Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

07 octobre 2012

La bague


Françoise Tomeno
7 octobre 2012

Elle entre dans le bistrot dans sa posture du « ça va mal » : le haut du corps, tête et épaules, tournés et légèrement courbés vers l’épaule opposée. Elle s’assied en face de moi, sans quitter cette posture, l’air maussade, les rides tombantes, le visage fripé. Sans préambule, elle me lance : « Elle dit que je l’ai vendue ici ».

Moi : «  …….. ? Quoi donc ? » (Je ne demande pas qui lui a dit ça, je le sais bien, on a fini par se connaître un peu).
Elle, sur un ton d’évidence (j’aurais dû deviner!) : « La bague ! »
Moi, sans trop réfléchir : « Laquelle ? ».
Elle : « Ben la bague aux diamants ! » sous-entendu « pardi ! », j’aurais dû également deviner.
Moi, sans toujours beaucoup réfléchir : « Qui vous l’avait offerte ? »
Elle, le visage s’éclairant un peu, les rides remontant le long de leur trajectoire du plaisir, les yeux commençant à allumer discrètement leur petite lumière : « L’homme de ma vie ».
Moi : « C’est le souvenir d’une belle rencontre ? ».
À ce moment, le visage s’éclaire complètement, le sourire se fait franc, les yeux se plissent, avec même de la malice d’enfance : « Oui ! ».

Un petit silence s’ensuit. Respect, Madame K.

Puis : « Je crois qu’elle était tombée, et qu’elle est dans l’aspirateur ».

C’est épatant comme les grands moments de la vie viennent parfois se loger dans la banalité désopilante de la quotidienneté.

Je ris : « Bon, vous n’avez plus qu’à vider le sac de l’aspirateur en rentrant ». Elle sourit. Elle est dans ses rêveries d’amour. C’est sûr que face à un sac d’aspirateur, ça fait contraste.

Je ne la vois pas le lendemain. Le surlendemain, elle arrive après moi et s’installe en terrasse. En repartant, je tiens à la saluer, elle est souriante.

Moi : « Ca va ? »
Elle, avec le regard malicieux : « Oui, regardez ! ».

Elle est là, la bague, brillant de tous ses feux.

Moi : « Elle était dans l’aspirateur ? »
Elle : « Non, je l’avais posée dans la salle de bain ».

Nouvelle chute dans l’ordinaire de la vie.

Je passe mon chemin, je pars travailler.

Mais quand-même, chère Madame K, même si vous ne l’aviez plus, la bague aux mille feux, savez-vous que les petites lumières qui s’allument dans vos yeux si bleus sont de beaux diamants lucioles, et que cela suffirait pour que vous témoigniez de cette belle histoire d’amour ?