Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

07 octobre 2012

Le grand échalas


Françoise Tomeno
7 octobre 2012

Il est serveur depuis peu. Immensément long et mince (il me fait penser à ce que disait mon père d’une personne longue comme ça : « une grande giclée »), il a le bras droit tatoué, avec un damier qui se transforme au fur et à mesure du dessin, des piercings incroyables, dont une sorte de petite roue dans l’oreille. Sa tête se termine par une casquette. Oui, elle fait partie de lui, et je pense qu’elle ne le quitte jamais, qu’il fait tout ce qu’il a à faire avec sa casquette (1). Il arbore une certaine nonchalance apparente, qui cache une grande vigilance, une grande attention. Il dit tout haut ce qu’il pense.

Quand il revient de ses congés, c’est par un bel après-midi de fin d’été. Il s’installe sur le seuil du bistrot, occupant toute l’ouverture de la porte. Il prend son temps, regarde la terrasse avec attention, en faisant le tour avec ses yeux, qui ont de la malice. Puis il lance, fort, à la cantonade :
« Tout va bien ? Tout le monde est à sa place ? Je ne veux pas voir une chaise qui dépasse ». Et il se marre.

Je suis pliée de rire. Quel joli culot !

Quelques jours plus tard, il arrive pour prendre son service, et filer un coup de main à Cécile. Il aperçoit un manteau bariolé accroché au portemanteau. « Il est chouette, ce manteau ».
Cécile : « C’est le manteau de Françoise », de moi, donc.

Alors là je suis touchée, craquée. Que ce grand échalas, si différent de moi, puisse trouver beau ce manteau, que j’ai acheté à tout casser 5 euros au dernier vide grenier du quartier, ça me fait rudement plaisir.

Parce que, voyez-vous, je l’aime bien, ce grand échalas, cette grande giclée, avec son air d’arriver d’un ailleurs improbable et décalé. Je lui aurais presque fait cadeau du manteau. Mais non. Si je le garde, le manteau, ça nous fait des liens.




(1) Depuis que j’ai commencé à écrire de texte, je l’ai vu apparaître sans casquette. J’en ai déduit qu’il était en fait un arbre à feuilles caduques, et que sa casquette tombait chaque automne. Affaire à vérifier.