Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

25 juillet 2011

CAFÉ COMPTOIR 2 : MADEMOISELLE HAUTE-COMME-TROIS POMMES.

Françoise Tomeno
25 juillet 2011

Un dimanche de juillet. J’ai fait ma petite ballade, je termine mon déjeuner au Café Comptoir.

 Aujourd’hui, jour avec enfants.

Il y a de la place pour les enfants, ici : les sets de table sont en papier kraft, et, prévu ou non à l’origine, ils servent de papier à dessin. Et les crayons, y a qu’à aller les chercher dans le Frigo du Livr’échange. Oui, il s’appelle comme ça. Une ancienne vitrine réfrigérante de bistrot, où on trouvait les bouteilles, les canettes. Il y a la même à l’autre bout de la salle, mais cette fois-ci pour son usage officiel.
Dans le frigo du Livr’échange, on trouve des livres, bien entendu, pour les grands, pour les petits ; on peut en prendre, en déposer ; il y a aussi des jeux, des jeux de société, des revues. Et il y a les crayons.

Aujourd’hui, les enfants sont de sortie, c’est vacances. Il y a les enfants des « Filles »*, il y a les enfants qui viennent avec leur éducateur préféré, ils viennent juste d’arriver.

Je m’apprête à ranger dans mon sac toutes mes petites affaires, bouquin, programme de ciné.

C’est alors que je la remarque, Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes. Elle est arrivée avec son papa, un habitué, la trentaine, toujours très souriant, attentif.

Elle, Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes, je n’ai pas encore eu l’honneur. Elle est là, à deux pas, près d’une table, serrant tout prés de son cœur une belle tige de passiflore, qui a déjà trouvé accueil dans une petite carafe : quelqu’un veillait aux enfants, ici, on veille toujours aux enfants.

Un Monsieur s’est approché et veut absolument lui faire dire « passiflore », et lui pose trois fois la question : « Comment elle s’appelle, cette fleur ? ». Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes, de guerre lasse, finit par lui dire  « passiflore », mais vraiment, ça n’est pas ça qui la préoccupe. Elle dit qu’elle voudrait dessiner, et l’éducateur qui veille aux siens, d’enfants, et aux pas-siens, apporte dans les trois secondes le fameux papier kraft.

Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes pose alors la carafe et la belle tige de passiflore sur la table, sur le set en papier. Elle essaye obstinément de faire tenir tout droit la belle tige fleurie, mais vous savez bien ce que c’est, ça ne tient pas comme ça, les tiges de passiflore ; il faut les palisser si on veut qu’elles aient le nez en l’air.
Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes s’obstine, déterminée.
Bon, décidément, ça ne marche pas.

Arrivent alors les crayons, toujours par la grâce de l’éducateur qui s’occupe de ses enfants et des pas-siens. Elle les serre contre son cœur, les crayons, comme elle serrait tout à l’heure la tige avec ses belles fleurs de la passion toutes blanches. Elle est grave, en cet instant, Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes. Comment faire avec une fleur qui ne veut pas être comme on voudrait qu’elle soit ?

«  Je vais essayer de dessiner ma fleur » dit-elle.

Puis : « Je sais pas dessiner les fleurs ….. ».

Silence.

« Je vais essayer de dessiner MA fleur ». Le ton, cette fois, est tout à la fois déterminé, interrogatif, dubitatif, cherchant l’approbation, et au final, déterminé encore une fois.

C’est le moment où je quitte le bistrot. Je n’ai pas vu la fleur dessinée. Peut-être que là, sur le papier kraft, elle se  tenait bien droite, fière d’avoir été adoptée par Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes. Ou bien elle se laissait dégringoler négligemment sur le sol, sur la table. C’est beau aussi, les passiflores, quand ça s’étale ; il faut juste faire attention où on met les pieds, pour ne pas les écraser.

Je voudrais vous dire quelque chose, Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes : puissiez-vous garder longtemps, longtemps, allez, tiens, toute votre vie, cette belle détermination qui était la vôtre ce jour-là.

Et puis, si vous me le permettez, chère Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes, je voudrais ajouter quelque chose : parmi les fleurs que portait la tige, objet de toute votre attention, voire de toute votre gravité, il y en avait une qui était particulièrement épanouie. Dans votre détermination et votre obstination, vous étiez toute belle, comme elle.

Bon dimanche, Mademoiselle Haute-comme-trois-pommes, et bonnes vacances.



* Voir Café Comptoir 1