Estaminet Tomeno Mercier

Estaminet Tomeno Mercier

19 juin 2013

Appelez-moi Françoise

Françoise Tomeno
19 juin 2013

À force, on finit par connaître les prénoms des uns et ceux des autres. Pour autant, on n'ose pas forcément les appeler, les uns et les autres, par leurs prénoms; cela voudrait dire que l'on se considère comme l'un de leurs familiers. 

À partir de quand passe-t-on, dans un bistrot, du statut d'habitué à celui de familier? À partir de quand fait-on partie de cette petite famille du quartier?

J'avais entendu son prénom comme celui de quelques autres. Un peu en retrait, elle m'adressait un bonjour intimidé et discret. Elle conversait avec ces quelques autres de façon familière. 
Son prénom était celui que mes parents avaient eu l'intention de me donner à ma naissance. L'histoire familiale en avait décidé autrement. Cette proximité du prénom me la rendait familière. 

Laquelle des deux a franchi le pas la première? Je crois que c'est elle, qui avait entendu que je donnais du Gaston à l'un, du Raymonde à l'autre. Un jour, toujours un peu lointaine et timide, je l'entends me dire "Bonjour Françoise".

Émotion, coeur d'artichaut, il faut vous y faire, je suis comme ça.

Par la suite, j'irai vers elle et l'appellerai par ce prénom qui aurait pu être le mien.

Depuis, il y a eu suffisamment de proximité pour que j'aie pu lui demander des nouvelles de Raymonde qui avait été hospitalisé pour une opération.

La discrétion reste de mise.

Ca va être sa fête

Françoise Tomeno
19 juin 2013

"Je peux prendre ça?" dit-elle.
"Ca", c'est une sorte de grand tableau double où l'on inscrit habituellement, dans ce bistrot, ce qui est destiné aux enfants le mercredi, jour qui leur est réservé, jour sans alcool.

Nous ne sommes pas mercredi. Que se passe-t-il? Une voix, du comptoir, répond que oui, elle peut prendre ça.

Elle prend ça, l'installe sur le trottoir à l'entrée de la terrasse. Je bois mon café à l'intérieur.

Lorsque je sors, je lis ce qui a été écrit par elle sur ça: "Bonne fête André".

Eh! C'est la Saint André. C'est André qui va être content de cette belle attention.

La vie vous a de ces façons.

18 juin 2013

À Bordeaux


Au cent quatre, Paris.


Tout simplement, pour rien, pour le plaisir

Aller au bistrot tout simplement, pour rien, pour le plaisir.

J'avais fini par me faire une quasi obligation de vous offrir une à deux chroniques par semaine. Une véritable petite entreprise de production de chroniques. Quel en était l'employeur imaginaire? Vous, dont j'étais en quelque sorte "l'obligée", comme on disait autrefois? Moi-même, menant ma petite auto-entreprise, façon libéralisme, où l'on doit faire fructifier son "capital humain", fût-il celui de l'écriture?

Retrouver le plaisir du "pour rien", simplement aller boire un café, se reposer, travailler. Ne plus être à l'affût, ne plus guetter les petites choses de la vie qui alimentaient ces chroniques. Pour autant, les laisser venir. Ne pas forcément les noter. Laisser faire la vie.

C'est ainsi qu'à la faveur de ce changement, j'ai pu me trouver à la rencontre de l'un, de l'une, ou de l'autre, un peu plus près. Je n'étais plus déjà-le-stylo-à-la-main-dans-ma-tête, pensant plus à ce que j'allais pouvoir écrire qu'à ce qui se jouait de l'un à l'autre, mais j'étais là, simplement. Alors les conversations se sont faites plus chaleureuses, plus proches, en restant dans la décence des connaissances de bistrot. Nous faisions connaissance. Cette connaissance a son coût: je ne peux plus publier une écriture concernant l'un ou l'autre de celles et de ceux qui me sont devenus plus proches. Respect pour leurs intimités. Et c'est bien comme ça, la vie n'est pas dans l'écriture, mais sur sa scène à elle.

Au passage, au cours de ce passage, des petites scènes se sont révélées cependant. Elles sont en réserve, prêtes à être écrites.

Chers habitués, vous ne vous apercevrez peut-être pas du changement. Pour moi, il a déjà eu lieu.
Je vous salue,
Françoise Tomeno
18 juin 2013


01 avril 2013

Pause

Françoise Tomeno
le premier avril 2013

Bonjour à vous,

je vais faire une petite pause. Si si.
Combien de temps? Je n'en sais rien. Une pause à un temps, une pause à deux temps, une pause à trois temps, une petite valse, peut-être? Allez savoir. Il existe des mesures à sept temps, onze temps. Alors, je ne vais pas me gêner.

Quelqu'un au fond de la salle: 
-"C'est un poisson d'avril!"

Mais non!
Allez, vous verrez bien....
Et puis ça vous permettra d'aller vous promener ailleurs, il faut faire attention à ne pas se laisser enfermer dans les habitudes.

Chers habitués, je vous salue.



Comment ça va, sur la terre?

Françoise Tomeno
31 mars 2013

Conversation

(sur le pas de la porte, avec bonhomie)

Comment ça va sur la terre?
- Ca va, ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils propères?
Mon Dieu oui, merci bien.

Et les nuages?
- Ca flotte.

Et les volcans?
- Ca mijote.

Et les fleuves?
- Ca s'écoule.

Et le temps?
- Ca se déroule.

Et votre âme?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu, Monsieur Monsieur (1951)


- "Comment ça va, Joséphine?"

Voici comment on l'accueille, depuis quelques jours, Joséphine. Comment la plupart des habitués l'accueillent, depuis son retour. 

On ne lui dit pas: "Bonjour Joséphine, ça va?". Vous savez, ce "ça va?" qui n'attend souvent pas de réponse, surtout pas de "Ben non, ça va pas". On dit ça comme ça, pour faire joli dans la conversation. 

Non, on lui dit, à Joséphine: "Bonjour Joséphine, comment ça va?". 
Et ça change tout. Parce qu'on voit bien, depuis qu'elle est revenue, que ça va mieux. Alors tout le monde est content de pouvoir à nouveau l'accueillir, Joséphine, et de l'entendre dire en souriant "Ca va".

Le printemps de l'hiver a été trop vert, son âme, à Joséphine, elle a mangé trop de salade. Alors ça lui a fait des salades dans la tête, à Joséphine. Ca lui arrive de temps en temps,  à ce qu'on m'a dit. De temps en temps, régulièrement, son âme mange trop de salade. Alors elle se met à en faire, des salades, dans le bistrot. 
D'abord, elle donne tout ce qu'elle peut, à tout le monde, même de l'argent qu'elle donne Joséphine. C'est le signal, le signal que ça commence à ne pas aller, ces histoires de salades. Et puis elle en fait bien d'autres, des salades. Elles sortent de sa bouche tout comme elles y sont rentrées. Alors elle parle, elle parle, à tout le monde, fort, elle envahit tout l'espace avec ses salades sonores, même que ça en devient gênant, à force. 
Il y en a une que ça gêne, c'est Lulu. Elle n'aime pas quand Joséphine fait des salades. Ca doit lui faire peur, à Lulu, les salades à Joséphine. Du coup, ça la rend mal aimable, Lulu.

Au milieu de ses salades, à Joséphine, il se cache des trésors. "Des trésors dans des salades?" dit quelqu'un. "Quelle drôle d'idée!".
Mais ce n'est pas une idée, c'est une vérité. Une vérité vraie. Ca n'est pas si souvent qu'on en tient une, de vérité vraie. Pour une fois! La plupart du temps, ce qu'on arrive à attraper au vol, ce sont des vérités fausses.
Un jour où Joséphine commençait à laisser s'échapper de sa bouche les premières salades sonores, elle m'a parlé de ce qui lui arrivait quand les salades montaient, montaient. Elle m'en a parlé dans des termes que même les docteurs ils ne sauraient pas dire. Mieux qu'eux. Avec ses paroles de salades de vérité. J'étais très émue. Je me disais "Il faudra que je me souvienne de ce qu'elle m'a dit là. C'est fulgurant de vérité". Et puis, sans doute par respect pour elle, j'ai oublié l'exactitude de ses paroles. Je me souviens de leur vérité, de leur vérité criante.

Quand les salades montent dans la tête à Joséphine, tout le monde est très embêté. Pas que pour l'ambiance du bistrot, mais aussi pour Joséphine. Parce que dans ce bistrot là, Monsieur (ou Madame, d'ailleurs), on y fait attention, aux personnes humaines qui vont et qui viennent. On en prend soin, même. Si, je vous le jure, ça ne paraît même pas croyable, je sais. Mais c'est comme ça.

Alors comme ça, un jour où elle n'est pas là, Joséphine, on en cause. On se demande comment faire, pour Joséphine. On sait que, des fois, elle va dans un lieu de repos pour les salades qui vous envahissent la tête. Oui, mais on ne peut quand même pas l'y emmener avec toutes ses salades. 

Et puis un jour, il y a dans son paysage une amie qui fait signe, et qui l'aide à aller faire reposer ses salades dans le lieu fait pour ça, fait pour les salades que l'on peut parfois avoir dans la tête. C'est des fois comme ça la vie, il y a des amis qui vous filent un coup de main.  Un coup de main pour les salades.

Le temps passe. 

Et puis un jour, elle arrive. 
Joséphine, le retour. 
Elle a la voix devenue douce, discrète. Elle salue avec plaisir. Ma foi, nous aussi, ça nous fait drôlement plaisir de la revoir là, moins encombrée de ses salades. 

La vie reprend son cours. Elle retrouve sa place naturellement, Joséphine, simplement. Personne n'en fait un fromage, des salades à Joséphine. Et elle, elle sait que c'est possible de revenir, naturellement. Parce que les salades à Joséphine, c'est du naturel; du naturel humain. Ici, dans ce bistrot, on sait ça. Les personnes derrière le comptoir le savent avec talent, avec humanité.

Vous savez quoi? J'aimerais des fois croire en Dieu. J'irais me caler quelques minutes dans une église (plutôt une belle, une église romane, tant qu'à faire...), et je le prierais le Dieu de garder sur cette terre ce lieu où "ça" peut arriver. De permettre que d'autres lieux comme ça existent et durent.

Pas de chance, je n'y crois pas, au Dieu. 
Ca ne va pas m'empêcher de causer pour autant. Et de dire tout le bien que je peux de ce lieu, où quelque chose peut avoir ainsi lieu, trouver place, l'humanité qui laisse monter ses salades. Ca arrive à tous les jardiniers et toutes les jardinières.

25 mars 2013

Les bouclettes autour de la tasse de chocolat

Françoise Tomeno
25 mars 2013

Elle a tout au plus quatre ans. Elle tient à deux mains sa tasse de chocolat, elle la tient fermement, avec un très grand sérieux. C'est que, lorsqu'on va au bistrot, on est une grande, voyez-vous. 
Elle est toute concentrée autour de cette tasse, elle en a même oublié son ninnin qui est posé à côté d'elle. Elle a les cheveux tout bouclés, et ceux qui le peuvent sont rassemblés en un petit, tout petit chignon, très ramassé. Certaines bouclettes s'en sont échappées, telle l'enfance qui rôde sans vergogne, malgré le sérieux du chignon, malgré le sérieux de quand on est grand. 

Son papa est assis en face d'elle, il boit une bière, tout en préparant son tiercé. Il couve du regard sa très jolie petite fille. 
Elle attire les regards: le mien, celui de quelques autres clients. Ca n'est pas très souvent qu'on voit une si petite au bistrot.

Elle m'a vue entrer, et se tourne deux trois fois dans ma direction. Elle ne semble pas pour autant attendre une attention particulière de ma part. Non, elle regarde. Peut-être regarde-t-elle mes fanfreluches toutes pleines de couleurs? L'écharpe, le chapeau? De l'enfance qui rôde là aussi?

Je vous le dis, il y en a toujours, de l'enfance, qui rôde, quand on essaie d'être grand.

Et c'est bien comme ça...

La Pavane à Michel Foucault

Françoise Tomeno
25 mars 2013

Je suis plongée, enfin je devrais être plongée, dans la lecture d'un chapitre du livre de Michel Foucault: "Il faut défendre la société". Contrairement à ses autres séminaires, celui-ci n'en a pas la rigueur, l'énoncé pointu, le regard acéré. Il se lance cette fois-ci dans une nouvelle réflexion, et c'est un chantier encore laborieux, un peu ennuyeux.

Entre un client que j'ai déjà vu plusieurs fois, un habitué. Il salue les uns, les autres, s'installe non  loin de moi. Il est rejoint un peu plus tard par un autre client que je n'avais jamais vu, mais visiblement habitué lui aussi. Leur rencontre semble le fruit d'un certain hasard, ils n'avaient pas rendez-vous.

Je continue ma lecture foucaldienne pour notre groupe de travail qui a lieu dans quelques jours, mais mon attention flotte un peu plus que d'habitude. À un moment, j'entends qu'ils parlent de danse. Je comprends qu'ils font l'un et l'autre partie d'un groupe de danses Renaissance. Ce sont des familiers, si ce n'est des amis. J'ai du mal à les imaginer dansant l'allemande, la courante, la gaillarde, en costume. Ils parlent de leur dernière séance consacrée semble-t-il à la Pavane. "La Pavane, c'est pas long, mais c'est chiant!...." dit l'un d'eux.

Et je me prends à penser que ce chapitre du livre de Michel Foucault, il est comme la Pavane: il n'est pas long, mais qu'est-ce qu'il est chiant!

Au demeurant, je tiens dans la plus haute estime Michel Foucault!

12 mars 2013

Le monde à l'envers

Françoise Tomeno 
12 mars 2013

Ce matin-là j'ai à faire, entre autres aller chez le coiffeur. Je ne me charge pas, d'autant que j'ai encore un tout petit sac, celui que j'utilise quand je voyage; je n'ai pas encore repris le grand, ça me fait une sorte de prolongation de vacances...

Du coup, je ne prends qu'un journal, le Monde Diplomatique, que je n'ai pas pris le temps de lire dans le train à l'aller et au retour d'Aix en Provence, lui préférant une lecture plus festive et plus distrayante.

Lorsque je repars du bistrot, j'emporte mon journal, et je le dépose dans le placard qui tient lieu de vestiaire chez le coiffeur.
Au moment de repartir, je vais pour reprendre mon journal, et je lui trouve une drôle de tête, au Monde Diplomatique. Il a des photos couleurs d'un format inhabituel, des titres à l'avenant, couleurs et formats, caractères différents. 

J'éclate de rire. J'avais profité de mon passage au bistrot pour lire le journal local, La Nouvelle République, autrement appelée par chez nous la Nounou. Et quel journal m'était tombé dans les mains en quittant le bistrot? La Nounou. Ce qui m'amuse, c'est de penser que le Monde Diplomatique s'est, lui, retrouvé à la place de la nounou. Qu'est-il devenu? Aura-t-il été lu? 

Je file au bistrot. Grand sourire de la patronne "Ah, c'est vous?" dit-elle de sa voix chantante, avec un grand sourire. "Il ne fallait pas repasser...".

Je pose la Nounou sur le comptoir, et nous voilà, la patronne et moi-même, à la recherche du Monde Diplo. "Il était là tout à l'heure", dit un client. Oui, mais il n'y est plus.

Finalement nous le retrouvons. Il a circulé, il a une jolie petite tâche de café sur la première page. 

En repartant, je rêvasse. Et si je le faisais exprès? Je ferais tous les bistrots de la ville, je remplacerais discrètement la Nounou par le Diplo. Action militante! 
Oui, mais il me faudrait prendre plusieurs abonnements. Ca serait bien pour le Diplo... peut-être pas pour mon porte monnaie.

Je pourrais faire un deal avec le Diplo, si ça rapportait des lecteurs...

Là s'arrête ma rêverie. Qui va lire ce journal, certes très intéressant, mais quelque peu difficile?

Le monde risque de préférer sa nounou!

Ainsi va le Monde.

Allez y vite...

Françoise Tomeno
12 mars 2013

Allez-y vite, au café d'Everything. Profitez-en pour visiter l'expo, dernière prolongation jusqu'au 31 mars.

"Dans de minuscules crevasses et sous des lits poussiéreux, il se cache une créativité secrète des inconnus de la société".

Ce musée est un musée éphémère installé dans une ancienne école, qui présente une collection "nomade" d'oeuvres d'artistes, connus pour quelques uns, inconnus, méconnus pour d'autres, qui n'ont même jamais eu, pour certains, l'idée ni l'intention d'être des artistes.

Lorsque vous arriverez dans la dernière salle d'exposition, sans transition aucune, vous serez  à la fois au milieu des dernières oeuvres exposées, dans la boutique, et dans le café. Tout y est bricolage pensé pour l'éphémère. Les gravures en vente sont présentées dans un carton, les plateaux du café sont des petites caisses en bois récupérées Dieu sait où. Les sets de table sont à disposition, pour servir à leur usage, ou pour dessiner, les craies grasses n'attendent que ça. Ceci-dit, ce dimanche-là, jour d'affluence, pas beaucoup de dessinateurs. Juste la place de caser un bout de sa personne sans trop heurter l'arrière du voisin de derrière, essayer de poser son manteau et son sac de façon à les récupérer. J'ai adoré, c'est drôle, et l'éphémère est un beau pari.
On y mange bien, ça n'est pas négligeable, et la soupe est alléchante....
























Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la présentation traduite de l'anglais sur le site. Là aussi, bricolage!


"Le Café d'Everything est un café-comptoir et mange-tout exclusif, avec délices sur mesure des règnes animales et végétales, créé par nos amis Momo et Derrière.

Le Café d'Everything est ouvert chaque jour pour des boissons chaudes, des collations vites et des longs déjeuners langoureux. Aucune réservation nécessaire ... venir et demander l'alimentaire immédiate!"


05 mars 2013



L'impertinence de la bretelle droite...

Françoise Tomeno
5 mars 2013

Il s’est installé sur le banc en bois d’un beau brun foncé, face à une des grandes tables au plateau de marbre et au pied en fonte du bistrot. La table est juste derrière le piler auquel est accolé le minuscule comptoir sur lequel les serveurs enregistrent les commandes des clients. De là où je suis, je ne vois pas la partie gauche de la table.

Sa main disparaît derrière le pilier pour réapparaître chaque fois avec une tasse, un verre, des soucoupes, des couverts, qu’il pose au fur et à mesure sur le plateau placé devant lui. Il semble y en avoir des quantités incroyables…

C’est lui qui a pris nos commandes tout à l’heure.

Est-il las, en fin de service, ou bien a-t-il simplement calculé que, assis, il ne mettrait pas plus de temps à desservir que s’il restait debout? Il affiche une certaine nonchalance réjouissante dans l’affairement de ce bistrot dans lequel les uns déjeunent, bien qu’il soit déjà 16 heures, et les autres viennent se réchauffer.

Nous attendons l’heure de nous rendre à un concert de viole de gambe, dans un programme Marin Marais, concert qui va avoir lieu dans une petite cave du quartier. Il fait froid dehors, une neige fondante n’arrête pas de tomber depuis ce matin.

Je l’ai quitté des yeux un moment. Lorsque je regarde à nouveau, je le vois debout, de dos. Il a débarrassé son plateau. Il est tout affairé à essayer de  rattacher une fichue bretelle droite, qui semble récalcitrante. Il se retourne tout en continuant la délicate opération, et nos regards se croisent… Il fait une drôle de grimace qui me prend à témoin de la bizarrerie de la situation, et nous sourions de cette drôlerie.

Un peu plus tard, en repartant, je passe derrière lui. Il est sur le côté du comptoir, en compagnie de ses collègues. Il s’affaire à nouveau, toujours en lutte contre la fichue brettelle récalcitrante. Celle-ci n’en fait qu’à sa tête, saute et virevolte, c’est la fête à la brettelle droite, la gauche restant sagement là où on a voulu qu’elle soit. 
Il n’a donc pas fini son service. 
Comment va-t-il se débrouiller ? Son pantalon a-t-il absolument besoin de la fichue bretelle pour tenir ? Ou bien celle-ci fait-elle simplement partie du décor vieux bistrot?

Je n’en saurai pas plus, Marin Marais prendra le dessus, et à l’heure qu’il est, la bretelle continue peut-être de danser, l’impertinente.

18 février 2013

Dans le bon sens

Françoise Tomeno
17 février 2013

- "Vous avez fait votre petit marché?"

- "Non, ce matin, j'ai traîné!
... J'aime bien traîner, parfois. Ca fait du bien..."

- "Dans le bon sens du terme, traîner...."


Euh... oui, Lulu, dans le bon sens du terme. 
Ben, quand même!!!

16 février 2013

Un racisme ordinaire

Françoise Tomeno
16 février 2013

Je suis absorbée par ma lecture. Un gros livre sur les Situationnistes. J'ai un vrai plaisir à le lire, j'y retrouve des noms de ma jeunesse, des noms de ces quelques uns qui avaient créé l'Imprimerie Quotidienne à Fontenay sous Bois, qui avaient créé la revue Utopie, des noms de ces quelques uns qui fréquentaient "l'Imprimerie", comme on disait. Quant à moi, j'y vivais une partie de ma semaine, et j'avais plaisir à y assurer la vente des produits que les copains allaient acheter, entre autres,  au marché de Rungis. Je ne mes souviens plus du statut de la structure qui assurait  ce petit marché, une coopérative peut-être.

À une table un peu plus loin sont installés six hommes qui discutent. Ils parlent arabe, et cela donne, par l'étrangeté de leur langue, l'impression qu'ils parlent fort, parce que l'on ne peut rien attraper au passage de leur conversation.

Très près d'eux, deux dames bien mises prennent le thé. Les brasseries permettent ce genre d'inattendu, la juxtaposition de deux styles, de deux mondes. Il règne dans les grandes brasseries une sorte d'entente tacite. Chacun s'installe et joue sa partition sans prêter attention à celle des autres. Suffisamment discrètement, mais pour autant l'atmosphère n'est pas feutrée.

À un moment donné, la discussion entre les hommes s'anime un peu, et leur langue inconnue de nous vient frotter nos oreilles. Je lève machinalement le nez, je vois une des dames qui commence à prendre un air offusqué. Je me demande si c'est le verbe haut ou l'incompréhensible pour elle de l'arabe qui la met dans cet état. Parce qu'ils ne parlent pas si fort que ça, à peine plus fort, en tout cas, que ce trio installé à une table non loin de moi, dont je comprends la conversation en langue française sans problème, mais dont je peux faire abstraction également sans problème.

Juste à ce moment là, elle croise mon regard, et l'attrape avec le sien, m'assignant la place de complice. Je baisse tout de suite les yeux, essayant d'éviter cette assignation à résidence. Trop tard, elle m'a qualifiée, avec elle, contre eux. Lorsque je partirai, elle m'adressera à nouveau un coup d'oeil complice, "nous sommes bien du même monde, n'est-ce pas". Je n'y répondrai pas, évitant son regard.

Ce jour-là, je lisais ce gros bouquin sur les Situationnistes, ce jour là j'étais en état de retrouvailles avec ce passé au cours duquel s'était poursuivi, faisant suite à mai 68, mon éveil politique.

Ce jour-là, six messieurs arabes discutaient, mettant en scène, à leur insu, l'ordinaire d'un racisme qui ne se sait pas.


Rouge le matin

Françoise Tomeno
16 février 2013

Ce matin là, ayant entendu la météo annoncer une journée très froide, je me suis bien couverte.

Elle est là, à sa table au fond du bistrot. Nous nous saluons, comme à l'habitude. Comme souvent, elle me parle du temps. Aujourd'hui, il est gris, froid, humide. 
Je lui dis que je me suis tellement bien couverte que j'ai eu une impression de douceur. 
Je lui dis aussi que j'ai quitté mon chez moi avec un beau ciel tout rouge et que, lorsque j'étais petite, ma maman disait, quand il y avait un ciel tel que celui-là: "Le Père Noël fait des gâteaux", et que je ne sais toujours pas pourquoi elle disait comme ça.

Elle me répond: "Rouge le matin, pluie en chemin".

Et nous nous amusons de ces proverbes et dictons, dont les bistrots, et plus particulièrement les comptoirs, sont parfois friands.

12 février 2013

Tennis

Deuxième set




















Et le service, bien sûr....

Madame la Lune au comptoir

Françoise Tomeno
12 février 2013

Gaston a donné un calendrier lunaire à la patronne. La patronne, elle a un petit jardin sur les hauts, où elle cultive, pour le bistrot. La saison passée, elle a récolté tellement de tomates qu'elle en a données aux uns et aux autres.
Gaston prend soin des récoltes de la maison, il en connaît un rayon sur la question.

Il est là, Gaston, avec trois autres messieurs. Ils sont drôles, parce qu'il y a un très grand, un moyen, et Gaston qui est petit. On dirait les Dalton moins un.

Et de quoi ils discutent, les Dalton moins un, en buvant des coups?
De la lune, pardi. Des vertus de la lune sur les récoltes. Et ça s'anime, au comptoir. Chacun y va de sa connaissance de l'affaire. Le ton est vif, monte. Tout le bistrot va bientôt en profiter.

Ah, je vous vois venir... Vous pensez déjà qu'ils se disputent, qu'ils ne sont pas d'accord à propos de la lune?

Mais si mais si, ils sont d'accord.
Alors pourquoi ils s'animent comme ça, pourquoi le ton s'emballe? 

Pour le plaisir de parler, je crois. Ils n'ont pas l'air de faire un concours à qui en saura plus ou mieux que l'autre. Non non. Ils prennent plaisir à ce bout de savoir partagé. Ca leur fait plaisir de savoir ça.

Et la patronne, ça lui fait plaisir de parler de son jardin, de ses tomates. Elle vient même m'expliquer: lune montante, pour les plantes qui doivent pousser en dehors, monter, comme le persil, me dit-elle. Lune descendante, pour les légumes qui doivent pousser en dedans de la terre, pour les racines, comme les carottes.

Moi, pendant ce temps-là, il me semble la voir, la lune, juste au dessus du comptoir, dans l'angle. Elle se marre. Elle a son petit sourire en coin. Vous savez, ce sourire qu'on lui voit, de profil, dans les livres pour enfants.

Elle ne fait pas de bruit.

Elle est comme ça, la lune. L'air de pas y toucher, l'air de rien, elle passe par là, et hop, les plantes poussent comme ci ou poussent comme ça. Et hop, trois Dalton sur quatre parlent d'elle en buvant des coups.

Elle se marre, la lune, au comptoir. Elle boit du p'tit lait, elle boit les paroles. Paiera pas sa consommation, la lune....

Moi, je l'aime bien, la lune. J'aime bien aussi les Dalton, d'ailleurs.

05 février 2013

La correction

Françoise Tomeno
5 février 2013

"Il corrige ses copies avec un verre de rouge..."

Je regarde, et je le vois, concentré sur ses copies, le visage sans émotion. Ni résigné, ni lassé, ni heureux. Rien de rien n'apparaît.

"Ca doit être pour l'aider quand il lit des âneries", me dit mon amie. Ca me fait rire. Le fait en soi, mais aussi le mot "âneries". On ne l'emploie plus guère....
Peut-être, au fond, est-il complètement déprimé de faire ce boulot de corrections d'âneries, et peut-être le vin lui permet-il simplement de retrouver un niveau d'humeur banale, sans signe apparent de grande émotion?

En tout cas, à y bien regarder, il ne boit pas dans un vulgaire ballon de rouge. Il ne doit pas boire du vulgaire "jaja", comme on disait lorsque j'étais jeune. Non non, il carbure au Bordeaux, sans doute: le verre a la forme des réceptacles dédiés à ce vin, le vin a la belle couleur des vins du Sud Ouest. 
Il a bon goût, alors, et il boit avec l'élégance des connaisseurs, petit à petit. 

Qu'en sauront les élèves? Seulement qu'ils avaient écrit des "âneries"?

La fonction d'accueil

Françoise Tomeno
5 février 2013

"C'est comme la Psychothérapie Institutionnelle", m'avait dit mon ami Thierry. Du coup, j'étais allée quelques fois dans ce bistrot. C'est ma foi vrai. Elle est tout accueil. Elle arrive toujours après le patron. Elle est déjà dans l'accueil lorsqu'elle entre. Elle fait un tour d'horizon de son petit monde; de sa voix de soprano aux inflexions chantantes, elle salue l'un, l'autre, avec les prénoms lorsqu'elle les connaît. Elle demande si ça va, elle écoute la réponse avec une attention souriante. Commerçante? Oui, c'est sa profession, et même patronne. Mais sa préoccupation des autres n'est pas une affaire marchande. C'est du vrai, du solide.

Les uns, les autres font de même, en s'appuyant sur cette façon d'être qui est la sienne. On salue, même les nouveaux, les nouvelles, on demande si ça va, on échange quelques mots. Si on revient dans les jours qui viennent, on est tout de suite reconnu, par elle, par les clients. C'est touchant d'humanité. Quelques paumés du monde ont trouvé là leur place, comme les autres, avec leurs prénoms bien sonnants.

Lorsque je suis repartie l'autre jour, elle m'a dit, toujours avec son grand sourire: "Au plaisir". Cela m'a fait plaisir.

C'est un bon lieu.

Un monde meilleur...

Françoise Tomeno
5 février 2013

Elle n'est pas contente, la patronne, mais pas du tout. Les deux messieurs auxquels elle fait part de ses états d'humeur semblent compatir mollement, et attendre poliment de pouvoir quitter les lieux. 
Il est question de flexibilité, d'employés, de finances..

Bon, face à la tempête en cours, je m'installe discrètement, attendant que la patronne se ressaisisse et vienne prendre ma commande. Ca prend un moment, bien qu'elle m'ait vue, reconnue; j'ai largement le temps d'ouvrir le journal avec lequel je suis venue, le Monde Diplomatique, autrement appelé "le Diplo", et de commencer la lecture d'un article.

La voici, toute en excuses, mais quand même; lorsqu'elle m'explique le motif de sa colère, elle redémarre, je me demande quand je vais pouvoir boire mon petit crème. Je souris intérieurement et m'arme de patience... 

Les salariés, ce n'est plus ce que c'était. Elle, elle a toujours travaillé, elle ne comptait pas ses heures. Maintenant, pour un oui pour un non, ils sortent leurs droits. À la belle saison, il y a besoin de plus d'employés, on est obligé de les garder en hiver alors qu'il y a moins de travail. Etc. etc....

Ah, les syndicats, me dis-je..! Ca ne fait pas l'affaire des patrons. Je pense à mes camarades syndiqués et à leur travail.

Lorsqu'à nouveau elle s'est épuisée en invectives de cette sorte, elle part vers le comptoir: "On rêve d'un monde meilleur..." dit-elle.

Hum... Moi aussi, et quelques autres qui disent qu'un autre monde est possible, je rêve d'un monde meilleur. Mais je gage que nos mondes meilleurs ne se ressemblent pas tout à fait.

Et pour autant, il nous faut savoir vivre ensemble sur la même planète.

22 janvier 2013

Le parti pris d'Edgar

Françoise Tomeno
22 janvier 2012

Si vous le voulez bien, nous l'appellerons Edgar.

La première fois que j'ai vu son nom, c'était sur le côté du comptoir. Des inscriptions à la craie se promenaient sur le bois, en forme d'hommages à Edgar. Inscriptions toutes plus touchantes les unes que les autres. On comprenait à les lire qu'Edgar était parti boire ses coups ailleurs, qu'il ne reviendrait pas les boire ici avec ses potes qui lui écrivaient.

Parti, Edgar.

Je me disais que je l'avais peut-être vu, depuis le temps que je fréquente le bistrot. Mais je ne connais pas les noms de tout le monde. Qui était donc Edgar?

Un peu plus d'une semaine plus tard, en allant payer au comptoir, je vois, affichées sur le mur, deux découpes de journaux, avec chacune une photo. Je me dis qu'il doit s'agir d'Edgar. Et puis les photos.... Il me semble le reconnaître, Edgar. Je m'approche: oui, c'est bien lui. Bien sûr, que je le connais. Et comment!

Un jour que j'arrivais avec, à la main, le numéro spécial de l'Humanité sur la Commune de Paris, Edgar était là, comme souvent, avec des potes, en train de parler. Il aimait ça, Edgar, parler. Mais il avait l'oeil, Edgar, vif, perspicace. Il me voit arriver, regarde, et dit simplement: "Vous aussi?"

Moi aussi, j'avais l'Humanité sous le bras. 

C'était le journal de son Parti. Il avait le coeur à gauche toute. Sûr que je ne lui arrivais pas à la cheville avec mon numéro spécial.

Il avait pris le Parti, Edgar. Il le portait haut et fort, jovialement. Il avait pris le Parti de l'Humanité.

Aujourd'hui, c'est lui qui est parti.

Boire ses coups avec l'Humanité.

Comment ça va, c'matin?

Françoise Tomeno
22 janvier 2012

- "Comment ça va, c'matin?". C'est comme ça qu'il dit, depuis quelque temps, depuis qu'on a fait connaissance.
- "Ca va, et vous?"
- "Ca va comme c'est mené".
- "?"
- "Comme c'est mené, avec les pieds....".

Ca alors! En effet, par ces temps de neige et de verglas, il vaut mieux se fier à ses pieds qu'aux roues de la voiture.

Mais quand-même, quelle expression du tonnerre de dieu.

12 janvier 2013

Le temps qu'il va faire

Françoise Tomeno
14 janvier 2013

Il a l'air de passer faire son petit tour tous les matins. Il démarre à la bière, direct.
Je le vois souvent faire la manche au coin de la place. Pourtant, non seulement il est toujours habillé très proprement, mais il porte des vêtements en excellent état, quasi neufs. Que fait-il au coin de la place? Cherche-t-il simplement à échanger quelques paroles? Il n'en est pas avare, de paroles. Ni dehors, ni dedans. Chaque fois que je le croise à son poste dans la rue, il échange quelques mots avec l'un ou l'autre, qu'on lui donne de l'argent ou pas. 

Ce matin, il vient me saluer, il tend la main: "Ca va? Ca s'est bien passé?". Je comprends par la suite qu'il veut parler de la période des fêtes. Parce que lui, il a été malade, la gastro, vous comprenez. Ca, il ne supporte pas. Les autres petits soucis de santé comme le rhume, ça peut aller.
Il me parle alors du temps; le froid sec, ça lui va, pas la pluie. Ca va aller mieux dans les jours qui viennent, on annonce un froid sec et un temps ensoleillé.

Un temps à pouvoir rester dehors à faire la manche et à parler avec l'un ou avec l'autre, sans doute.


06 janvier 2013

Miscellanées régalantes (lisez d'abord ....)

Françoise Tomeno
6 janvier 2013

J'ai été obligée de prendre des notes... Il se passait trop de choses en si peu de temps. 

D'abord, Lulu avait froid, ça n'allait pas, elle était de mauvais poil. Très courtoise avec moi cependant, elle m'a souhaité la bonne année, surtout la santé. J'en ai bien sûr fait autant. Mais voilà que Joséphine, une habituée des bistrots du quartier, a entrepris de me faire la conversation. Elle avait dû commencer tôt au bistrot, Joséphine, elle avait la bouche qui manquait d'habileté. Elle n'avait pas du boire que des cafés. Elle s'était maquillée avec du brillant, ou bien c'était un reste des fêtes qui ne voulait pas savoir que c'était passé. C'était réparti à la va comme je te pousse la vie, sur son visage, les brillants. De son oeil gauche, il en pleurait une grande larme. C'est peut-être pour ça qu'elle n'avait pas bu que du café, Joséphine.


Mais voilà que Lulu s'en va au comptoir, et me fait des moues évocatrices en jetant un coup d'oeil à Joséphine. Pas fiable, Joséphine, semble me dire Lulu. Euh... Un peu jalouse, Lulu?

Toujours est-il que lorsque Joséphine, dans ses brumes, est venue à plusieurs reprises souhaiter des bonnes choses à Lulu, bon appétit, bonne journée, celle-ci l'a envoyée balader.

Joséphine, elle m'a d'abord entrepris sur son sommeil. Elle avait fait un horrible cauchemar. Damned, me voilà bien, écouter les rêves de Joséphine, qui plus est un cauchemar, dans un bistrot! Je sais bien que c'est mon métier, d'écouter les rêves, tous les rêves, y compris les cauchemars. Mais pas quand je viens déguster les huîtres préparées par Roger. Je fais une oreille mi sourde, mi pas sourde, compatissante au mieux. Joséphine se replonge dans un petit carnet tout en fredonnant. À un moment, elle se lève, me tend un livre: "Tenez, je vous l'offre. Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est pour vous". Moi: "!!!!!......????? Merci, mais pourquoi????". Elle: " Parce que je vous vois, et parce que vous le méritez".

Ca alors! Je n'en reviens pas... Hum... Joséphine ne sait pas ce que c'est. Serait-ce un livre qu'on lui aurait offert, et dont elle n'a pas l'usage? Ce sont des choses qui arrivent. Autant en faire profiter les autres, au fond.

Mais c'est quoi, ce bouquin? Il a pour titre "Les miscellanées de Mr Schott". Les miscellanées. J'avais déjà croisé ce mot une fois ou l'autre, je ne m'étais pas attardée, mais je ne savais pas très bien ce que cela voulait dire. Cette fois, il faut que j'interroge mon fidèle ami le Grand Robert. Ce sont des mélanges, les miscellanées, du latin "miscellanea", choses mêlées. À l'intérieur de la jaquette, on peut lire: "Les miscellanées de Mr Schott sont une collection de petits riens essentiels". Mais comment elle savait ça, Joséphine, que c'est une des choses qui me passionnent dans la vie, les petits riens essentiels? Elle ne serait pas un peu sorcière?

Un peu plus tard encore, me voyant prendre des notes: "Vous me faites penser à une correspondante de guerre". À nouveau: "!!!!!". Je lui dis que je ne sais pas si j'aurais eu le courage de cette position-là. Elle me raconte alors que la maman de sa marraine a été correspondante de guerre en Turquie (sic!) pendant la deuxième guerre mondiale. je suis en pleine rêverie. Encore un peu plus tard: "Vous êtes psychologue?". Alors là, je n'ai plus de doutes: c'est une sorcière. Une bonne sorcière, ceci-dit, elle ne me veut pas de mal.

Pendant ce temps-là, Sabrina, la patronne, donne ses étrennes à chacun: "Un p'tit briquet lumineux, ou un p'tit rocher en chocolat". Moi, je ne fume pas, mais vrai, je vais le regretter: les briquets sont de toutes les couleurs, pétantes. Certes, j'aurais pu en prendre un qui m'aurait servi de lampe de poche, ou que j'aurais pu donner à quelqu'un, comme Joséphine m'a donné son livre. Mais voilà, mon vieil atavisme suisse l'a emporté côté chocolat. Certes, ce n'était pas les Ragusa fabriqués dans mon cher Jura suisse. Mais c'était avant tout du chocolat, et ça, ça ne se discute pas.

Sabrina propose les étrennes à un monsieur qui vient souvent déjeuner ici. Il a une façon de parler toujours très précieuse, et il semble s'excuser de tout, il a toujours peur de déranger, y compris lorsqu'il commande. Sabrina lui annonce qu'aujourd'hui, Roger, le patron, a fait, de ses propres mains, une galette des rois. Le Monsieur qui est toujours content de tout, se réjouit: "C'est régalant". Je me dis que je vais en parler au Grand Robert, de ce mot, et qu'à tous les coups il va me répondre par un silence poli. Que nenni! Ca existe bien "régalant". Ca veut bien dire ce que ça veut dire. Seul commentaire du Grand Robert: "Vieilli et familier". Bon, j'en aurai appris des choses aujourd'hui: "miscellanées", "régalant". Au fond, j'aime les miscellannées parce qu'elles sont régalantes....!

Et vous croyez que c'est fini?
Même pas! Parce que ce jour-là, il y a également dans le bistrot un personnage intriguant. Il s'appuie sur une canne blanche. Donc normalement, il ne devrait pas voir très bien du tout et peut-être même être aveugle. De loin, il m'avise, et me souhaite la bonne année. Certes, j'ai appris par mon métier que certaines personnes très malvoyantes voyaient très nettement dans un tout petit espace au centre de la vision. Mais notre homme semble suivre des yeux tout, précisément.

Encore un mystère de ce jour.....