Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

05 août 2011

BERLINER CAFE

Françoise Tomeno
5 août 2011

Berlin, Rosenthalerstrasse 41. Nous sommes à la terrasse d’un café, dans la première cour des « Hakesche Höfe[1] », un ensemble de huit cours qui communiquent toutes entre elles. La première, où nous sommes, est de style « Jugendstil ». Comme toujours avec l’Art Nouveau, je me sens « heimlich », comme à la maison. Et puis le café est confortable, l’intérieur fait penser à la Belle Époque, il n’y manque qu’un piano.

Mais voilà : nous sommes aussi dans l’ancien quartier juif de Berlin, et dans Berlin-Est, ancienne RDA. Et moi, il ne faut pas grand-chose pour que ça me taraude, la période nazie, et le communisme. Tout ça pour cause d’antécédents familiaux.

Et je me demande si cet espace bobo confortable est ce qu’on fait de mieux pour faire vivre la vie après ces deux blessures qui ont touché l’Allemagne, et particulièrement ce quartier, cette cour. Quartier pauvre, meurtri pendant la période nazie, et laissé quasi à l’abandon par la RDA.

Certes, on n’allait pas faire du quartier un Musée. Mais j’ai le sentiment qu’on a vite fait, ici comme ailleurs, dans notre monde où l’on vend et où l’on achète du spectaculaire marchandisé, d’en recouvrir les espaces qui ont fait mal à la vie collective. On peut lire dans un document ventant l’intérêt de ce quartier[2]: « Dans ce plus grand ensemble architectural de cour fermée d’Allemagne, on ne s’ennuie pas - restaurants, cinémas, théâtre, cabarets et spectacles de variétés contribuent à faire des Hackesche Höfe un centre de loisirs et de services très fréquenté. En outre, ce site abrite de nombreuses habitations.

Les habitations près du Hackesche Markt, dans la Oranienburger Straße, au Oranienburger Tor ou au Koppenplatz sont très recherchées et font partie du Berlin branché ».

De retour, taraudée par ces questions, et dans l’empêchement d’en écrire quoi que ce soit qui ne soit ni lourd ni larmoyant, je tomberai sur une info qui m'avait échappé pendant ce très court séjour à Berlin : le « Tacheles », juste un peu plus haut dans le quartier, Orianenburgstrasse[3]. Ce bâtiment, construit en 1909, a abrité pendant la deuxième guerre mondiale les bureaux du Front du Travail, « Arbeitsfront », association allemande de travailleurs et d’employeurs soumise au parti nazi et créée après la dissolution des syndicats. C’est ici que la RDA a logé une école d’art, et l’unique cinéma d’art et d’essai de Berlin-Est. Et c’est  là qu’en 1990 des squatters ont envahi l’immeuble promis à la démolition par la municipalité. Une quarantaine de peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, musiciens, et écrivains, de l’Est, de l’Ouest, mais aussi du Monde entier, s’y sont regroupés. Ce lieu n’est pas subventionné par l’État. Il est aujourd’hui menacé de fermeture[4].

En yiddish, Tacheles veut dire « parler franchement ». Chaque fois que les habitants du Tacheles sont menacés d’être expulsés, ils affichent le slogan : « Les idéaux sont en ruine, sauvez cette ruine ». 

Je retournerai à Berlin. J’espère que le Tacheles sera toujours là, et que je pourrai aller prendre un café au café Zapata[5].