Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

29 janvier 2012

LE FRANCOIS COPPÉE : HEIMLICH !

Françoise Tomeno
29 janvier 2012

Ce samedi 28 janvier, j’arrive en avance, comme chaque fois, pour la réunion du CA de l’ALFPHV[1], horaire de train oblige, et je vais directement au bistrot « Le François Coppée ». Je sais que Claude, un de nos présidents honoraires, sera déjà là. Claude arrive de Bruxelles. Très probablement, la serveuse, en me voyant arriver, me désignera la table où il est installé : à force, nous finissons par être connus, et reconnus ! Saluts chaleureux des patrons, des serveurs, des serveuses, un petit mot gentil à l’un ou à l’autre : l’accueil, quoi !

Nous sommes toujours à peu près la même bande, et nous nous retrouvons plusieurs fois par année  pour des CA, des groupes de travail. Nous venons de tous les coins de France, Marseille, Toulouse, Reims, Saint Brieuc, Nancy, Tours, etc. , et de Belgique.

Les retrouvailles sont joyeuses, on prend des nouvelles des uns des autres, de celles ou de ceux qui n’ont pu venir.

Aujourd’hui, il était prévu que nous soyons « hébergés », comme cela se fait depuis quelque temps, par le GIAA, le Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes. Marie, notre hôtesse, nous rejoint au bistro. Mais nous sommes plus nombreux que les dernières fois, et le local que Marie nous réserve d’habitude, suffisant pour les groupes de travail, sera trop petit pour le CA. Par chance, la grande salle de réunion est libre ce matin, mais elle sera prise l’après-midi.

Qu'à cela ne tienne, la serveuse du François Coppée nous propose de nous réserver des tables au fond du bistrot, où elle nous installera pour déjeuner, et après, nous aurons la possibilité de disposer les tables à notre convenance pour poursuivre notre travail.

http://www.francois-coppee.com/zoom.html

Lorsque nous arrivons pour déjeuner, je fais remarquer à notre trésorier, Benoît, qu’on est comme à la maison, au François Coppée. Chacun nous connaît, et nous sommes bichonnés. On se sent « heimlich », comme on dirait en allemand.

J’aime ce mot de  « heimlich », « comme à la maison ». Je l’ai bien sûr appris pendant mes années lycée, mais il a vraiment pris du corps pour moi pendant un stage de chant. Je travaillais des mélodies de Brahms, et notre professeur Elizabeth, me dit : « toi, tu es heimlich avec Brahms ». découverte de quelque chose que je n’avais pas perçu moi-même. Mais oui, j’aime chanter Brahms, avec cette très belle écriture où le piano n’accompagne pas le chant, mais où piano et voix se rencontrent, s’enchevêtrent, se cherchent, se trouvent, se répondent. Et puis la berceuse que me chantait ma maman, c’est précisément celle de Brahms[2]. « Heimlich » donc au François Coppée.

Nous sortirons cependant fatigués de notre après-midi de travail : tellement « heimlich », le François Coppée, qu’une autre réunion  se déroulera juste un peu plus loin : le volume sonore s’en ressentira.

Lorsque je reprends mon train, je n’ai pas le courage de travailler comme je l’avais prévu. Je ferme les yeux, et les pensées viennent toutes seules. Autour du heimlich, et de l’unheimlich, le monde si peu accueillant. Je pense à mes quatre camarades poursuivis par Brice Hortefeux, dont le procès en appel se déroulera ce lundi à Orléans[3]. J’y serai, et devrai y porter témoignage : « unheimlich ». Ces amis passent en ce moment leurs jours et leurs nuits à défendre et aider les Sans papiers. Sans Papiers, sans foyer, « unheimlich ».

Mon esprit vagabonde comme souvent : comment préserver, dans un monde « unheimlich », du « heimlich », envers et contre tout.

Peut-être, en plus des solidarités organisées, en cultivant ces petites parcelles de vie, discrètes et singulières, qui mettent de la douceur là où c’est rude. Peut-être en accueillant la vie là où elle se présente, sous sa forme la plus simple, la plus ténue parfois, en prenant le soin, le temps, de cultiver les petites pousses qui surgissent malgré le mauvais temps.

Heimlich, pour que la vie soit vivante.



[1] Association de Langue Française des Psychologues spécialisés auprès des Personnes Déficientes Visuelles