Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

25 juillet 2011

CAFÉ COMPTOIR 1

Françoise Tomeno
25 juillet 2011


J’aime aller au Café Comptoir, chez "Les Filles". Anciennement chez Colette. 

C’est peut-être dans ce bistrot-là que je me sens la plus proche de l’estaminet que tenait ma grand-mère, quelque part dans une petite ville minière du Pas-de-Calais. Un café du peuple sans doute. Je n'ai pas connu ma grand-mère, je n'ai pas connu son estaminet. Elle devait y servir des pintes de bière.

"Les filles", elles ont un jour affiché sur la porte d'entrée: "Ici, on ne sert pas jusqu'à plus soif, signé Les Filles".

Elles sont royales : elles ont réussi à garder le bistrot du quartier, celui de Colette, tout en l’ouvrant à d’autres possibles, avec les expos, les soirées de Sans Canal Fixe(1), les concerts, les spectacles, etc... Et là, non seulement tout le monde cohabite, mais ce sont les personnes du quartier, les plus anciens clients, les "légitimes", qui accueillent. C’était chez eux, c’est toujours chez eux. Il y a ce grand monsieur qui me salue toujours, me demande si ça va, me souhaite bon appétit. Et cette dame qui doit avoir à peu près mon âge, qui est un jour venue, comme ça, me serrer la main : "Bonjour. Vous allez bien ?". Depuis, je ne manque pas d’aller la saluer. Et cet autre monsieur qui, le jour où je suis entrée avec à la main le n° Hors Série de l’Humanité sur la Commune, m’a dit : "Vous aussi ? J’achète l’Huma régulièrement".

Ce dimanche 16 janvier, je suis là, après ma petite ballade au bord de Loire. Je casse la croûte.

Au-dessus de nos têtes, l’hélicoptère qui n’arrête pas de tourner depuis la veille. La veille, c’était la manifestation "Ensemble contre l’extrême droite", manifestation pacifiste, organisée par un Collectif, au moment de la tenue à Tours du Congrès du Front National.
Un bruit incessant, insistant, envahissant, obsédant. Comme si une bande de terroristes était en embuscade. La veille déjà, ce bruit était insupportable.

Au comptoir, les conversations vont bon train, précisément sur cet hélicoptère et le congrès du FN. Quelqu’un lance : "On se croirait en guerre". Les avis sont unanimes, ce déploiement de forces de l’ordre et le tournoiement de cet hélicoptère sont disproportionnés. Visiblement, ceux qui discutent au comptoir ne sont pas des manifestants de la veille.
J’écoute, heureuse que cet avis des militants de la veille soit partagé ici, par des non- militants.

Un homme, à qui j’avais donné spontanément une quarantaine d’années, partage la conversation au comptoir. Alors il raconte : "En 1968, j’étais jeune appelé. Nous devions nous rendre en Afrique. Mais c’était mai 1968, on nous a envoyés à Paris. On était là, avec, dans les camions, les armes prêtes à servir. Et bien nous, les appelés, on s’était mis d’accord. Si on nous demandait de tirer, on ne tirerait pas !".

Je fonds, j’ai envie d’aller embrasser cet homme. Je pense à toutes ces résistances méconnues, anonymes.

Et je me dis :
-       cet homme n’a pas quarante ans, à peine moins âgé que moi.
-       ne pas tirer sur ses frères, ça conserve.



(1)   Sans Canal Fixe, abrégé par sigle SCF, est un collectif français de documentaristes basé à Tours. 
http://www.sanscanalfixe.org/dotclear2/