Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

06 janvier 2013

Miscellanées régalantes (lisez d'abord ....)

Françoise Tomeno
6 janvier 2013

J'ai été obligée de prendre des notes... Il se passait trop de choses en si peu de temps. 

D'abord, Lulu avait froid, ça n'allait pas, elle était de mauvais poil. Très courtoise avec moi cependant, elle m'a souhaité la bonne année, surtout la santé. J'en ai bien sûr fait autant. Mais voilà que Joséphine, une habituée des bistrots du quartier, a entrepris de me faire la conversation. Elle avait dû commencer tôt au bistrot, Joséphine, elle avait la bouche qui manquait d'habileté. Elle n'avait pas du boire que des cafés. Elle s'était maquillée avec du brillant, ou bien c'était un reste des fêtes qui ne voulait pas savoir que c'était passé. C'était réparti à la va comme je te pousse la vie, sur son visage, les brillants. De son oeil gauche, il en pleurait une grande larme. C'est peut-être pour ça qu'elle n'avait pas bu que du café, Joséphine.


Mais voilà que Lulu s'en va au comptoir, et me fait des moues évocatrices en jetant un coup d'oeil à Joséphine. Pas fiable, Joséphine, semble me dire Lulu. Euh... Un peu jalouse, Lulu?

Toujours est-il que lorsque Joséphine, dans ses brumes, est venue à plusieurs reprises souhaiter des bonnes choses à Lulu, bon appétit, bonne journée, celle-ci l'a envoyée balader.

Joséphine, elle m'a d'abord entrepris sur son sommeil. Elle avait fait un horrible cauchemar. Damned, me voilà bien, écouter les rêves de Joséphine, qui plus est un cauchemar, dans un bistrot! Je sais bien que c'est mon métier, d'écouter les rêves, tous les rêves, y compris les cauchemars. Mais pas quand je viens déguster les huîtres préparées par Roger. Je fais une oreille mi sourde, mi pas sourde, compatissante au mieux. Joséphine se replonge dans un petit carnet tout en fredonnant. À un moment, elle se lève, me tend un livre: "Tenez, je vous l'offre. Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est pour vous". Moi: "!!!!!......????? Merci, mais pourquoi????". Elle: " Parce que je vous vois, et parce que vous le méritez".

Ca alors! Je n'en reviens pas... Hum... Joséphine ne sait pas ce que c'est. Serait-ce un livre qu'on lui aurait offert, et dont elle n'a pas l'usage? Ce sont des choses qui arrivent. Autant en faire profiter les autres, au fond.

Mais c'est quoi, ce bouquin? Il a pour titre "Les miscellanées de Mr Schott". Les miscellanées. J'avais déjà croisé ce mot une fois ou l'autre, je ne m'étais pas attardée, mais je ne savais pas très bien ce que cela voulait dire. Cette fois, il faut que j'interroge mon fidèle ami le Grand Robert. Ce sont des mélanges, les miscellanées, du latin "miscellanea", choses mêlées. À l'intérieur de la jaquette, on peut lire: "Les miscellanées de Mr Schott sont une collection de petits riens essentiels". Mais comment elle savait ça, Joséphine, que c'est une des choses qui me passionnent dans la vie, les petits riens essentiels? Elle ne serait pas un peu sorcière?

Un peu plus tard encore, me voyant prendre des notes: "Vous me faites penser à une correspondante de guerre". À nouveau: "!!!!!". Je lui dis que je ne sais pas si j'aurais eu le courage de cette position-là. Elle me raconte alors que la maman de sa marraine a été correspondante de guerre en Turquie (sic!) pendant la deuxième guerre mondiale. je suis en pleine rêverie. Encore un peu plus tard: "Vous êtes psychologue?". Alors là, je n'ai plus de doutes: c'est une sorcière. Une bonne sorcière, ceci-dit, elle ne me veut pas de mal.

Pendant ce temps-là, Sabrina, la patronne, donne ses étrennes à chacun: "Un p'tit briquet lumineux, ou un p'tit rocher en chocolat". Moi, je ne fume pas, mais vrai, je vais le regretter: les briquets sont de toutes les couleurs, pétantes. Certes, j'aurais pu en prendre un qui m'aurait servi de lampe de poche, ou que j'aurais pu donner à quelqu'un, comme Joséphine m'a donné son livre. Mais voilà, mon vieil atavisme suisse l'a emporté côté chocolat. Certes, ce n'était pas les Ragusa fabriqués dans mon cher Jura suisse. Mais c'était avant tout du chocolat, et ça, ça ne se discute pas.

Sabrina propose les étrennes à un monsieur qui vient souvent déjeuner ici. Il a une façon de parler toujours très précieuse, et il semble s'excuser de tout, il a toujours peur de déranger, y compris lorsqu'il commande. Sabrina lui annonce qu'aujourd'hui, Roger, le patron, a fait, de ses propres mains, une galette des rois. Le Monsieur qui est toujours content de tout, se réjouit: "C'est régalant". Je me dis que je vais en parler au Grand Robert, de ce mot, et qu'à tous les coups il va me répondre par un silence poli. Que nenni! Ca existe bien "régalant". Ca veut bien dire ce que ça veut dire. Seul commentaire du Grand Robert: "Vieilli et familier". Bon, j'en aurai appris des choses aujourd'hui: "miscellanées", "régalant". Au fond, j'aime les miscellannées parce qu'elles sont régalantes....!

Et vous croyez que c'est fini?
Même pas! Parce que ce jour-là, il y a également dans le bistrot un personnage intriguant. Il s'appuie sur une canne blanche. Donc normalement, il ne devrait pas voir très bien du tout et peut-être même être aveugle. De loin, il m'avise, et me souhaite la bonne année. Certes, j'ai appris par mon métier que certaines personnes très malvoyantes voyaient très nettement dans un tout petit espace au centre de la vision. Mais notre homme semble suivre des yeux tout, précisément.

Encore un mystère de ce jour.....