Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

27 novembre 2012

Ballet de dames

Françoise Tomeno
27 novembre 2012

Allez savoir pourquoi! Ce matin là, je m'installe à la table, et même à la place qu'occupe d'habitude Lulu. J'y pense bien un peu en le faisant, mais bon, elle n'est pas réservée, cette table. Et puis Lulu n'est pas là. Et puis je l'aime bien cette table, avec sa petite nappe blanche à pois verts, ou l'inverse, verte à pois blancs. Je ne sais plus très bien, il faudra que je regarde mieux la prochaine fois.

Je suis obligée de sortir, on m'appelle pour ma maman, qui vieillit encore un peu plus, est perdue dans la vie, devient un peu tyrannique, exigeante. 

Ca dure un moment, je ne vois pas Lulu arriver. Lorsque je rentre dans le bistrot, Lulu a pris sa place, ma place, enfin la place que je lui avais prise. Surprise, qu'est-ce que je fais? Il y a mes affaires sur la table, mon petit crème, un journal, un bouquin. Mon sac est assis à la place à côté de Lulu, la place du chien de Lulu, de la chienne à vrai dire, Justine, la p'tite, pupuce. Je fais quoi, moi? Ben,... en premier, je m'excuse: "Excusez moi, j'ai pris votre place". "Ca ne fait rien, vous pouvez rester" me dit Lulu. Alors je m'installe à la place de pupuce. Sans la petite couverture polaire rouge que Lulu enroule d'habitude autour de Justine si précautionneusement. J'ai de la chance, ma pupuce n'est pas là aujourd'hui, ça simplifie la réflexion.

Je suis juste un peu gênée. Lulu aussi visiblement. C'est qu'on ne se connaît pas beaucoup. Tout de même, se retrouver toutes les deux à la même table alors qu'il y a plein de places dans le bistrot, c'est quand même bizarre, non? Lulu se lève, et va chercher son café au comptoir. Je ne l'avais jamais vu faire ainsi. Moi, j'ai commandé un autre crème, histoire d'avoir une contenance auprès de Lulu. Lulu revient s'asseoir, c'est moi qui me lève pour aller chercher mon crème. Je me demande si nous allons passer le moment à nous croiser ainsi.

Mais non, Lulu engage la conversation: "Fait humide". "Oui, et il y a du vent. Je n'aime pas quand je dois prendre la route et qu'il y a du vent". "Oui, surtout sur la levée de la Loire". Je précise alors que je vais travailler dans le Loir et Cher.
Lulu:"Vous restez où?".

Je suis toute chose. Cela fait des années que je n'ai plus entendu cette expression "vous restez" pour dire "vous habitez". Je cherche où j'ai entendu ça. Il y a longtemps, je ne  sais plus.

Je lui explique où j'habite, que j'ai la chance d'avoir une très belle vue sur une rivière. Et je lui retourne la question: "Et vous, vous habitez où?" "Sur l'île", me dit-elle fièrement. Veinarde, Lulu. Je rêve d'habiter sur cette île, fausse île, depuis des lustres. Surtout dans la grande maison qui a un balcon en bois face à la Loire. Veinarde, Lulu.

C'est l'heure pour moi de partir. Je laisse Lulu récupérer son espace, sa table, sa place, l'intruse s'en va. Mais Lulu ne ne me tiendra pas rigueur de mon audace. 

18 novembre 2012

Différences

Françoise Tomeno
18 novembre 2012

Pause au Chien Qui Fume. Nous avons bien travaillé aujourd’hui, nous poursuivrons demain. Pour rejoindre le bistrot, nous remontons l’avenue, où se déroule une importante manifestation. Nous comprenons assez rapidement, en lisant les pancartes, qu’il s’agit de la manifestation « contre le mariage pour tous ». Des manifestants s’arrêtent dans les différents bistrots situés tout le long de l’avenue, le Chien Qui Fume n’y échappe pas.

Une fois installées dans le bistrot, nous pouvons suivre le passage du défilé. Dans la rue, et dans le bistrot, quelques manifestants se sont coiffés de perruques, la plupart de couleur fluo. Des enfants ont été mis à contribution, et portent, eux aussi, des coiffes extravagantes, également fluo. Tout ce petit monde ne serait-il pas en train de singer les travestis ? Rabattre la question de l’homosexualité sur celle des travestis, c’est bien limité, comme réflexion…. Et quelle haine s’exprime-là, quel mépris pour l’autre et pour sa différence ?

Au chien qui fume, Paris




15 novembre 2012

Simplement

Françoise Tomeno
15 novembre 2012

Ca faisait un moment que je ne la voyais plus. Elle m'avait abordée un jour très simplement. Elle s'était installée à la table à côté de la mienne, et elle m'avait demandé si j'étais professeur. Il faut dire qu'avec les bouquins qui m'accompagnent toujours dans mes virées au bistrot, ça peut prêter à confusion. Je lui avais donc dit quel était mon métier. Elle m'avait alors parlé du fait que la vie l'avait conduite, il y avait un moment déjà, vers des gens qui pratiquaient le même genre de métier. Sa simplicité à parler de cela m'avait touchée. Elle n'avait pas débordé, nous plaçant à égalité devant la vie. C'est rare.

Et puis je ne l'avais plus vue pendant plusieurs mois. Je me faisais du souci. Je ne connaissais que son prénom (je m'en souvenais bien, c'était le "petit nom" que ma maman donnait à ma soeur lorsque nous étions enfants), et j'étais convaincue, au vu de sa discrétion, que personne au bistrot ne connaissait son nom. Peut-être même que personne n'avait remarqué son absence.

Sa simplicité me manquait.

Un matin je l'ai vue arriver. Plaisir de se retrouver. Elle allait bien. Nous avons à nouveau parlé de tout, de rien, des petites choses de la vie. Pas besoin de se la raconter, la vie. Juste quelques évocations, et c'est bien.

J'étais contente.

13 novembre 2012

Rosa rosa rosam rosae... rosé?

Françoise Tomeno
13 novembre 2012

Je suis déjà installée quand il arrive. Il se met toujours à la même place, Léon.

"Qu'est-ce que tu veux, Léon? Un rosé?" demande Armelle, de service ce matin là.
Léon prend toujours un rosé, même un peu tôt le matin.

Et là j'entends Léon marmonner: "Rosa rosa rosam rosae rosis rosae". Il rit tout seul.

Ca alors. Léon connaît le latin? À moins que ça ne soit le souvenir de la chanson de Jacques Brel?

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis


C´est le plus vieux tango du monde
Celui que les têtes blondes
Ânonnent comme une ronde
En apprenant leur latin
C´est le tango du collège
Qui prend les rêves au piège
......
C´est le temps où j´étais dernier
Car ce tango rosa rosae
J´inclinais à lui préférer
Déjà ma cousine Rosa

Rosa rosa rosam
Rosae rosae rosa
Rosae rosae rosas
Rosarum rosis rosis


Rosé, Léon? Une cousine Rosa se cache peut-être derrière votre rire, en douce?

10 novembre 2012

Le style, toujours....

Un habitué: "Un café s'il te plaît".
Michel, le serveur: "Un petit café plaisir?"

07 novembre 2012

La perceuse à Momo

Françoise Tomeno
7 novembre 2012

Momo était de passage cet après-midi-là. Je l'ai vu arriver avec un de ces grands sacs en plastique dont il a le secret, et qui changent souvent, Momo, c'est le roi de la récupe. Il a été poser son sac sur la terrasse, et est entré avec à la main une perceuse quasiment hors d'âge (même si je ne 'y connais pas grand chose en perceuse, elle avait un look vieillot).

Tenant la perceuse comme une kalashnikov, il ne voyait personne d'autre que sa trouvaille, et que les deux jeunes serveuses qu'il avait choisies comme témoin (c'est toujours les serveurs et serveuses qui sont les témoins de Momo, nous, on vient après, des fois, pas toujours). 

Fier de son butin, il annonçait l'arrivée imminente des forets allant avec la perceuse (je n'ai pas compris s'il les avait déjà ou s'il en cherchait). Je ne me suis pas aventurée à aller saluer Momo, il n'avait d'attention pour rien d'autre que pour son engin, et semblait avoir été entièrement avalé par celui-ci.

Je lui dirai bonjour un jour où il sera moins absorbé....

Une affaire de style

Françoise Tomeno
7 novembre 2012

Michel est serveur dans un des bistrots que je fréquente régulièrement. Il m'a une deuxième fois surprise par son sens de la formule. Je l'avais entendu dire, il y a quelque temps, à un client assis au bar et enfoui dans son journal au point d'en oublier de commander: "Vous désirez, Monsieur?".

Aujourd'hui, la formule était: "Qu'est-ce qui vous ferait plaisir?";

Joli...

Les garçons de café (et les filles également, mais on ne dit pas "les filles de café", ça ferait même mauvais genre...) ne demandent généralement rien aux clients. Ils disent bonjour et attendent la commande, qui ne tarde pas: "Bonjour, un café s'il vous plaît".

Si un client est un peu lent à la détente, on entendra alors "Qu'est-ce que je vous sers?", ou bien "Qu'est-ce que vous prendrez?". Mais "Vous désirez?", c'est quand-même plus rare, quant à "Qu'est-ce qui vous ferait plaisir?", là c'est inattendu.

Il a du style, Michel.

04 novembre 2012

Familles ordinaires en montagne


Françoise Tomeno
4 novembre 2012

Jour de Toussaint, jour férié, jour de vacances des enfants, mais aussi jour de neige : il y a du monde dans le bistrot de cette petite station du massif de la Chartreuse.

La neige s’est invitée plus tôt que d’habitude. Elle est un peu comme un ami de la famille qui, alors qu’on l’attend régulièrement à une certaine date, surprend tout le monde en arrivant en avance. Un ami que toute la famille aime, qui fait rire les enfants, et redonne de la fantaisie et de l’amusement d’enfance aux grandes personnes, qui n’attendent que ça. À son arrivée, toutes et tous, grands et petits, jubilent, veulent le voir, le toucher, rire avec lui, comme s’il faisait cadeau à chacun en particulier de son précieux don.

La neige a fait comme ça ; elle est tombée en abondance il y a quelques jours, prenant de court chasse-neiges et autres dameuses, transformant les routes en pistes de skis, de luge, de raquettes, ou tout simplement de ballades à pied.

Et c’est en famille que beaucoup sont allés à sa rencontre. Au retour, on va se réchauffer au bistrot, et les chocolats vont bon train.

C’est également en famille que je suis allée à la rencontre de cette jolie dame. Ma belle sœur offrait un petit plaisir à ses tout nouveaux skis de randonnée nordique, qui le lui ont bien rendu. Quant à moi, ce fut raquettes, et circuit court. Mon frère et ma belle-sœur ont toujours des égards pour ce que nous appellerons pudiquement mon manque d’entraînement…. Au retour, en attendant notre sportive qui a continué à gravir la « piste » du Charmant Som (prononcer « son », même si « som » veut dire sommet, il y a également le Petit Som, le Grand Som)), nous nous installons dans le bistrot. Il n’est pas très beau, les chocolats sont lyophilisés, mais on est bien là, au chaud, après ce premier contact avec l’hiver.

Un monsieur arrive, tenant contre lui une petite couverture polaire blanche et bleue. Il s’assied et attend, tenant toujours la petite couverture contre lui. Il semble n’y avoir personne dans la couverture. Quelques minutes plus tard arrive une dame, un petit garçon de 5 ou 6 ans, un autre monsieur, plus âgé, le grand-père, relié par une laisse à un magnifique Husky, aux yeux d’un bleu à faire fondre l’âme.

On passe commande, on s’installe. Le monsieur fouille un sac à dos qu’il a posé devant lui sur la table du bistrot. Il fouille, refouille, farfouille, s’attaque à un deuxième sac à dos que sa femme a également posé sur la table. Là, à nouveau fouille et farfouille, le monsieur commence à avoir l’air embarrassé. La maman remarque qu’il y a quelque chose qui cloche, son visage se décompose. « Je l’ai oublié », dit papa. Mais qu’a-t-il donc oublié ? Le patron du bistrot passe à proximité. « Vous n’auriez pas du lait maternisé ? » dit papa. Et bien oui, malgré les apparences, il y a quelqu’un dans la petite couverture blanche et bleue, un tout petit bout de bonne femme, dormant profondément, que l’on découvre au milieu de ce petit drame domestique et familial. « Non, répond le patron, pour nous, ça n’est plus la « période », les enfants sont grands ». Il explique alors que la première pharmacie ouverte (on est jour férié, je le rappelle) est loin, nous sommes en pleine montagne. « Il faut aller à X, et il faut au moins une heure aller-retour ».. « C’est là que nous habitons ! » répond papa….


La petiote, elle, ne semble absolument pas affectée par ce qui se passe. Pourtant maman, sur un ton de reproche, a dit à papa : « Elle n’a pas  bu depuis 10 heures ce matin !», et il est environ quatorze heures trente…. Palabres à mi-voix, « J’aurais dû m’en occuper moi-même » dit maman; silences, hésitations.

Alors le grand-père propose de faire l’aller-retour, d’aller chercher la précieuse boîte de lait en poudre, et, ainsi, de ne pas empêcher la poursuite de la journée familiale. Ce qui fut fait. Une bonne demi-heure après le départ de grand père, papa, maman, la petiote, cette fois-ci harnachée sur la poitrine de maman, le petit gars, se lèvent et sortent, apparemment pour se balader malgré tout ; mais sans laisser de message à personne, pas même aux patrons. Mazette ! Et voici qu’une nouvelle demi-heure plus tard environ, le grand père arrive, tenant la précieuse boîte de lait telle le saint Graal. Il est tout heureux de sa bonne action, alerte. C’est alors qu’il découvre le désastre : PERSONNE ! Il cherche du regard, perdu, n'en croyant pas ses yeux. Déçu peut-être? Nous ne le laisserons pas dans le doute plus longtemps. « Ils sont sortis, sans doute se promener ». Le grand père sort aussi. Ils ne devaient pas être très loin, nous les voyons revenir peu après. Nouvelle installation, nouvelle commande, le biberon sort du sac, le lait maternisé va rejoindre son biberon préféré. Ouf !

Quoi que…. Ça semble une manie, papa fouille à nouveau un sac, puis l’autre, de plus en plus fébrile. Maman a un air abattu. « Je l’ai oublié », dit papa. Mais qu’a-t-il encore oublié, papa ?

Le bavoir !….

Bon, maman trouve une très grande serviette en papier qu’elle plie en deux, et c’est papa qui donne le biberon. Notre petiote tête goulûment, l’âme en paix.

Peut-être que papa a l’âme un peu moins en paix ? En tout cas, ça ne se voit pas.