Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

03 décembre 2012

Casquette ou pas casquette?

Françoise Tomeno
3 décembre 2012

Cette fois, je ne me suis pas égarée jusqu'à aller m'asseoir à la place de Lulu, qui est aussi celle de Léon lorsque Lulu n'est pas là.

Lulu arrive la première. Elle s'installe à sa table. Léon la suit de près, la place est prise, il se dirige vers sa position de repli. L'un et l'autre me saluent. Oui, Léon me salue, et ça, c'est nouveau. Aujourd'hui, il me salue même vraiment, et avec le sourire, s'il vous plaît, Madame. Il est installé juste devant moi. Je vois son dos, à Léon. Ce dos courbé. 

Cela faisait deux trois fois que je croisais Léon à ma sortie du bistrot, lui, il y arrivait pour prendre son rosé du matin. On ne se saluait pas, il ne me voyait pas, Léon, courbé parfois sur une canne, ou sur rien, la casquette enfoncée jusqu'aux yeux.

Un jour pas comme les autres, c'est lui qui sortait alors que j'arrivais. Surprise: je vois un haut de casquette se lever doucement, suivi de près par deux yeux, et j'entends un timide bonjour, à peine perceptible. J'en suis toute émue, et je réponds avec la même discrétion, la casquette en moins. Pourtant, des casquettes, j'en ai porté, lorsque j'étais chanteuse de rues, et dans un spectacle Alfred Jarry dans lequel j'incarnais, dans la chanson du décervelage, un ouvrier ébéniste bien trempé.

Quelques jours plus tard, Léon est déjà installé lorsque j'arrive. Même mouvement de casquette, d'yeux, même timide bonjour, même réponse de ma part. Cette fois-ci encore je suis touchée.

Alors, comme ça, Lulu et Léon m'ont accueillie chez eux. Non pas que je ne me sente pas chez moi dans le bistrot. Mais ils ont une bonne longueur d'avance sur moi dans leur fréquentation de ce lieu. Alors leur bonjour, ça me fait craquer.

Maintenant que je suis des leurs, dois-je remettre une casquette? Parce que, vous savez, Lulu, depuis qu'il s'est mis à faire mauvais, comme on dit, elle porte aussi une casquette. Ca protège bien, les casquettes. La casquette à Lulu, elle ressemble à s'y méprendre à celle que je portais sur les marchés. Celle-ci, elle a pris les mites, j'ai du m'en débarrasser. Celle de l'ouvrier ébéniste, je l'ai toujours, une belle casquette en velours noir, velours façon compagnon du Tour de France. Certes, je chante à nouveau, mais je ne chante plus dans les rues (dommage d'ailleurs...), je chante, je travaille  Brahms. Vous voyez un peu, Brahms en casquette? 

Et puis, ma "communauté" avec eux, c'est pas obligé que ça se voit, ils n'en sauront jamais rien. Mais dans mon FI, comme dirait Fred Vargas (j'aime beaucoup Fred Vargas), mon For Intérieur, je le saurai, et ça suffira bien.