Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

11 mars 2012

AUTRES CHINOISERIES

OU « DES CAFÉS À PÉKIN » ?

Françoise Tomeno 
11 mars 2012

Pékin 2002. Nous récidivons [1]. Cette fois, voyage free-lance. Nous nous baladons le nez au vent, au gré de nos humeurs. Nous avons choisi un petit hôtel dans un quartier populaire du nord de Pékin, au Nord Est de la Tour du Tambour. Quartier de Hutongs, les vieilles rues où subsistent d’anciennes maisons à la très belle architecture. Dehors, sur les trottoirs, les petites gens, les petits métiers de la rue : réparateur de vélos, couturière, coiffeur. Les oiseaux dans leurs cages parlent; l’un d’eux se moquera, à s’y méprendre, de mon rire, ce qui me fera rire, et il recommencera.

Dans l’avion, j’ai lu sur le guide du routard qu’il y avait à Pékin un café remarquable, le Pass By Bar [2], créé en 1999. Il y a deux patrons. L’un est fou du Tibet, et s’y rend à vélo, il en rapporte de très belles  photos de Tibétains, sans folklore ; l’autre va régulièrement camper deux ou trois jours sur la Grande Muraille. 


J’ai lu également qu’un café tenu par un photographe expose régulièrement des photographes locaux.

Première sortie après notre installation à l’hôtel. Nous flânons dans les rues de ce qui va devenir « notre » quartier (j’y retournerai encore deux fois, toujours dans ce même hôtel, ce même quartier). Surprise : le Pass By Bar est là, au coin de notre rue. Un des premiers bistrots de Beijing. Jolie cour carrée comme dans toutes ces maisons anciennes, accueillante, colorée. À l’intérieur, trois salles. Les photos du patron sont là, mais aussi des affiches « maison », sorte de détournement des affiches de propagande officielles. Le slogan le plus fréquent est « Better travel than dead ». On peut devenir « membre » du bistrot, il suffit pour cela d’apporter trois livres de bonne littérature en langue anglaise, et c’est fait. Nous découvrons ce qui va devenir pour nous une sorte de quartier général. Pour fêter cette découverte, qui ressemble à une trouvaille, nous commandons un… « Cuba libre ». Certes, c’est un peu facile, mais ce genre de lieu était tellement inattendu !


Je découvrirai que l’autre bistrot, celui tenu par le photographe, est juste à côté, dans une rue perpendiculaire. De magnifiques photos ornent les murs, des photos prises par le patron, tout jeune. Certaines sont politiquement peu correctes, et je suis étonnée qu’elles aient droit de cité. Je m’installerai là souvent, lorsque je serai seule, lisant écrivant, observant la vie dans la rue.

Mais où sont les lucioles ? Tout simplement dans l’existence même de ces deux bistrots. Non seulement ils sont atypiques, mais  ils témoignent d’un esprit de liberté qui fait du bien dans cette ville où la parole est encore du côté de la langue de bois et du discours officiel de la propagande.

J’y retournerai en 2004 et en 2008. Nous découvrirons que ce quartier regorge de ces nouveaux bistrots. Ils ont encore ce côté sympathique du bricolage. Le mobilier est un mobilier de récupération. Des canapés déjà bien usagés et des fauteuils, disposés comme dans les maisons de thé, en plusieurs petits salons. On peut s’installer, commander une seule boisson, et rester là pendant des heures. On y verra de nombreux étudiants qui viennent y travailler avec leurs ordinateurs, et y profiter de la wifi. Les patrons, souvent une famille, viendront nous offrir du thé, avec beaucoup de gentillesse.

Mais on sentira aussi le vent du tourisme et du monde marchand envahir le quartier. Un magasin vend des vêtements, très beaux au demeurant, fabriqués à partir de vêtements tibétains, découpés, retravaillés. Je sentirai la colère monter en moi. Les commerces pour touristes commencent à fleurir, et les petits métiers ont disparu. La vie du quartier est encore là, mais pour combien de temps encore ?

Je rêve d’y retourner encore une fois, dire au revoir aux Hutongs que j’ai connues, à la simplicité. J’ai peur d’être déçue, de ne pas retrouver mes petits bistrots. J’ai lu que les patrons du Pass by Bar se demandaient s’ils n’allaient pas quitter le quartier, dont ils déplorent l’évolution vers un quartier à touristes et à commerces pour gens aisés.



Better travel than dead?



[1] Voir ci-dessous : Pékin, passage à l’an 2000.
[2Pass by bar