Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

08 janvier 2012

LE CAFÉ DE LA MUSIQUE

Françoise TOMENO
8 janvier 2012

Le TGV était à l’heure, cela mérite d’être remarqué. Je suis donc en avance, et j’ai un peu plus d’une demi-heure devant moi avant l’ouverture de la Cité de la Musique. Je m’installe au « Café de la Musique », le café le plus proche de la Cité. Il ne fait pas partie des bistrots pour lesquels j’ai des coups de cœur, mais les sièges sont confortables, et pour bouquiner, ça fera bien l’affaire.
J’ai glissé dans mon sac « Le poing dans la bouche », de Georges Arthur Goldschmidt, un livre que l’on m’a offert il y a déjà un bon moment, et que je n’avais pas encore pris la peine de lire.

Je rentre avec bonheur dans ce livre, qui est une merveille. Réflexion sur la langue, la langue maternelle allemande, sa contamination par la langue nazie, la langue française apprise dans l’institution où le jeune Georges Arthur a trouvé refuge, les retrouvailles avec sa propre langue par le détour de Franz Kafka. Franz Kafka, un des auteurs pour lesquels j’ai éprouvé une véritable passion toute jeune, à une époque où je ne lisais presque pas. J’achetais tout ce que je trouvais de lui, et de son ami Max Brod.

Bien que plongée dans ma lecture, j’entrevois une famille qui arrive, et je remarque qu’ils sont à la queue leu leu, espacés les uns des autres. Tout à la fin, arrive la maman, suivie d’un des fils, âgé d’environ douze ans. Je chope sans bien faire attention des bouts de leur échange. J’entends le jeune garçon, encore aux prises avec le rideau d’entrée du bistrot, épais et lourd, dire : « et il y a des bougies ! », et sa maman lui répondre « il faut demander avant ». Ça ne fait rien de très compréhensible, mais je suis tellement absorbée que je ne m’attarde pas sur leur affaire. Se passent quelques minutes, et j’entends une note de piano. Je me dis que c’est une illusion, que ce n’est pas le son d’un piano. Puis une deuxième note, toujours ce son de piano. Une troisième, et soudain un boogie-woogie entraînant et plein de gaieté. Je me retourne : le jeune garçon est assis devant le piano, que je n’avais pas remarqué en entrant, il a réussi à faire allumer les bougies, et il a osé demander cette fameuse autorisation.

La famille s’est assise pas loin, calme, sans se manifester plus que ça. Le jeune garçon joue sans ostentation, pour le plaisir.

À la fin du premier morceau, tout le café applaudit. Et voilà que nous tous qui étions quelques minutes auparavant séparés les uns des autres, chacun dans notre histoire, nous sommes réunis par ce petit bonhomme, qui a été au bout de son désir. Oui, j’emploie les grands mots, parce que je pense qu’il s’agit vraiment de ça. Il aperçoit un piano, des bougies sur le piano (nous sommes pendant la période des fêtes de fin d’année), et le voilà qui a tout de suite l’imagination de ce qui pourrait survenir, et dont il serait l’auteur. Un poète, je vous dis, un vrai poète, au sens étymologique du terme : « « fabricant, artisan ». Et voilà qu’en cette période des fêtes où l’on a la quasi-obligation de se montrer joyeux et festifs, au risque d’être dans le factice, voilà que ce petit bonhomme nous offre le plaisir simple du partage de son amusement à jouer. Il s’amuse, cet enfant, et nous voici tous charmés, embarqués dans l’amusement, redevenus enfants nous-mêmes. J’aurais presque envie de me mettre à danser.

Les boogies-woogies s’enchaînent alors, un vrai bonheur, et le charme dure, pour notre plus grande joie.

Et quand ce garçon s’arrête, c’est avec la même simplicité qu’il va rejoindre sa famille. La vie continue.

Quant à moi, je poursuivrai l’amusement avec un autre "poète", Paul Klee, et la très belle exposition « Paul Klee et la musique ».