Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

17 avril 2012

RECONNAISSANCE

Françoise Tomeno
17 avril 2012

Ces temps-ci elle est toute grise, le visage en peau de chagrin. Je la vois passer dans le quartier, courbe, sans regard au monde. Qui conduit l'autre: elle? Le chien de sa fille, Gaston? Entre eux-deux, une laisse. Est-ce la laisse qui la fait tenir? Laisse, laissée, lassée. je la vois là, dans la rue, trottiner, laissée par la vie, lassée de la vie.
La vie est grise pour Madame Klaus Kinski.

Ce jour-là, elle rentre dans le bistrot, toujours sans regard. Sa voix rauque énonce "un café, en terrasse". Elle ne m'a pas vue.

Et puis, juste avant de sortir, elle lève la tête dans ma direction. Et soudain, le visage s'élargit, la peau se détend, les yeux bleu d'acier allument leur petite lumière, un sourire donne sa forme définitive au visage de cet instant là.

Reconnaissance. Nous nous sommes reconnues. Elle est redevenue belle.

Ce sera bref, fugace. Elle repartira en terrasse pour pouvoir fumer sa clope. Cette fois, elle ne viendra pas s'asseoir à ma table pour que nous tenions conversation comme cela arrive parfois, souvent même.

Ces conversations avaient fini par me devenir pesantes, parce que répétitives dans la plainte, et je n'avais pas d'autre place que de recevoir, tel un réceptacle, cette plainte.

Aujourd'hui que sa beauté apparaît dans cette rencontre de visage à visage, avec ce sourire de reconnaissance, je me dis que ça valait bien la peine. 
Ca valait bien la peine de ces conversations sans retour, le retour était ailleurs.