir de retrouver non seulement ce très beau café, mais aussi la caissière et son tiroir caisse. Le café était toujours là, la caissière n'y était plus (ça faisait vingt ans environ que je l'avais vue, et elle avait déjà à ce moment-là un petit air de sortir d'un film des années quarante.....), et le tiroir caisse avait disparu, s'était envolé.

Et bien savez-vous où je l'ai retrouvé, le tiroir caisse? Chez Delphine, la Reine Delphine. Ah, je vois que tout le monde n'a pas lu les petites chroniques où je parle de la Reine Delphine. Delphine, elle règne dans son bistrot qui fait restaurant, dans un des plus beaux jardins de la ville où j'habite, à deux pas de l'endroit où je travaille. Ce midi, j'arrive, et elle me dit: "Je vous ai mise là, là où il y a le plateau rond". Une dame devant moi ajoute: "Vous avez de la chance, vous serez juste à côté de la caisse". Et je découvre la nouvelle caisse de Delphine, le fameux tiroir caisse. 

C'est celui de La Rochelle, j'en suis certaine. Il a quitté La Rochelle il y a plus d'un mois et demi, et moins de vingt ans. Par où est-il passé? Je cherche, fait quelques hypothèses. La plus plausible? Il a sauté dans un de ces petits bateaux en papier comme vous avez dû en faire lorsque vous étiez petits (moi, je faisais toujours un chapeau à la place d'un bateau, je m'emmêlais dans les pliages). Et il est remonté jusqu'à Saint Nazaire, puis Nantes, et de là, hop, il a remonté le cours de la Loire, avec les saumons s'il a circulé en hiver, avec les mulets en fin d'hiver, ou encore avec les aloses s'il s'est offert un petit voyage de printemps.

Il s'est arrêté dans notre ville. Mais qui donc l'a transporté des bords de la Loire jusque chez la Reine Delphine?

De même, qui l'avait transporté depuis la place où est situé le café jusqu'au port de La Rochelle?

Il va falloir mener l'enquête, ces deux personnes méritant toute notre gratitude. Parce que ce n'est pas rien que d'avoir sauvegardé cet incroyable objet.

Bon, d'accord, il n'a plus la même allure que lorsqu'il trônait au Café de la Paix. Pendant le voyage, il a perdu ses chichis et ses flaflas, ses falbalas. Il est tout nu, un peu terni par les embruns, le sel de la mer, et érodé par la remontée de la Loire. 

Mais, MAIS...! 
Il a toujours ce bruit si caractéristique, le "kling" du tiroir caisse que l'on entend lorsque, après avoir tapé le chiffre de la note, voire fait l'addition, on tourne la manivelle, et, merveille, le tiroir s'ouvre, et on prend les sous dans la caisse. "Kling". Delphine nous en a fait la démonstration ce midi. Royal! Bon, le tiroir était un peu poussif, le voyage, toujours lui, avait dû gripper la mécanique. Mais Delphine va y remédier, avec de la glycérine, de la paraffine? Je ne sais plus très bien, mais je sais que c'est avec quelque chose qui rime avec Delphine.

Récapitulons:

- retrouver les deux personnes ayant acheminé le bateau de la terre vers l'eau, puis de l'eau vers la terre

- mettre de la glycérine ou de la paraffine sur les bords du tiroir

- retrouver le capitaine du bateau (c'est peut-être lui, d'ailleurs, le voleur de tiroir caisse...).

Sinon, c'est pareil pour la Reine Delphine que pour le tiroir caisse. Le tiroir caisse, c'est un tiroir avec une caisse autour, et pas une caisse avec un tiroir dedans. En ce qui concerne Delphine et son jardin, ce n'est pas un beau jardin avec un bistrot dedans, et dans le bistrot la Reine Delphine. Non non. C'est Delphine avec une très beau jardin tout autour.

Françoise Tomeno
11 octobre 2012

07 octobre 2012

La bague


Françoise Tomeno
7 octobre 2012

Elle entre dans le bistrot dans sa posture du « ça va mal » : le haut du corps, tête et épaules, tournés et légèrement courbés vers l’épaule opposée. Elle s’assied en face de moi, sans quitter cette posture, l’air maussade, les rides tombantes, le visage fripé. Sans préambule, elle me lance : « Elle dit que je l’ai vendue ici ».

Moi : «  …….. ? Quoi donc ? » (Je ne demande pas qui lui a dit ça, je le sais bien, on a fini par se connaître un peu).
Elle, sur un ton d’évidence (j’aurais dû deviner!) : « La bague ! »
Moi, sans trop réfléchir : « Laquelle ? ».
Elle : « Ben la bague aux diamants ! » sous-entendu « pardi ! », j’aurais dû également deviner.
Moi, sans toujours beaucoup réfléchir : « Qui vous l’avait offerte ? »
Elle, le visage s’éclairant un peu, les rides remontant le long de leur trajectoire du plaisir, les yeux commençant à allumer discrètement leur petite lumière : « L’homme de ma vie ».
Moi : « C’est le souvenir d’une belle rencontre ? ».
À ce moment, le visage s’éclaire complètement, le sourire se fait franc, les yeux se plissent, avec même de la malice d’enfance : « Oui ! ».

Un petit silence s’ensuit. Respect, Madame K.

Puis : « Je crois qu’elle était tombée, et qu’elle est dans l’aspirateur ».

C’est épatant comme les grands moments de la vie viennent parfois se loger dans la banalité désopilante de la quotidienneté.

Je ris : « Bon, vous n’avez plus qu’à vider le sac de l’aspirateur en rentrant ». Elle sourit. Elle est dans ses rêveries d’amour. C’est sûr que face à un sac d’aspirateur, ça fait contraste.

Je ne la vois pas le lendemain. Le surlendemain, elle arrive après moi et s’installe en terrasse. En repartant, je tiens à la saluer, elle est souriante.

Moi : « Ca va ? »
Elle, avec le regard malicieux : « Oui, regardez ! ».

Elle est là, la bague, brillant de tous ses feux.

Moi : « Elle était dans l’aspirateur ? »
Elle : « Non, je l’avais posée dans la salle de bain ».

Nouvelle chute dans l’ordinaire de la vie.

Je passe mon chemin, je pars travailler.

Mais quand-même, chère Madame K, même si vous ne l’aviez plus, la bague aux mille feux, savez-vous que les petites lumières qui s’allument dans vos yeux si bleus sont de beaux diamants lucioles, et que cela suffirait pour que vous témoigniez de cette belle histoire d’amour ?


Le grand échalas


Françoise Tomeno
7 octobre 2012

Il est serveur depuis peu. Immensément long et mince (il me fait penser à ce que disait mon père d’une personne longue comme ça : « une grande giclée »), il a le bras droit tatoué, avec un damier qui se transforme au fur et à mesure du dessin, des piercings incroyables, dont une sorte de petite roue dans l’oreille. Sa tête se termine par une casquette. Oui, elle fait partie de lui, et je pense qu’elle ne le quitte jamais, qu’il fait tout ce qu’il a à faire avec sa casquette (1). Il arbore une certaine nonchalance apparente, qui cache une grande vigilance, une grande attention. Il dit tout haut ce qu’il pense.

Quand il revient de ses congés, c’est par un bel après-midi de fin d’été. Il s’installe sur le seuil du bistrot, occupant toute l’ouverture de la porte. Il prend son temps, regarde la terrasse avec attention, en faisant le tour avec ses yeux, qui ont de la malice. Puis il lance, fort, à la cantonade :
« Tout va bien ? Tout le monde est à sa place ? Je ne veux pas voir une chaise qui dépasse ». Et il se marre.

Je suis pliée de rire. Quel joli culot !

Quelques jours plus tard, il arrive pour prendre son service, et filer un coup de main à Cécile. Il aperçoit un manteau bariolé accroché au portemanteau. « Il est chouette, ce manteau ».
Cécile : « C’est le manteau de Françoise », de moi, donc.

Alors là je suis touchée, craquée. Que ce grand échalas, si différent de moi, puisse trouver beau ce manteau, que j’ai acheté à tout casser 5 euros au dernier vide grenier du quartier, ça me fait rudement plaisir.

Parce que, voyez-vous, je l’aime bien, ce grand échalas, cette grande giclée, avec son air d’arriver d’un ailleurs improbable et décalé. Je lui aurais presque fait cadeau du manteau. Mais non. Si je le garde, le manteau, ça nous fait des liens.




(1) Depuis que j’ai commencé à écrire de texte, je l’ai vu apparaître sans casquette. J’en ai déduit qu’il était en fait un arbre à feuilles caduques, et que sa casquette tombait chaque automne. Affaire à vérifier.

La distance à Momo


Françoise Tomeno
7 octobre 2012

Momo a parfois un mouvement vers les femmes « Mon amour, mon amour », qui le précipite à embrasser la femme élue ce jour-là (ça peut changer d’un jour sur l’autre) sans lui demander son avis. Cela lui arrive moins souvent qu’avant, mais quand-même. Et lorsqu’il perçoit un mouvement de recul de la personne à laquelle il s’est adressée, il invoque l’argument suprême : « C’est Marco qui l’a dit ». Marco, c’est « son » serveur bien aimé, celui qui le respectait et le faisait respecter avec une belle rigueur chaleureuse. Marco, qui lui confiait des tâches au bistrot (ramasser les tasses par exemple). Son Marco, quoi.

Depuis quelque temps, j’ai pris l’habitude de lui tendre la main avant même qu’il ne se précipite sur moi avec son amour. Un jour, je n’ai pas le temps de le voir arriver, et il est tout proche. Je tends rapidement ma main et lui dis : les bises, c’est pour vos retours de vacances (je lui avais moi-même fait la bise dans cette circonstance), pour votre anniversaire, et pour Nouvel An.

S’ensuit une discussion entre Céline, Michel, tous deux de service ce jour-là, Momo, et moi-même sur le thème : mais c’est quand votre anniversaire ? Momo ne le sait pas, dit Céline. Alors Momo approche du comptoir, sort ses papiers, et nous découvrons ensemble la fameuse date, que je note illico dans mon agenda. J’ai intérêt à ne pas l’oublier, si je veux être fidèle à ma parole.

Quelque temps plus tard, le scénario s’amorce de la même façon. Je réitère mes choix de bises, et lui tend la main, qu’il accepte volontiers. Michel rit, et me rappelle, avec une certaine admiration, le moment précédent dont il avait été témoin.

Bon, moi, faire comme ça, ça m’est quand même assez familier.

Mais tout de même ! Je pense très souvent, en pensant à Momo, que probablement aucune femme ne lui a jamais dit « mon amour », « je t’aime ». Alors !

06 octobre 2012

Quart de soupir à Barcelone


Françoise TOMENO
6 octobre

Faire la pause au bistrot. Sur la place. Sur une des places. Elles sont nombreuses, les places de Barcelone, où l’on peut s’installer, déguster un verre de blanc, une sangria qui vous achève après la journée passée à crapahuter, à ascensionner la colline qui mène à la Fondation Miro, celle qui conduit au parc de Guëll. Petites ou grandes, les places sont là, telles les cases vides du jeu de pouse-pousse dont je vous parlais il n’y a pas si longtemps.

La pause alors est gigogne. Pause à Barcelone, pause sur la place, pause dans l’espace ouvert de la terrasse du bistrot, pause dans la tête.

Il y a la plaça Real, la grande place, dont on peut faire le tour en allant de bistrot en bistrot, il n’y a que ça tout autour. Si vous faites ainsi, cela risque de vous être fatal, ou alors il vous faudra prendre de l’eau, ce qui fait très mauvais genre en ce lieu. D’autant que vous ne résisterez pas aux tapas, passage obligé, qui vient vite remplir la case qui aurait du rester un espace ouvert. La pause en ce cas vous rapportera quelque kilos de plus, damned ! Pas de manque…

Il y a les petites places découvertes au hasard. Le premier jour, on les aura entrevues (et convoitées) derrière un rideau de pluie. Promesse d’un lendemain ensoleillé, et de cette fameuse pause espérée. Les jours qui suivront seront à la hauteur de l’espérance. Le nez au vent, après avoir choppé au passage des petits trésors cachés qui, telles des lucioles dans la ville (1), feront la nique à Gaudi. Gaudi quand même, Miro bien sûr, pas assez de temps pour Picasso, ce sera pour une autre fois, et Lluis Domènech i Montaner, l’architecte du palais de la musique catalane (2), palais qui fut aussi un lieu de résistance au fascisme. Un rêve, faire l’aller-retour juste pour aller écouter un concert dans la belle salle à l’extraordinaire acoustique .


Mais je m’égare. Excusez-moi, c’est la musique. Ca me fait toujours ça.

J’en étais aux petites places, ouvertures sur la pause. Choix du bistrot, un détail emportant la décision (des tables moins sophistiquées que d’autres, par exemple). Dans cet espace qui s’offre, ouvrir un temps pour la rêverie, pour le regard qui flâne, en quête de luciole, en quête de rien, en quête de repos.

Je pense aux signes de respiration de la musique. Il y a les pauses justement, les demi-pauses. Il y a aussi  les soupirs, les demi soupirs ; c’est beau, non ? Il y a même les quarts de soupirs, les huitièmes de soupirs, les seizièmes de soupirs. Il y en a vraiment pour tous les goûts, toutes les occasions.
Mais je m’égare à nouveau.

Quoique, je file ma métaphore de la case vide du pousse-pousse….

Il m’arrive de l’oublier, celle-là . En cas d’alerte, de manque de respiration, je me rappelle Barcelone, la place, le bistrot, la rêverie, le rien, le repos.

Je m’éclipse sur la pointe des pieds, vous laissant à votre rien, votre repos, vos flâneries de l’âme. Excusez-moi si je vous ai un peu dérangés…

03 octobre 2012