Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

06 novembre 2011

CHEZ MAURICETTE

Françoise Tomeno
6 novembre 2011

Nous sommes dimanche : Blanche me propose d’aller au marché de D., petite ville aux maisons aux paupières closes. Désertification de nos campagnes. Et malgré tout, le jour du marché, il y a toujours  du monde, me dit Blanche. Elle m’explique qu’il y avait autrefois une entreprise d’amiante, qui a fermé. Des liens s’étaient  tissés entre les anciens de l’entreprise, et ce sont eux, entre autres, qui viennent se retrouver « sur le marché ».

Nous sommes venues tôt, le « monde » n’est pas encore arrivé. Quelques pièces à l’accordéoniste : Blanche, musicienne, me fait remarquer que, quand même, côté harmonies, il ne s’est beaucoup pas foulé, l’accordéoniste. Moi, quand j’entends l’accordéon, je m'envole et j’ai tendance à oublier tout ce que j’ai appris en musique, c’en est désolant… 

Ça papote entre les travées des commerçants. Au détour d’une allée, j’entends un petit bout de conversation entre deux dames : « Et elle est enterrée ou ? ». Je réalise que nous sommes le dimanche du WE de la Toussaint. Il y a en effet moins de commerçants que d’habitude : « ils sont allés fleurir « leurs » tombes », me dit Blanche.

Une fois faites nos emplettes, nous cherchons un coin de terrasse. Il fait très bon pour une fin octobre, le soleil pointe son nez. La place s’est maintenant remplie, et l’unique terrasse est archi pleine. Il y a bien chez Mauricette, mais Mauricette doit être pessimiste. Elle a déjà installé, sur sa terrasse, une sorte de véranda dont le toit est le store de la belle saison. Nous nous résignons à nous installer là. Les jointures de la véranda sont assez approximatives, et Blanche m’explique que quand il fait froid, ce sont les courants d’air qui accueillent les clients. 

Bien que pessimiste, Mauricette est charmante. Elle papote avec chacun, un petit mot par ci, un petit mot par là. Au bout d’un moment, nous entendons puis voyons le store se rétracter : Mauricette a décidé de le relever, pour laisser pénétrer le soleil. Et nous voilà enfermées dans  une sorte de bocal, style  aquarium. Ça nous fait rire.

Pendant que nous dégustons notre apéro, je ne peux pas m’empêcher de me livrer à mon activité favorite quand je suis au bistrot. Je suis impressionnée depuis un moment par un monsieur sur la place, au T-shirt d’un vert flamboyant, qui tient, de façon raide, un bouquet tout aussi raide, bien dressé dans son cellophane : une fleur de lys blanche, et un lys que je pense être un lys martagon, d’un beau violine ; celui-ci donne un peu de douceur au tableau, en étant légèrement penché. Lys martagon : je rêvasse. Quel drôle de nom. J’ai le sentiment de ne l’avoir jamais entendu prononcer que par ma mère. Au point d’aller vérifier chez Google. Martagon, comme ma maman s’appelle Marthe ; la Marthe à Gon. Qui est ce Gon ? Ça chantait peut-être comme ça dans mon enfance. J’imaginais peut-être un amoureux de l’enfance à ma mère, Gon.

Ce Monsieur, bien que raide, donne le contrepoint à ce dimanche de WE de Toussaint. Tous les autres sont là avec leurs chrysanthèmes, annoncent qu’ils quittent le bistrot pour aller au cimetière. Et notre homme, lui, arbore franchement ses fleurs de vie. Il ne bouge pas, dans l’attente : de sa femme ? De sa bonne amie ? Nous ne le saurons pas. Après avoir patienté un bon moment, il est rejoint par un couple, et s’en va, avec son bouquet.

Fleurs de vie, fleurs des morts. Je repense à cette scène qui m’avait tant impressionnée il y a quelques années. En visite dans la petite ville du Pas-de-Calais où était né  mon père, j’étais allée, avec une cousine, au cimetière, à la recherche de mes origines. Nous allions à pied, et nous étions régulièrement dépassées par des femmes à bicyclette, chargées de balais et de seaux. Elles allaient nettoyer les tombes, nous étions juste avant la Toussaint. Une fois arrivée au cimetière, j’ai été saisie par l’ambiance qui régnait là. Les femmes briquaient, comme on le fait dans le Nord. Et tout en briquant, elles s’invectivaient, se donnaient des nouvelles, des nouvelles des vivants, riant.

Les fleurs, elles, ne savent pas qu’elles peuvent être de vie ou de mort. Elles disent la vie, tout simplement. Et ce monsieur un peu vert,   disait aussi la vie, malgré sa raideur.