Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

09 septembre 2017

L'orient est rouge?

Françoise Tomeno
9 septembre 2017

Ils arrivent.
Les Chinois arrivent...

"C'est bien aussi, les Chinois", avais-je dit à la dame rencontrée fortuitement sur le trottoir du bistrot, fermé. Elle faisait part de la rumeur. Oui, ça va rouvrir. Il paraît que c'est des chinois, chuchotait-elle, craintive et curieuse à la fois.

Ils sont donc arrivés, dans ce quartier plutôt brun, marron, chocolat, blanc aussi, rose rosé parfois. 
Arrivée du jaune.

Cocasserie des premiers jours.

"Comment on dit "Kafè" en chinois? " demande 
au nouveau jeune patron (qui contre toute attente se fait appeler "Alex"), l'homme blanc, qui a déjà opté pour une prononciation.
Sourires et rires un peu gênés des uns, des autres. 


"Et comment on dit "bonjour" en chinois?" demande un des voisins de l'homme blanc, blanc lui aussi.
"Ni hao" répond un autre.
Ça alors, il connaît le chinois? Il explique, le travail, il y a longtemps.


Arrivée du jeune homme brun, capuche de rigueur. Un habitué. Du temps des anciens patrons.
Et voilà qu'il se balance légèrement d'un pied sur l'autre en avançant. Une démarche bizarre, hésitante en quelque sorte. 

Ça chamboule tout, cette arrivée des Chinois. On ne sait plus comment marcher, comment arriver, comment aborder, comment parler. 

Un homme blanc, habitué d'antan lui aussi, arrive à fière allure. Il a dû déjà faire son entrée sur cette nouvelle scène. Confirmation, il salue le patron "Bonjour Alex, ça va?". Ça alors, déjà familier. Faut ce qui faut, pour l'adoption, on ne lésine pas.
Sur le comptoir trône un de ces chats asiatiques porte bonheur. Vous savez, ces chats dorés qui lèvent la patte gauche. On les voit au moment du Nouvel An asiatique. Là c'est plutôt notre Nouvel An à nous, cadeau des patrons...
L'homme blanc s'est approché du comptoir et fait bouger la patte du chat. Familier, décidément....

Quant à moi, voulant faire mon intéressante, je me situerai résolument du côté des embarrassés.
Je vois sur l'étagère derrière le comptoir, deux objets faits par pliage de tickets de jeu. La patronne d'un autre bistrot, cambodgienne, m'avait fait cadeau d'une corbeille faite selon cette technique extraordinaire, et m'avait expliqué que c'était sa belle soeur qui les faisait.
Je me dis alors que tout le monde se trompe  en pensant que les  nouveaux patrons sont des chinois. En fait, ils doivent être cambodgiens. 
Quand Alex m'apporte le crème que je viens de commander, je lui dis: "Ah c'est chouette ces objets. C'est cambodgien?"
Air interloqué d'Alex. " Euh... Ils étaient là avant, du temps des autres patrons...".
"Blurpss", fais-je dans mon For Intérieur (FI selon Fred Vargas), j'ai perdu une occasion de me taire...

Voilà ce que ça fait, quand  on rajoute une couleur dont on n'a pas l'habitude. On ne sait plus déambuler, on ne sait plus parler, on se met à voir des choses qui sont sous votre nez depuis toujours.

Bon, allez, avec tous ces ratés, ils sont adoptés, nos camarades chinois. Alex et sa jeune femme, le chien, leur tout jeune fils, et le père et la mère de l'un des deux.

Ni hao, bienvenue.