Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

06 décembre 2012

Le culot de Madame K

Françoise Tomeno
6 décembre 2012

Je ne l'avais pas revue depuis un bon moment. Je pensais même qu'elle était partie en vacances. Je bouquine. Elle entre dans le bistrot, je m'attends à ce qu'elle jette un coup d'oeil dans ma direction, comme elle le fait toujours. Elle n'a pas même un regard. Elle se dirige vers l'arrière du bistrot, où elle ne va jamais. Je m'étonne, mais ne me manifeste pas, je ne reste pas longtemps aujourd'hui. Je lui ferai signe lorsque j'irai prendre mon manteau.

Le moment venu, je me dirige vers le porte-manteau à l'entrée, et là je la vois. Elle s'est installée à côté de Didier, un habitué qu'elle connaît. Celui-ci semble avoir du mal à maintenir le cap de son activité sur son ordinateur. C'est qu'elle est bavarde, Madame K, lorsqu'elle s'y met. 
Je m'approche, sourires réciproques. 

-"Ca fait longtemps que je ne vous avais pas vue... Vous étiez en vacances?"

-"Non.... j'y pars bientôt.
................
Je vous ai manqué?"

-"Euh... oui.... je me faisais même du souci"

Elle est radieuse comme jamais!

Elle m'a soufflée par son beau culot.

Oui, Madame K, vous m'avez manqué, même si parfois vous ne mesurez pas bien les limites. Lorsque, par exemple, je voudrais bien, pendant un petite pause, lire un peu, ou travailler. Si c'est du travail, j'arrive à vous dire "On parle un quart d'heure, après, j'ai du boulot". Alors, à la fin de notre temps de bavardage, lorsque je dis que je reprends mon travail, vous filez sans même le temps d'un au-revoir.  Cependant, cette façon de partir sans laisser l'adresse d'un sourire, ne signifie pas que vous êtes fâchée. C'est simplement que vous êtes déjà ailleurs, sur la terrasse par exemple, en train de fumer votre clope. La fois suivante, vous aurez toujours ce même sourire heureux de nos retrouvailles.

Si c'est un roman que j'ai emporté à lire au bistrot, alors là, j'ai du mal à vous refuser la conversation. Je n'ai plus ce prétexte noble du travail. C'est là que nous menons nos plus longues conversations, au cours desquelles, par petites touches, vous livrez quelques bribes de souvenirs, quelques allusions à la dureté de la vie. Presque toujours, nous arrivons à rire, malgré tout.